La Bibliothèque de la ShinRa corp.
Point de Vue
Acte VI : Le Mal dans ma Tête.
Scène 1 : Tea parti. [1]
« Je sais que vous passerez l’examen final avec succès. Vous êtes mon successeur, Laekh. Alors moi, je vais bientôt mourir… »
Que voulez-vous répondre à quelqu’un qui vous dit ça ?
« Ce qui doit être sera.
- En effet, Laekh… Hé, voulez-vous une autre tasse de thé ? » me proposa soudain Lucia en élevant sa théière.
Baissant les yeux vers ma tasse, je m’aperçus que je l’avais finie sans m’en rendre compte.
« Oui, s’il vous plait. »
A ma demande, Lucia remplit donc ma tasse à nouveau. Puis la sienne. Le calme et la bonne humeur de cette femme étaient surprenants de la part de quelqu’un qui se savait condamné et qui pourtant n’était ni défaitiste, ni résigné à son sort. Elle devait sûrement penser que mourir était son devoir, et non pas un destin auquel on ne pouvait échapper. Une fois l’examen final passé, si je le réussissais, Lucia allait en effet devoir me transmettre la Force de l’Ombre. Un Gardien dépouillé de sa Force n’est plus rien qu’une coquille vide et fragile. Alors il ne lui resterait plus qu’à mourir, quelques instants après la passation de la Force…
Sa cuillère dans la bouche, Lucia se tourna vers moi. En retirant la cuillère pour parler, elle avait l’air presque… enfantin. Une toute petite fille avec de jolis yeux violets, qui me regardait d’un air sérieux.
« Je n’ai pas peur, alors vous non plus ne devez pas craindre la Force qui vous sera bientôt confiée.
- Quand est-ce que l’examen commence ?
- Oh ! Vous êtes pressé ! Vous êtes bien un enfant, Laekh ! s’exclama t-elle en me tapotant d’un geste maternel le sommet du crâne avec une main, tandis que son autre main agitait sa cuillère d’argent comme pour accentuer le sens de ses paroles.
- S’il vous plait, Lucia, fis-je sur un ton accablé. Je ne suis plus un enfant.
- C’est ce que tous les enfants disent, mon petit !
- Mon… petit ?! répétai-je avec indignation.
- Oui. Comparé à moi, vous êtes encore un bébé dans ses langes ! »
Sur ce, elle m’ébouriffa les cheveux en riant. Mon visage quant à lui devait être comiquement sinistre, car en me regardant, elle rit à nouveau. En me retenant de rire avec elle (son joli rire était communicatif), je grommelai en m’efforçant de garder un semblant de dignité tandis que je recoiffais avec les doigts, mes cheveux que Lucia venait de mettre sens dessus-dessous. Puis d’un air grave, je pris une gorgée de thé pour me donner une contenance…
« Vous feriez un joli couple avec mon arrière-petite-fille. Vous ne voudriez pas la rencontrer un jour ? »
Je toussai, les larmes aux yeux, car le thé venait de se tromper de direction et au lieu de se diriger vers mon estomac, il avait eu l’idée saugrenue d’aller voir si mes poumons étaient une jolie place pour prendre sa retraite.
« Vous… vous plaisantez, Lu… cia ? » m’exclamai-je entre deux quintes de toux.
S’emparant prestement de ma tasse pour éviter que je ne la renverse, Lucia se contenta de me répondre par un sourire mystérieux, puis elle posa la tasse et la soucoupe sur la table basse devant elle. Je toussai à nouveau, manquant de m’étouffer à cause de la boisson qui avait fugué vers ma trachée pulmonaire.
« Vous vous moquez de moi…, boudai-je.
- Décidément, vous me plaisez beaucoup ! »
Penchant la tête de côté, elle se mit à m’observer attentivement, ce qui eut pour résultat de me gêner horriblement.
« Pourquoi ?
- Euh… pourquoi quoi ? fis-je, surpris.
- Pourquoi êtes-vous venu à la BGU ? demanda t-elle plus précisément.
- …Je ne sais pas, répondis-je honnêtement. Un jour, le Conseil a contacté la directrice de l’orphelinat dans lequel j’étais. Ils voulaient que Thephys -mon compagnon de chambre qui était dans le même orphelinat- et moi allions à la BGU suivre les cours. Et… je crois que…
- Qu’ils ont toujours su que vous deviendriez des Gardiens. »
Ce n’était pas une question de la part de Lucia mais une affirmation. J’approuvai de la tête.
« Mais ce n’était pas une chose si extraordinaire que ça, concédai-je. Le Conseil recrute parfois directement ses élèves quand ils sont encore enfants au lieu d’attendre que des jeunes gens viennent d’eux-mêmes…
- Savez-vous depuis combien de temps j’attends d’avoir un successeur ?
- Eh bien… Hum, voyons voir… les Gardiens de chaque Force basique sont renouvelés par cycle régulier de 30 ans. Ceux des Forces plus puissantes, comme l’Ombre ou la Lumière, le sont au bout de plus ou moins 30 ans aussi. Mais cela peut varier de 15 à 40 ans – voire un peu plus, suivant la disponibilité ou non de candidats dignes de ces postes à ce moment-là… Et à chaque fin d’année scolaire à la BGU, on alterne les Forces à transmettre. Cette année, c’est le groupe des Gardiens 27 qui doit se trouver des… des successeurs, parmi les étudiants de dernière année qui ont réussi leurs examens. Il y a donc 5 places de Gardiens à prendre cette année en plus de celles de l'Ombre et de la Lumière. Si je me souviens bien, ce groupe 27 est celui des Forces élémentaires : le Feu, l’Air, la T…
- L’examen n’a pas encore commencé, Laekh, coupa calmement Lucia en buvant son thé.
- Huh ?
- Ma question ne faisait pas partie de l’examen, ce n’est pas la peine de me réciter votre leçon. »
Je la regardai, incapable de comprendre à quoi elle voulait en venir.
« Etait-ce une question rhétorique, alors ? tentai-je.
- Oui. »
Très bien, ça. Mais ça ne m’avançait pas à grand chose.
« Ce que je veux vous faire comprendre, soupira t-elle en reposant sa tasse de thé, c’est que votre rôle est bien plus important que vous avez l’air de croire.
- Je vous assure, Mada… Lucia, que je prendrai mon rôle de Gardien de l’Ombre très au sérieux si je réussis l’examen final.
- QUAND, Laekh. Quand vous réussirez. Pas "si" vous réussissez l’examen. Parler ainsi, c’est déjà douter. Et le doute n’est pas permis. »
Je ne répondis pas, baissant les yeux vers mes mains que j’avais posées sur mes genoux. Mes ongles impitoyablement rongés semblaient me narguer pour se venger du mauvais traitement subi.
« Laekh, je ne vous dis pas qu’il faille être arrogant ou vous vanter de réussir cet examen sans effort. Mais il faut aussi que vous soyez sûr de faire votre possible. Pour mettre toutes les chances de votre côté, pour réussir ce que vous entreprenez. Je sais ce que vous ressentez… Cette pression qu’on doit supporter quand tous s’attendent à vous voir réussir. La solitude des sommets… »
Elle prit mes mains entre les siennes. Elle avait des mains si petites et pourtant si rassurantes.
« Cela fait plus de 70 ans que j’occupe cette fonction, Laekh… »
Je levai brusquement les yeux, rencontrant son regard violet sombre.
« Et oui, je suis bien conservée pour mon âge ! plaisanta t-elle quand elle ressentit ma surprise. Et chaque année depuis plus de 40 ans, je fais passer l’examen final à un candidat à cette fonction. Chaque année, on m’envoie le meilleur étudiant de la BGU, je lui fais passer l’examen, et il échoue. Et j’attendais le prochain, j’attendais. Chaque année, c’était la même chose : dès que le candidat entrait, je pouvais percevoir s’il serait apte ou non. Il ne l’était jamais, mais j’étais obligée de lui faire passer ce fichu examen ! Et comme ils n’étaient pas aptes, ils mouraient. Oui, jeune homme. Cet examen final est difficile. Et il est fatal à celui qui échoue. C’est pour ça qu’on l’appelle examen "final", c’est le tout dernier qu’on passe de sa vie si on échoue. »
Scène 2 : Examen de conscience.
Wow ! Tu parles d’une révélation, pensai-je.
On me convoquait à l’âge de 12 ans dans mon orphelinat où j’étais bien peinard et où je ne demandais rien à personne, on m’annonçait que je devais aller étudier à la BGU avec Thephys, je m’échinais pendant huit années… bon, d’accord, "s’échiner" était un mot un peu fort, vu que je travaillais et étudiais régulièrement, sans plus… Mais tout de même !
Et là, alors que je pensais être enfin débarrassé de cette vie détestable à l’université, voici qu’on m’annonçait que je devais passer un examen final/fatal –c’était idem. Qu’à 20 ans à peine, je DEVAIS réussir cet examen sous peine de mort.
Vous parlez d’une p… de vie !
« On ne jure pas devant une dame, même en pensée, jeune homme !
- Oh, dis-je embarrassé. P-pardon, Lucia…
- Heh, décidément, vous me plaisez de plus en plus ! conclut-elle en riant quand elle me vit rougir.
- Pourquoi moi ? soupirai-je.
- Parce que Thephys Naëhien ne peut pas.
- …P-Pardon ??
- Hier, Thephys Naëhien devait être choisi pour venir passer l’examen final sous ma direction. C’est lui qui a obtenu les meilleurs résultats en fait. Il vous a battu d’un demi-point dans la moyenne générale des notes obtenues durant ces huit ans d’études.
- Heh, qui l’eût cru ? fis-je avec un sourire en coin.
- Seulement, j’ai protesté que le jeune Thephys n’était PAS le futur Gardien de l’Ombre. C’est ce que je me tue à dire au Conseil depuis 40 ans à chaque fois qu’il m’envoyait un nouveau candidat à l’examen final. Mais malgré mes protestations, je devais, la mort dans l’âme, faire passer cet examen. Et le candidat échouait… Mais cette année, pour la première fois de toute ma longue expérience de Gardienne, le Conseil a écouté ma requête. L’Univers soit loué ! Le Conseil a reconsidéré la question au vu des résultats étonnement mauvais que vous avez eus en Théologie il y a trois ans.[2] Sans ces mauvaises notes, vous auriez sans contestation possible obtenu la meilleure moyenne de la BGU.
- Et alors ? …Oups, pardon, je veux dire : qu’entendez-v…
- Je vous l’ai déjà dit : laissez tomber les formalités avec moi ! me gronda t-elle gentiment.
- Hum. Bien, Lucia…
- Et alors, poursuivit Lucia, Thephys l’a échappé belle ! »
Je fronçai les sourcils. En effet. Thephys avait échappé à la mort hier en ne passant pas l’examen final de Lucia. [3] C’était rassurant. Oui mais aujourd’hui, c’était à mon tour et ça, ce n’était pas rassurant. Et il n’y avait pas moyen de fuir, apparemment.
Très bien, puisque c’était ainsi…
« Je suis prêt, Lucia. Faites-moi passer votre examen, finissons-en ! »
Elle me talocha l’arrière de la tête avec le plat de sa main. [4]
« Aie ! M-mais…
- Non mais, quel gamin il fait ! s’exclama t-elle en levant les bras et les yeux vers le ciel/plafond de la pièce.
- Mais-mais-mais…
- Tut-tut-tut ! Tu es bien pressé, mon petit ! »
Depuis quand était-elle passée du "vous" au "tu" en s’adressant à moi ?? Ce n’était pas rassurant non plus, ça…
« Lucia, je vous en priiiie…, gémis-je. Cessez de vous moquer de moi !
- Quels que soient les résultats de cet examen final, ce sont mes derniers instants avec vous maintenant. Laissez-moi en profiter un peu… »
A cette dernière remarque, un court moment de silence s’installa entre nous deux.
« Lucia… Croyez-vous que je sois vraiment "apte" ? demandai-je ensuite.
- Il y a une grande différence entre ce qu’on CROIT être juste et ce qu’on SAIT être juste. Je SAIS juste que je CROIS en vous, Laekh.
- Heh… belle réponse détournée, murmurai-je avec un sourire. J’aime bien…
- Maintenant, c’est à vous de croire en vous-même. »
Ainsi conclut Lucia en posant les mains sur mes épaules. Puis elle se pencha vers moi. Tout près de moi, horriblement près de moi. En fait, ce n’était pas si horrible que ça. Mais je ne pus m’empêcher de rougir quand son nez toucha quasiment le mien… Je commençais aussi à loucher parce que son visage était tout près du mien et que mon regard ne pouvait se détacher de ses yeux violets qui brillaient d’un éclat améthyste sous l’éclairage de la pièce. Son souffle sentait le thé, le sucre et le citron. Cette situation n’était pas désagréable du tout. C’était même assez agréable, réflexion faite…
« Concentrez-vous, jeune homme ! m’ordonna t-elle d’une voix autoritaire. L’examen va commencer.
- B-bien, Lucia. Entendu… »
Ma voix semblait lointaine, y compris à moi-même. Les prunelles de Lucia s’étaient assombries, elles étaient devenues complètement noires. Etait-ce dû à un jeu (intentionnel ou non) de lumières ? Ou bien étais-je en train d’halluciner ? Ou d’être hypnotisé ?
Non, ce n’était pas de l’hypnose, je pouvais le ressentir au plus profond de moi-même. C’était plutôt comme… un appel.
« Lucia, je…
- Shh… Laissez-vous emporter… »
Sa voix était douce et assourdie, mais je pouvais pourtant l’entendre clairement. L’entendre comme si elle se trouvait dans ma tête. Dans ma tête…
L’obscurité. Complète et totale. L’obscurité s’était-elle faite progressivement ou d’un seul coup ? Impossible de m’en souvenir. Impossible de savoir, même maintenant que je me remémore ces faits. Impossible, et pourtant… toutes les sensations ont été conservées intactes dans ma mémoire. Dans ma tête…
L’endroit dans lequel je me trouvais était l’Univers. Exactement. L’Univers n’était pas dans l’espace mais en nous. L’Univers, à la fois immense et minuscule, là où tout avait commencé et où tout allait finir. Et c’était dans cet endroit que je venais d’être transporté par un moyen qui, à ce jour encore, me reste inconnu. Pas étonnant que ceux qui échouaient à cet examen final ne pouvaient que périr. Se perdre dans un tel endroit -un endroit seulement comparable au néant, même si ce terme n’était pas tout à fait exact pour le désigner- ne pouvait signifier que perdre la vie. Et sans guide, dans n’importe quel endroit étranger, on se perdait facilement. Oh, et bien sûr, je ne disposais d’aucun guide à ce moment-là, Lucia ayant disparu avec tout le reste. J’étais seul.
J’étais seul… Si on y réfléchissait bien, cette situation n’était pas nouvelle, hein ?
Mais c’est alors que deux silhouettes se formèrent dans l’obscurité. Je n’étais plus seul, mais était-ce une bonne ou une mauvaise chose que de voir deux inconnus arriver ? Etaient-ils amis ou ennemis ?
Un moment passa sans qu’ils se décident à approcher. Comme les silhouettes étaient à présent parfaitement distinguables de l’obscurité environnante, je décidai de faire le premier pas, ou plutôt LES premiers pas. Plus je m’approchais, plus j’avais l’impression de connaître ces deux… personnes, dirons-nous. Et quand je fus arrivé assez près pour distinguer leur visage, je les reconnus. Des visages familiers que j’avais oubliés, des étrangers que je connaissais… Devant cette découverte, je ne pus que prononcer leur nom. Les seuls noms que je connaissais pour les désigner.
« Papa, Maman… »
Scène 3 : Mort.
Je ne les avais encore jamais vus, et pourtant je les connaissais. Non, en fait, je les avais déjà vus. Mais cela s’était passé il y avait si longtemps de cela…
La femme, je l’avais vue à ma naissance. Quant à l’homme, ma dernière rencontre avec lui datait de près de 17 ans. Ce couple… Il ne s’agissait pas de l’un des couples qui m’avaient adopté. Ils étaient mes vra… mes parents biologiques. Je n’aurais jamais cru les revoir ; pas aussi tôt du moins. Et encore moins que je les reconnaîtrais de suite. Comme si une voix dans ma tête m’avait dit "Voici tes parents". Une voix dans ma tête…
Je me serais attendu à un meilleur accueil de leur part. Ou au moins à un accueil moins silencieux et glacial.
Peut-être les morts ne pouvaient plus ressentir d’émotions. Etait-ce pour ça qu’ils faisaient une tête d’enterrement en me voyant ? (Pardon, mauvais jeu de mots…)
Que leur dire à présent..? Ce n’était pas tous les jours que je devais parler à des parents morts, il faut me comprendre !
« Bonjour… Papa, Maman... »
Mouais… pourrais faire mieux…
« Qu-que faites-vous ici ? En fait, vous savez où nous sommes ? »
Sans un mot, l’homme éleva la main vers moi et me repoussa violemment. Je fis un pas en arrière pour éviter de tomber (même s’il n’y avait pas de sol – mes pieds reposant sur du vide et de l’obscurité) puis je le regardai d’un air surpris, choqué, incrédule… attristé.
« Que se passe t-il ? Pourquoi ?! » m’écriai-je.
La voix de l’homme se fit enfin entendre. Froide, irréelle… colérique, rancunière.
« Et tu oses demander pourquoi !? me lança t-il. Je suis sûr que tu sais déjà pourquoi ! Peut-être veux-tu pouvoir oublier, mais tu n’y parviendras pas ! Souviens-toi, tu n’as pas pu oublier ! Ou alors, c’est que tu es encore pire que ce que nous croyions…
- Qu… qu… »
Je n’arrivais pas à saisir le sens de ces paroles accusatrices. Je secouai la tête. Je ne voulais pas comprendre.
Soudain, il posa la main sur mon front. Une décharge sembla frapper mon crâne. Une décharge qui se répercutait dans ma tête. Dans ma tête…
Je me souvenais…
J’ouvris les yeux en grand, ma gorge serrée par la découverte empêcha mon cri de sortir. L’homme retira finalement sa main. Je déglutis, le regardant d’un œil nouveau. D’un regard implorant.
« Je… je suis désolé…
- Tes excuses ne serviront à rien. » répondit-il calmement.
Son calme était encore plus blessant que sa colère, je m’en rendais compte.
« Vous ne me pardonnerez pas ? … Jamais ? »
Tous deux secouèrent la tête pour répondre.
« Mais… pour quelle raison ? Je veux dire... J’ai compris quelle était ma… faute. Mais… vous êtes mes parents, articulai-je comme si on m’avait asséné un coup dans l’estomac. Vous ne pouvez pas m’en vouloir, même à cause de ça. Surtout que… je ne l’ai pas fait exprès ! Je n’ai PAS fait exprès ! Je ne voulais… pas… que vous mour… »
Je baissai la tête, je secouai la tête. J’avais envie de pleurer mais j’en étais incapable. C’était comme si, physiologiquement, je n’étais plus capable de verser des larmes. Mais cela ne m’empêchait pas d’avoir mal. L’incapacité à pleurer n’empêchait pas mes yeux de souffrir, ni mon cœur de se serrer.
« Je ne voulais pas que vous mourriez » répétai-je la tête baissée. Je ne pouvais plus les regarder en face.
La réponse résonna à nouveau comme un reproche, une accusation flagrante, une sentence sans remise de peine possible.
« Si tu ne le voulais pas, alors c’est encore pire. On ne tue pas ses parents si on ne veut pas les voir mourir. »
A ma grande horreur, j’encaissai cette vérité stoïquement. Trop calmement.
Le silence, pesant et rude. Le froid, vide et obscure. Vide de sentiment. Ils continuaient à me dévisager avec mépris. Reproches silencieux. Et moi, je ne ressentais rien, plus rien du tout. Je voulais juste me rouler en boule et me laisser emporter par le néant. Dans le néant, il n’y avait plus de peur, plus de doutes, de rancunes, de remords, plus rien. Ou peut-être si. La preuve, il y avait encore des reproches, de la peine, de la culpabilité.
Je voulais tomber à genoux devant eux, mais je n’avais pas l’intention de les supplier. Je sentais que je n’avais plus la force de me tenir debout, voilà tout. Et pourtant, je continuais à me tenir sur mes deux pieds. L’entêtement de mes pieds à ne pas se dérober sous mon propre poids m’étonna. J’étais un étonnement perpétuel pour moi-même, c’était effrayant.
« Tu nous as tués. »
Il l’avait dit avec tellement de conviction !
La phrase résonna dans ma tête comme pour me permettre de mieux la saisir. Comme pour mieux m’accuser, elle résonna. Dans ma tête…
Mes propres parents me haïssaient et me condamnaient… Encore et toujours, même dans la mort…
… Ha ! Mais après tout, si j’avais pu me passer d’eux depuis si longtemps, qu’en avais-je à faire ? Qu’avais-je à me préoccuper de ce qu’ils pouvaient penser de moi ? De ce que j’avais fait, il y a si longtemps. Y avait-il prescription après toutes ces années ? Non, la période n’avait pas été assez longue si on considérait cela comme un meurtre… ou plutôt un parricide.
… Mais…
« C’est faux ! m’écriai-je vivement en relevant la tête vers eux. Un accident ne peut pas être considéré comme un meurtre ! »
L’homme s’avança vers moi, mon début de véhémence disparut instantanément. Il portait dans ses yeux une telle… colère. Il me faisait peur. Je crus qu’il allait me gifler, mais ce fut pire. Me regardant avec des yeux de braise, il m’agrippa par les épaules. Son contact était désagréablement chaud… brûlant… Il me brûlait ! J’essayai de me débattre pour échapper à son emprise, mais c’était inutile. J’avais l’impression de brûler vif. C’était irrespirable, invivable…
« Tu ne ressens qu’un centième de ce que j’ai vécu ! » dit-il durement, tandis que je criais, le suppliant de me lâcher.
C’était insupportable, comme si des flammes étaient en train de dévorer mes chairs. Je pouvais même sentir l’odeur des fumées, parmi la douleur que tout mon être était en train de subir. J’avais mal, horriblement mal. J’avais envie de pleurer mais même une rivière de larmes n’aurait pu éteindre ces flammes. J’étais sur le point de m’évanouir de douleur. Mais non, cela aurait été bien trop facile !
« Je… suis désolé ! Je suis désolé, Papa ! répétai-je en réfrénant mes cris de douleur. Je sais… que je n’aurais pas dû jouer avec ces allumettes !!
- Je t’avais pourtant prévenu à plusieurs reprises ! rappela mon tortionnaire qui était aussi mon père. Mais tu n’as pas écouté. Tu n’en as fait qu’à ta tête, tu n’en as toujours fait qu’à ta tête. Même maintenant !
- J-je suis désolé, je te demande pardon » haletai-je.
Je parvenais difficilement à respirer. Si difficile d’inspirer... C’était douloureux, la fumée était en train de me suffoquer. Et pourtant, il n’y en avait aucune. Et j’y voyais parfaitement. Je pouvais voir les yeux de cet homme me transpercer de leurs reproches.
« Tu as brûlé la maison, assena t-il. Et moi avec.
- J… Juste un accident…
- Tes mains ont accompli le geste. Il y a une différence entre intention et faits. Même sans intention, les faits sont là. Les faits tissent la toile de la culpabilité, l’intention n’est que le patron du vêtement. On ne porte pas le patron d’un vêtement, mais le vêtement en lui-même ! » [5]
J’ouvris la bouche mais aucun son ne pouvait en sortir. J’avais soit trop mal pour répondre, soit compris qu’il n’y avait rien à redire aux faits accomplis. Trop tard. Ma sentence était déjà en route. Le jury s’était déjà réuni pour me juger coupable.
Soudain, pendant que j’agonisais, la femme, ma mère, prit la parole pour la première fois :
« Je t’ai porté en moi, je t’ai donné mon amour avant même que tu ne viennes au monde… »
Sa voix était triste et résignée. C’était pire que tout. Cela me faisait encore plus mal que ces flammes infernales dans lesquelles j’étais prisonnier.
« Et tu m’as tuée. Avant même ta naissance, tu avais le sang de ta mère sur les mains. »
…Non ! Non, je ne suis pas coupable ! Non, non ! Je voulais crier, me débattre, protester, pleurer. N’importe quoi !
Alors… pourquoi ne pouvais-je même pas parler.. ?
Elle portait un manteau sombre qui cachait sa forme fantomatique, éthérée. Elle ouvrit les pans de son manteau, laissant voir sous le vêtement extérieur, cette longue chemise blanche dont elle était vêtue. A la place de son ventre se tenait un trou béant qui traversait la chemise, qui traversait son corps, permettant de voir jusqu’au dos du manteau – de l’autre côté de son corps mutilé. Et sur les rebords de la plaie qui collait à sa peau des morceaux de la chemise, on distinguait parfaitement le sang qui déversait continuellement ses larmes pourpres. Continuellement. Toujours. Pour l’éternité. J’étais coupable pour l’éternité.
Cette prise de conscience me frappa de plein fouet, me serra à la gorge, m’étrangla, me cogna au visage. J’encaissai sans rien dire, les yeux toujours tournés vers cette femme, ma mère. Ma faute pour l’éternité.
Je sentis qu’on me relâchait. Mon père venait de me relâcher ? Mais ce ne fut que pour mieux me rejeter vers le sol. Ainsi, il y avait un sol ? Même dans le néant, il y avait un sol sur lequel on pouvait atterrir. Atterrir durement.
En baissant la tête, je portai les deux mains vers ma bouche. Puis vers mes tempes. Mes brûlures, réelles ou non, me lançaient effroyablement. Mes poumons manquaient se tordre de douleur sous l’emprise de la fumée que j’avais respirée malgré moi. Au souvenir du sang de ma mère, mon estomac menaçait de remonter dans ma gorge. Ma tête donnait l’impression de vouloir exploser.
Je fermai les yeux avec toute la force qu'il me restait, essayant de me couper de l’hostilité environnante. Mais dedans, c’était pire. Une voix était en train de rire méchamment de moi. Le rire était ténu mais clair, tangible, cruel. Et il se répercutait dans les parois de mon esprit, de mon crâne, de ma tête. Dans ma tête.[6]
Puis dans un éclair, je reconnus la voix qui riait de moi.
Il s’agissait de la mienne.
*****
NDLaekh :
[1] Non, ce n’est pas une faute d’anglais. C’est un jeu de mots, nuance. Un jeu de mots avec le terme "Tea-party" et le thé qui est "parti"/a été avalé de travers lorsque Lucia a essayé de jouer les entremetteuses entre son arrière-petite-fille et son "successeur". Je sais, j’ai toujours fait de très mauvais jeux de mots…
[2] La raison de ces mauvaises notes se trouve au chapitre 4.
[3] Je sais que dans la fiction de Deedo, Ultime Destin, il est dit que "Ce jour-là, ils étaient devenus des Gardiens de l’Univers" (ou une phrase semblable) ce qui sous-entendrait que les Forces ont été confiées le même jour aux nouveaux Gardiens de la Lumière et de l’Ombre. Mais le nom de Naëhien et celui de Traumen étant, d’un point de vue alphabétique (alphabet latin du moins), assez éloignés, j’ai préféré mettre un jour d’écart. De plus, en écrivant ce chapitre et le dernier, ça m’est venu instinctivement. Et vous savez que je suis mon instinct. Donc considérez que ces deux derniers chapitres avec Lucia se situent entre la scène 1 et la 2 de l’acte 5 d’Ultime Destin. De toute manière, comme le dirait si élégamment cette chère Deedo : "C’est ma fic, j’écris ce que je veux, et je vous proute !"
[4] Quelle femme, cette Lucia ! ^_^;;
[5] L’image du vêtement et du patron vient de moi. Je parviens à être si ignoblement poétique certains jours que c’est touchant à en vomir !
[6] Vous allez me dire que c’est lourd et répétitif. Mais c’est intentionnel. Ce sont des indices laissés là à votre intention, afin que vous deviniez… ce que la situation est en réalité. (Si vous n’avez pas encore compris, je ne vous le dirai que dans le chapitre suivant, sinon le suspense retomberait comme un soufflé raté… *goutte de sueur*) Et puis, il fallait bien justifier le titre de ce chapitre ("Le Mal dans ma Tête")
Playlist :
- "Somewhere" (chanson présentée dans les notes du chapitre précédent) en boucle durant deux bonnes heures. Par l’Univers tout puissant, je n’arrive pas à y croire… Cette chanson est démoniaque !! Elle vous tient et ne vous lâche plus, elle vous OBLIGE à l’écouter en boucle, encore et encore, jusqu’à ce que votre tête menace d’imploser à force d’entendre une telle mélancolie sentimentale, jusqu’à ce que votre estomac se retourne sous la pression de votre cynisme naturel qui se rebelle devant la douceur environnante créée par cette chansonnette ! C’est ignoble, c’est diabolique ! Fuyez tant qu’il en est encore temps, sauvez votre peau ! FUYEEEEEEZ !!
Hum. Plus sérieusement… vous pouvez aussi essayer Carmina Burana, l’opéra de Carl Orff, c’est pas mal du tout. Surtout les chœurs de "O Fortuna". Ça me donne des frissons dans tout le corps à chaque fois que j’écoute ça. C’est… orgasmique ! (Bon, j’exagère peut-être un peu… mais à peine ! *lol*)
- 1er album de Gotthard (groupe de hard-rock suisse)
- Megadeth, album "Youthanasia" (*chantonne* We ascend to our destiny… Elysian Fieeelds…)
- Slayers : "Waru" (thème de Valgaav) et "We are" (thème de Zelgadis). Et à sa grande horreur, le monde découvrit que Zel ne sait pas chanter. Mais aussi que l’accompagnement musical arrange tout…
NB : Ce ne sont pas les musiques que je vous conseille d’écouter en lisant ces scènes, ce sont juste là les musiques que j’ai écoutées en écrivant ces scènes. Nuance.
J’ai écrit la dernière scène en pleine journée ! o_O Donc… voilà pourquoi je la trouve moins réussie que les autres chapitres, que j’ai écrits au milieu de la nuit. -_- En fait, je suis insatisfait. J’ai eu du mal à retranscrire d’une façon fluide les sentiments du narrateur dans la scène 3. Juste parce qu’il faisait jour quand j’écrivais. Mais comme j’ai écrit ça le matin et qu’auparavant j’avais moins dormi que d’habitude, le style n’est pas trop mauvais. En résumé, que ce soit le jour ou la nuit, le manque de sommeil est inspirateur… Ouaip.
Et puis, comme je me suis échauffé avec ce chapitre, je vais embrayer direct sur le suivant. Qui sera écrit en plein jour aussi… Donc la playlist reste la même. Parce que trop la flemme de chercher d’autres CD. Ouaip.
A suivre :
Acte VII : L’Inconnu dans la Glace.
(Parce que figurez-vous que j’ai parfois du mal à trouver un titre potable pour mes chapitres.)
*****
* Lire le chapitre sept
* Retour au sommaire de cette fic
* Retour à la section des Fanfictions