La Bibliothèque de la ShinRa corp.
Point de Vue
Acte XI : Mes Quatre Vérités.
Vérité 1 : Evolution ?
« Laekh ? Tu m’entends ? Qu’est-ce que tu fabriques là-dedans, ça fait près d’une heure que tu es enfermé dans la salle de bain ! Et je n’entends même plus l’eau couler ! »
Je ne répondis pas.
« …Laisse-moi la place, j’ai un rendez-vous important pour le travail dans vingt minutes ! »
Un silence, puis la voix de Thephys se fit à nouveau entendre derrière la porte close :
« Laekh… Tu vas bien ? Je t’en prie, réponds ! ….. Laekh ? Réponds ! »
Son ton était à la fois nerveux, inquiet et passablement irrité.
« Laekh !! LAEKH ! Tu vas bien ?? »
Il s’était mis à tambouriner frénétiquement sur la porte. Alors pour ne pas l’inquiéter davantage, je me relevai, passai mon peignoir et déverrouillai la porte avant de l’ouvrir. Thephys s’arrêta net et leva le visage vers moi. Il me regarda d’un air mi-surpris, mi-soulagé. Puis il cligna les yeux devant mon silence. Finalement, il fronça les sourcils d’un air boudeur.
« Pourquoi tu ne m’as pas répondu ! reprocha t-il à mon égard. J’étais inquiet, je croyais que tu avais eu une attaque cardiaque, ou pire !
- Je suis trop jeune pour avoir une attaque cardiaque, Thephys, répondis-je calmement.
- Tu… »
Il fit un pas en arrière, passablement surpris par mon ton calme et la réponse que je venais de lui faire. « Je ne te comprendrai jamais ! » conclut-il avant de s’engouffrer à son tour dans la salle de bain. Je me dirigeai tranquillement vers la chambre. Parvenu jusque là, je m’assis calmement sur le lit et relevai la manche longue de mon peignoir. Sur la face intérieure de mon poignet gauche, un cercle quasi-parfait et d’un noir profond était comme tatoué dans ma chair. Mes mains se mirent à trembler lorsque j’enfouis la tête dans mes paumes.
« Hum… C’est étrange, en effet…, me dit Jaspar, le Gardien de la Peur, lorsque je lui montrai mon poignet, quelques jours après ça.
- Au début, juste après la passation de l’Ombre par Lucia, il n’y avait aucune marque, expliquai-je. Puis quelques heures après, le symbole de l’Ombre est apparu sur mon poignet. J’ai été un peu étonné au début, mais vu qu’on avait déjà étudié tous les symboles de toutes les Forces à la BGU, je savais à quoi celui de l’Ombre ressemblait… Mais je n’aurais jamais cru que l’Ombre se manifestait ainsi… Je veux dire, de manière progressive…
- En fait, un Gardien ne connaît que très peu de choses concernant sa Force au début. On apprend au fur et à mesure, sur le tas…
- C’est ce que Lucia disait aussi…
- Tu parles souvent d’elle, remarqua Jaspar.
- … Peut-être. »
Un court moment de silence passa entre nous, comme en mémoire de la disparue.
« Tu devrais aller te renseigner auprès des Anciens, fit ensuite Jaspar.
- Hum… Je ne sais pas si ça en vaut la peine. Je ne voudrais pas leur faire perdre leur temps, et passer pour un débutant à m’inquiéter inutilement, si en fin de compte ce qu’il m’arrive est tout à fait normal vis à vis de l’Ombre…
- Tu ne veux pas passer pour un débutant ? Eh, pourtant t’es encore un p’tit jeune, mon gars ! »
Il se mit à rire doucement en me tapant amicalement sur l’épaule. En lui souriant d’une manière quelque peu crispée, je jetai à nouveau un coup d’œil sur le symbole de l’Ombre à mon poignet.
« Hé ! m’écriai-je en désignant du doigt mon symbole. J-je… je crois que ça a encore… la partie noire a encore gagné du terrain !
- … Tu devrais vraiment aller voir les Anciens, conseilla Jaspar d’une voix grave. Demander leur avis. Ils sauront te conseiller, ou au moins t’expliquer ce qu’il se passe…
- T-tu as raison… »
D’un ton mal-assuré, je pris congé de mon collègue et me dirigeai de suite vers la gare qui menait au domaine des Anciens. Je dois admettre que j’avais un peu peur. Après tout, je n’étais encore qu’un débutant, avec à peine un an et demi de fonction en tant que Gardien ; je connaissais encore mal ma Force –aujourd’hui encore, je ne la connais pas entièrement- et comme elle est l’une des plus puissantes, sinon la plus puissante, il y avait de quoi être intimidé. Ajoutez à cela que je devais me rendre chez les Anciens, et que chaque Gardien n’avait le droit de les voir que trois fois maximum dans sa vie, et vous comprendrez aisément l’état de nervosité dans lequel je me trouvais à ce moment-là.
Durant le voyage de deux heures qui m’amenait chez les Anciens, je regardai à nouveau mon poignet. Le symbole n’évoluait plus, du moins c’est l’impression que j’eus durant le trajet.
Au début, le symbole ressemblait à une sphère divisée en deux parties emboîtées, l’une noire, l’autre blanche. Dans la partie blanche, il y avait un petit cercle noir, comme une tache au milieu d’une toile immaculée, tandis que la partie noire était parfaitement unie. Le symbole ressemblait fort à la représentation du taiji Terrien, hormis, comme je viens de le mentionner, qu’il n’y avait pas de cercle blanc dans la partie noire. Le symbole était apparu le soir suivant mon Examen d’avec Lucia. En fait, si je me souviens bien… je l’avais remarqué sur mon poignet peu après que je sois revenu des bords du lac… Quand je suis rentré du lac avec Thephys dans notre dortoir, c’est là que j’avais vu que le symbole était apparu sur mon poignet. Thephys l’avait d’ailleurs trouvé très élégant. J’avais simplement haussé les épaules d’un air détaché en disant que c’était un symbole comme un autre et que ma Force importait plus que le symbole en lui-même. Thephys avait souri à cette remarque de ma part.
Puis un an et demi après ça, voilà qu’en prenant ma douche, je m’étais aperçu que mon symbole avait changé. La partie noire avait gagné du terrain sur la blanche. J’avais été si… si surpris de cette évolution de mon symbole que j’étais resté stupéfait plus d’une demi-heure dans la salle de bain ce jour-là, provoquant l’inquiétude de Thephys.
Ensuite, les évènements s’étaient précipités. Le lendemain de ma découverte, je dus accomplir une expérience en laboratoire qui requérait d’utiliser mon Pouvoir le plus destructeur : l’absorption totale de l’essence vitale d’un être. J’avais dû le tuer. Je ne l’avais pas fait de bon cœur, mais je n’avais pas rechigné à la tâche non plus : cela faisait juste partie de l’expérience. Je crois qu’après ça, mon symbole avait encore évolué… Peut-être bien que plus j’utilisais mes Pouvoirs, plus le symbole évoluait… Pourtant, comme j’en étais encore au début de mon Gardiennage, je ne maîtrisais pas encore de nombreux pouvoirs. Je pouvais déjà me fondre dans les ombres quasi-instantanément à présent, mais je ne pouvais pas encore faire apparaître un objet dans ma main comme Lucia pouvait le faire avec facilité. Quant à l’absorption de l’essence vitale des êtres, ma cible devait être immobile et non-humaine. Bien sûr, seuls les êtres vivants possèdent une essence vitale à absorber, mais je ne pouvais pas encore le faire sur un humain ni sur une cible mouvante, même si j’y parvenais parfaitement sur un autre être vivant s’il restait immobile, comme une plante par exemple. Non pas que j’étais impatient de pouvoir faire mourir un être humain ; je voulais simplement dire par-là que mes Pouvoirs n’étaient pas encore arrivés à maturité étant donné que, comme l’avait fait remarquer Jaspar, j’étais encore un "débutant" dans le domaine.
Un Gardien possède souvent plusieurs pouvoirs associés à sa Force, qu’il découvre ou maîtrise au fur et à mesure qu’il gagne de l’expérience. Les plus doués parviennent même à développer certains nouveaux pouvoirs, et pas seulement à maîtriser les anciens que les générations précédentes de Gardiens de la même Force qu’eux maîtrisaient. C’est ainsi que les Gardiens contribuent à protéger et développer l’Univers : en développant la Force dont ils ont la garde. Ils font bien certaines missions "sur le terrain", sur un monde-né, sur Utopia, ou sur la Terre, de temps en temps. Mais ces missions sont souvent une simple routine, on surveille que tout se passe bien dans l’éco-système des différents mondes qu’on protège et on intervient lorsque c’est vraiment nécessaire. On le fait en s’assurant qu’il n’y a pas de témoins à notre action non plus. Lorsqu’on s’apercevait qu’il y avait des témoins, un simple "zapping" de leur mémoire immédiate leur faisait oublier les quelques minutes durant lesquelles ils nous avaient vus, on disparaissait vite fait, et l’histoire était réglée. En revanche, il fallait agir vite, étant donné que plus le souvenir datait de loin, plus il était en quelque sorte "imprimé" dans la mémoire du témoin, et plus il était difficile –et dangereux pour le sujet– d’effacer la partie "gênante" de ses souvenirs, surtout lorsqu’il s’agissait d’un enfant, comme la petite fille que j’avais dû… éliminer cette nuit-là, la petite fille aux yeux noirs qui me disait que sa plus grande peur était moi. D’ailleurs, après cette mission-là, j’avais fait quelques recherches sur sa famille et elle. Le rapport de la Brigade Spéciale n’avait pas jugé utile de mentionner les prénoms des membres de cette famille. Ils n’étaient désignés que sous la mention de "cibles", avec un numéro. Je pense qu’en fait, ils ne voulaient pas qu’on s’apitoie encore plus sur cette famille, et c’est ce qu’on aurait fait s’ils nous avaient donné leurs prénoms, comme s’ils les avaient encore plus "humanisés" en faisant ça. Alors la Brigade avait jugé préférable de les désigner par des numéros. Vous ai-je déjà dit qu’un numéro était anonyme et remplaçable ? Oui, je l’ai déjà fait, je m’en souviens…
La petite portait le numéro 4. Elle était la cible numéro 4 car elle était la plus jeune du groupe de "cibles". Et pourtant, c’était elle la plus… importante, car c’était elle qui avait servi de guide vers le monde-né pour sa famille. Elle s’appelait Ariane. Elle portait bien son prénom… ironiquement parlant, je veux dire. Le fil des rêves d’Ariane les avait conduits, elle et sa famille, en plein dans la gueule du Minotaure.[1] Et le monstre dans cette histoire… C’était moi, en définitive…
Vérité 2 : Les voix des Anciens sont impénétrables. [2]
Craignant de parler à Thephys de l’évolution que je pouvais observer sur le symbole de l’Ombre sur mon poignet, j’avais pris conseil auprès du collègue qui me semblait le plus expérimenté et qui avait prouvé de par le passé qu’on avait la même opinion sur bien des choses : Jaspar. Il m’avait conseillé d’aller parler aux Anciens de ce qui me causait du soucis et ayant suivi ce conseil, j’étais à présent embarqué sur la navette qui menait à l’endroit reculé où les Anciens habitaient.
Les Anciens sont liés au Conseil Suprême de l’Univers mais n’interviennent pas dans la formation ni le choix des Gardiens, ils ne font que conseiller et assister les Gardiens à des périodes importantes de leur carrière, au début, à l’apogée et à la fin. Un Gardien n’a le droit de faire appel à eux qu’à trois reprises au maximum durant toute sa vie : une fois durant les cinq premières années de sa carrière, une fois durant les mois précédant la passation de son Pouvoir à son successeur –c’est à dire peu avant la mort de l’ancien Gardien– et une fois durant le reste du temps. Il était laissé au Gardien le soin de juger quand il était nécessaire pour lui de faire appel aux conseils des Anciens. C’était à la fois une manière de responsabiliser les Gardiens et à la fois pour éviter les abus, je suppose. Car étant donné le nombre de Gardiens qu’il y avait, s’il n’y avait pas eu cette limitation à trois entrevues maximum, et si les Anciens devaient répondre présent toutes les fois où il prenait envie à un Gardien de les questionner… ils n’auraient plus su où donner de la tête !
Arrivée à la dernière gare de la ligne, la navette s’arrêta et le haut-parleur annonça dans tous les wagons que c’était le terminus. Je me levai calmement et descendis sur le quai. Ayant décompressé durant le voyage, j’étais à présent plus détendu qu’auparavant, bien qu’encore un peu anxieux. Je ne savais même pas à quoi ressemblaient les Anciens. Etaient-ils seulement humains, me demandai-je avec appréhension.
Je décidai qu’il était inutile de se préoccuper par avance de ces questions sans réponses, et qu’il fallait laisser les choses venir. Prenant une grande inspiration, je me dirigeai vers la sortie de la gare. Le jour déclinait déjà à l’horizon, je continuai donc mon voyage vers le domaine des Anciens avec le crépuscule pour compagnon de route.
Après une courte marche à pied, j’arrivai à destination. Il y avait une sorte de corde dorée, affublée d’un pompon grandiloquent au bout, qui pendait à côté de la porte. Sur le nœud du pompon était attaché un petit papier sur lequel était écrit "Tirez-moi."
"Je suppose que c’est la sonnette de la porte", pensai-je en m’efforçant de ne pas faire à voix haute une remarque déplacée à propos du "Tirez-moi"…
Je tirai sur la corde, une gigantesque cloche d’étain chuta et alla s’écraser à dix centimètres de mon pied droit, dans un vacarme infernal de métal concassé. [3]
« Oyo ! »
En clignant les yeux, je dissipai de la main la poussière qui s’était élevée depuis l’endroit où la cloche s’était plantée dans le sol. C’était une cloche d’une tonne et demi, tout à fait banale… si on passait sur le fait qu’elle m’aurait incontestablement aplati sous son poids si elle était tombée quinze centimètres plus à gauche.
« Oyo…, commentai-je, encore un peu choqué.
- Vous désirez ? demanda un majordome, habillé en uniforme blanc à bordure vert sombre, en ouvrant tout à coup la porte.
- Oyo… Euh, je veux dire : bonsoir. Excusez-moi de vous déranger à cette heure tardive. Je voudrais avoir une entrevue avec les Anciens, je vous prie…
- Avez-vous un rendez-vous ?
- Euh… Non, je ne savais pas…
- Prenez rendez-vous et revenez ce jour-là, alors ! conclut le majordome en me fermant la porte au nez.
- Humpf ! » soufflai-je avec mécontentement devant la porte fermée.
Je frappai des coups répétés sur la porte en appelant poliment mais d’une voix forte : « Excusez-moi ? …Excusez-moi ? …S’il vous plait ! »
Au bout d’un moment, la porte s’ouvrit à nouveau sur le même majordome.
« Oh, c’est encore vous ? remarqua t-il avec un dédain à peine caché.
- Oui, fis-je en me forçant à garder mon calme poli. Auriez-vous l’obligeance de me dire par quel moyen je dois prendre rendez-vous avec les Anciens ? Téléphone, courrier, fax, e-mail, porteur spécial en uniforme.. ? »
Le majordome me regarda d’un œil sévère, loin d’être amusé par mes propos sarcastiques.
« Vous devez aller les voir en personne et solliciter une entrevue avec eux. » me répondit-il sans démordre de son ton dédaigneux.
Je clignai les yeux en essayant de comprendre ce qu’impliquait la phrase qu’il venait de prononcer.
« Je dois aller les voir pour demander une entrevue avec eux…? répétai-je avec perplexité. Hum, bien… Alors… Puis-je aller les voir maintenant, pour leur demander cette fameuse entrevue…?
- Bien sûr que vous le pouvez…
- Ah ! fis-je avec un sourire. J’y vais alors, merci… »
Le majordome me retint fermement par le bras lorsque je commençai à entrer dans la grande demeure des Anciens :
« Vous pouvez aller les voir maintenant SI vous avez un rendez-vous pour ce jour-ci à cette heure précise, déclara t-il avec sérieux.
- Huh ? »
Je m’arrêtai net et le regardai dans les yeux. Je me demandai ce qu’il avait fumé ou bu avant d’ouvrir la porte…
« C’est la règle, me dit-il. Vous devez avoir un rendez-vous pour voir les Anciens.
- A-attendez, vous vous moquez de moi, hein ? Dites-moi que c’est une blague. C’est sûrement une plaisanterie… Oui, ça doit être ça, héhé ! »
Il anéantit tout l’espoir que je misais sur le fait que tout ça devait seulement être une mauvaise plaisanterie :
« Pas du tout. C’est la règle.
- Mais… M-mais c’est pas du tout logique, votre truc ! m’écriai-je. C’est n’importe quoi !!
- C’est la règle. »
Sans se départir de son flegme, il me referma à nouveau la porte au nez, après m’avoir repoussé à l’extérieur.
« Oyooo… »
J’étais surpris, c’est le moins qu’on puisse dire.
« Grrrrrrrrrrrrrrrumpf !! »
Après un court moment de rogne (je donnai un grand coup de pied dans la porte), et un fulgurant moment de douleur (je me fis très mal au pied car la porte était solide), j’entrepris d’analyser calmement la situation : « Qu’est-ce que c’est que cette règle de %$#$£ !! » (Et j’étais poli). Une fois la situation stoïquement analysée et disséquée… (« J’m’en vais leur fiche mon poing dans la g… et leur dire où ils peuvent se fourrer leur règle à la %$ù qu’est aussi logique qu’un écureuil roux à poils longs bourré à la Vodka !! »), j’entrepris d’agir avec tout le savoir-vivre qui caractérisait une personne de mon rang social et de mon envergure…
« Fire… BAAAALLL !! »[4]
Hum ! Non, rassurez-vous : là, je plaisantais.
Je dois avouer que j’avais très envie de réduire tout ce manoir en ruines, mais je ne pouvais décemment pas le faire, car tout acte (surtout celui d’anéantir la demeure des Anciens) porte à conséquences et je ne tenais pas à me faire hacher menu par le Conseil de l’Univers.
Poussant un profond soupir, je décidai de recourir à un moyen moins destructeur de m’introduire dans ce manoir auquel on m’avait refusé l’accès. J’élevai la main gauche vers mon front et n’eus même plus besoin de me concentrer : je maîtrisais à présent très bien la transmutation. L’instant d’après, sous la forme d’ombre, je me glissai tranquillement sous la porte en chêne du manoir et pénétrai enfin dans la demeure des anciens.
Passé le hall, j’entendis des éclats de rire que je suivis instinctivement pour essayer d’en découvrir la source. Je parvins à une grande pièce au mobilier sobre mais qui semblait très coûteux malgré sa sobriété. Il y avait là trois jeunes enfants assis en rond sur le sol. Ils avaient les yeux fermés, comme s’ils étaient endormis ou très concentrés à quelque jeu silencieux. Les rires se répétèrent, se répercutant en écho d’une manière lugubre dans la grande pièce qui n’abritait en ce moment que ces trois enfants silencieux et moi-même. Etant toujours sous ma forme d’ombre, je m’approchai des enfants et en fis le tour. Une fille et deux garçons d’environ six à sept ans, huit ans tout au plus. Les rires se répétèrent, les enfants restèrent les yeux fermés, parfaitement immobiles hormis leur poitrine qui se soulevait légèrement au gré de leur respiration.
Au moins, ils étaient toujours vivants, pensai-je… Je fus surpris par la propre réflexion que je venais de me faire.
Encore les rires.
"Qui donc est en train de rire ?" me demandai-je avec perplexité.
« Oh, on l’a bien eu, ce Gardien ! »
Une voix de petit garçon venait de résonner dans ma tête. Aucun des enfants n’avait bougé ni parlé… Voilà que j’entendais des voix dans ma tête…! Et la voix ne ressemblait pas le moins du monde à ma conscience que j’entendais parfois. Oyo…
« Hihihi, la tête qu’il a fait en disant "Oyo !", c’était trop drôle ! »
Une petite fille qui gloussait de rire.
« On a peut-être exagéré, non.. ? »
Un petit garçon, à la voix différente du premier, qui hésitait.
« Oh, Alphy ! Tu n’es qu’un rabat-joie ! »
La petite fille qui parlait d’une voix boudeuse.
« C’était peut-être important… Il avait l’air de… d’avoir un problème. Peut-être qu’on aurait dû l’aider…
- Alpha, les Gardiens n’ont JAMAIS de problème ! Ils viennent juste nous embêter, voir de quoi on a l’air, et poser des questions idiotes ! Des questions dont ils connaissent déjà la réponse, le plus souvent.
- Mais…
- Ils savent qu’ils ne peuvent venir nous voir que trois fois dans leur vie alors avant de passer leur Force à un jeunot, ils viennent nous embêter, juste histoire de ne pas "gâcher" les trois "chances" qu’ils ont de nous rencontrer ! »
Le premier garçon venait de parler d’une voix découlant d’ironie et de sarcasme.
« Omega… Ce Gardien m’avait l’air un peu jeune… Peut-être qu’il manquait réellement d’expérience et avait besoin de notre aide ?
- Ils font toujours plus jeunes que leur âge. Tout comme nous.
- Il n’empêche que…
- Et qu’est-ce que tu veux faire, alors ?! Lui courir après pour le rattraper et l’inviter à entrer pour qu’on réponde à ses questions ?!
- Et pourquoi pas.. ?
- Ça va pas la tête ! On ne va pas faire ça ! On est les Anciens, on a notre fierté, quand même !
- …
- Pff, t’es trop sérieux, Alphy. Faudrait te décoincer un peu, un de ces jours !
- Nous sommes trop vieux pour faire ces blagues de gamins…
- Alpha, nous SOMMES des gamins. Rappelle-toi bien cela. »
Trop vieux…? Des… des gamins ?! Qu’est-ce que…
Je repris d’un coup ma forme humaine. Les enfants sursautèrent, comme s’ils avaient soudain enfin senti ma présence, et ouvrirent les yeux. Leur yeux s’agrandirent un peu plus lorsqu’ils me virent qui les toisais de toute ma hauteur. Ils commencèrent à ouvrir la bouche pour parler. Je fus plus rapide qu’eux.
« Vous êtes les Anciens, je suppose ? dis-je en plissant mes yeux de rage.
- … O-oui. » répondit la petite fille tandis que ses deux jeunes amis restaient muets de surprise. Ou peut-être de peur.
« Permettez-moi de me présenter : je suis Laekh Traumen, le Gardien de l’Ombre… »
Je les regardai tour à tour, et les vis qui avaient du mal à soutenir mon regard, comme s’ils étaient conscients qu’ils avaient fait une bêtise. Ou comme s’ils avaient peur des représailles.
« Je viens vous prier de me porter conseil. » fis-je humblement en mettant un genoux à terre pour me prosterner devant eux.
Vérité 3 : Détails.
« Nous ne vous avions pas senti arriver, Gardien de l’Ombre.
- Lorsque je suis sous ma forme d’ombre, il est plus difficile de percevoir ma présence.
- Nous sommes désolés de vous avoir fait ces blagues. D’abord la cloche mal accrochée et puis le majordome récalcitrant, et aussi cette soit-disant règle du rendez-vous préalable…
- Vous n’êtes pas vraiment désolés, remarquai-je tranquillement. Mais j’accepte ces excuses impliquées. »
Je vis les Anciens rougir légèrement en évitant mon regard. Je ne pouvais me permettre de leur manquer directement de respect en m’adressant à eux, mais je pouvais toujours impliquer que je n’étais pas dupe.
« Heum…, toussota l’un des "petits garçons" pour se donner une contenance. Vous pouvez formuler votre requête, nous ferons de notre mieux pour y répondre positivement.
- Mais d’abord… les présentations !! »
La "petite fille" sautilla sur place en tapant joyeusement dans ses mains, ses deux couettes de cheveux roses dansèrent avec elle.
« Je suis Delta. Lui, c’est mon frère Omega » annonça t-elle en désignant du pouce le garçon aux yeux dorés et aux cheveux verts, courts et savamment décoiffés. Il me fit un petit signe de la main pour me saluer.
« Et lui, c’est Alphy, mon autre frère, continuait Delta en montrant l’autre garçon.
- Alpha, rectifia ce dernier d’une voix sérieuse, en ramenant derrière son oreille une mèche de ses longs cheveux bleus.
- C’est le "sérieux" de la bande ! ajouta Delta à voix basse en m’adressant un clin d’œil complice. Et c’est aussi le plus vieux de nous trois. C’est un vieux rabat-joie ![5]
- Ce genre de précision est inutile, Delta, remarqua Alpha d’une voix maussade, une goutte de sueur sur la tempe.
- Comment pouvons-nous vous aider, aloooors ? » me demanda Delta avec un sourire chafouin.
Posément, je leur expliquai mon petit "problème", leur parlant du symbole changeant, de mes doutes et des angoisses que cette découverte avait provoqués en moi. Après mon exposé, les Anciens étaient perplexes.
« Ce phénomène ne s’était encore jamais produit jusqu’à présent…, remarqua Delta.
- Du moins depuis que nous occupons ce poste, précisa Omega.
- Depuis quand occupez-vous cette fonction ? demandai-je par simple curiosité. Euh, du moins si ce n’est pas trop indiscret…
- Nous avons arrêté de compter après l’année… euh… en quelle année c’était, Alphy ?
- Nous avons arrêté les comptes à la 24612ème année après notre accession au poste. » répondit-il tranquillement.
Je dus me retenir de tomber à la renverse devant cette révélation.
« Vous faites… très jeunes pour votre âge… »
L’instant d’après, je me frappai le front de la main.
« Duh ! Ma remarque était stupide, excusez-moi, leur dis-je tout penaud.
- Pas de soucis ! me rassura Delta avec un sourire.
- Pour en revenir au problème qui nous occupe, voyez-vous une quelconque précision à apporter, pour nous faire gagner du temps dans nos recherches ?
- Bah ! Du temps, on en a à la pelle !
- Le Gardien de l’Ombre n’en aura pas autant que nous à perdre, Omega, remarqua Alpha en lui jetant un regard en coin.
- Oups ! Désolé, j’oublie toujours ce petit détail ! se justifia l’autre avec un petit rire gêné en se frottant la nuque.
- Heum, ce n’est rien, répondis-je poliment, pris de tics nerveux, en m’efforçant de ne pas me noyer dans ma goutte de sueur. Ce n’est en effet… (tics nerveux) qu’un détail… (tics nerveux) minuscule…
- Bref, reprit Alpha, pour nous faciliter la tâche, n’hésitez pas à nous donner tous les détails de l’affaire. Tout ce qu’il vous passe par la tête, toutes les anecdotes dont vous vous souvenez. Et même si ça vous paraît insignifiant, ça se révélera peut-être important en fin de compte. »
Ils me conseillèrent donc de leur faire par écrit le récit de tous les événements importants que je me rappelais depuis le jour de mon Examen Final de l’Ombre.
« Dois-je aussi vous narrer cet examen ? demandai-je, perplexe.
- Oui, ça peut être utile pour nous aider à comprendre la raison de l’évolution de votre symbole. Tout ce qui vous a marqué.
- Euh, et juste après ça… je dois mettre tous les évènements qui m’ont marqué ? Même ceux qui sont… personnels et un peu plus intimes ?
- Quel genre d’évènements intimes ? demanda Alpha, intrigué, qui n’avait pas encore bien compris.
- Ben… Du genre, avec mon petit ami…, précisai-je d’une voix basse et gênée.
- Votre… petit ami ?! s’écria Delta tout à coup très intéressée. "Petit" au masculin ?![6]
- Euh, c’est ça…
- Oh oui, oh oui !! DES DETAILS !! hurla t-elle en sautillant, juste avant qu’Alpha ne lui mette la main devant la bouche pour la faire taire.
- Mhhhh ?? fit-elle, muette malgré elle.
- Tais-toi ! ordonna Alpha d’une voix sévère. Ta curiosité frise le malsain !
- Hum, veuillez l’excuser, dit Omega avec un sourire gêné, en rougissant légèrement. Votre vie privée ne nous paraît pas indispensable au rapport. Surtout pas les détails, surtout pas.
- Ah d’accord, merci, dis-je soulagé par cette réponse.
- Ramenez nous votre rapport quand vous le jugerez suffisamment complet, conclut Alpha, la main toujours sur la bouche de sa sœur qu’il maintenait dans une étreinte d’étau tandis qu’elle commençait à se débattre avec les pieds et les bras.
- Mais le plus tôt sera le mieux, ajouta au dernier moment Omega avec sérieux, tandis que je prenais congé des Anciens. Le plus tôt possible… »
En sortant, je crus entendre une voix dire "situation d’urgence !" puis les mots "contacter", "crise" et "Conseil". Comme à ce moment-là, je me trouvais en rase campagne avec pour seule habitation dans un rayon de 2 km, le manoir des Anciens dont la seule ouverture sur cette façade était cette grande porte d’entrée à présent fermée et verrouillée, je me dis que mon imagination me jouait simplement des tours.
J’avais tort.
Ce soir-là, je n’avais pas encore compris que je venais d’acquérir un nouveau pouvoir : celui dont Lucia avait parlé au début de l’Examen, le pouvoir de percevoir les pensées des autres. Avant mon entrevue avec les Anciens, j’avais "intercepté" la conversation qu’ils se faisaient par télépathie. En sortant de chez eux après l’entrevue, les voix que je venais d’entendre n’étaient donc pas un tour de mon imagination… Mais ça, je ne le savais pas à ce moment-là.
Pas encore.
Au dehors, notre lune était déjà haute dans le ciel hivernal, signe que l’heure était bien tardive. Enfilant le pardessus blanc que j’avais à la main, j’en relevai le col pour me couper du vent qui était devenu un peu trop froid à mon goût.
Je ne pouvais utiliser mon pouvoir de transmutation pour rentrer à la maison : en ce temps-là, je ne pouvais rester sous la forme d’ombre qu’une demi-heure au maximum. A présent, je parviens à tenir un peu plus de deux heures. Le progrès est possible dans tous les domaines, voyez-vous. Mais la distance me séparant de la maison était bien trop grande pour être parcourue en seulement trente minutes, même sous la forme d’ombre. Si je dépassais la limite que mes capacités physiques me permettaient, je courrais le risque de disparaître à jamais dans les ombres. Et ça, croyez-moi, ce serait assez… déplaisant pour moi. Donc malgré l’heure déjà tardive, je me résignai à me rendre à la gare, pour y attendre la dernière navette qui ne me ramènerait à la maison qu’après un long et fatigant trajet de deux heures.
En ce temps-là, ce que j’appelais "la maison" était la demeure de Thephys. A présent, je n’ai plus de "chez moi"…
Parfois, au risque de paraître gâteux ou de me sentir vieux, je me dis qu’autrefois, c’était le bon vieux temps… Des regrets ? Peut-être en ai-je parfois, en effet… Parfois seulement.
Vérité 4 : La bague au doigt, la corde au cou, la cage au cœur.
Finalement, je ne pus rentrer qu’au petit matin. Figurez-vous que j’avais raté la dernière navette en partance de la gare des Anciens. Eh oui, je vous l’avais bien dit : j’avais toujours eu de la chance dans la vie ! Et du coup, j’avais dû dormir dehors, à la belle étoile : il n’y avait pas la moindre petite auberge aux environs, et j’aurais été bien trop gêné de demander l’hospitalité aux Anciens pour la nuit. Je ne rentrai donc, enrhumé et fiévreux, qu’au petit matin. Dormir dehors par temps d’hiver avec un simple pardessus pour toute protection n’était en effet pas conseillé. Ce fut d’ailleurs la première fois que je tombai malade. Il y avait un début à tout, ce médecin l’avait bien prédit. Heureusement, cette mauvaise langue n’eut pas le loisir de me compter parmi ses patients : deux jours plus tard, j’avais déjà complètement guéri. Et sans l’aide d’aucune médecine, en plus !
… Mais revenons à notre histoire…
Ce jour-là, en reniflant, j’ouvris la porte - ou du moins je m’apprêtais à le faire, clé à la main, lorsqu’elle s’ouvrit brusquement, révélant dans l’embrasure le visage mi-soulagé, mi-coléreux de Thephys.
« Laekh ! s’écria t-il en me voyant.
- Eh oui, c’est moi…, répondis-je sans entrain, bien trop fatigué pour comprendre ce qu'impliquait le ton que Thephys avait pris.
- Et c’est tout ce que tu as à dire ?!
- Hein ? ânonnai-je en reniflant à nouveau, regrettant de n’avoir aucun mouchoir sous la main.
- Tu découches sans me prévenir, tu me laisses m’inquiéter toute la nuit… – je n’ai pas fermé l’œil de la nuit !! »
En y regardant de plus près, je remarquai en effet ses traits tirés et sa mauvaise mine.
« De TOUTE la nuit !! répéta t-il en hurlant presque. Tu daignes rentrer seulement au petit matin pour m’éviter de prévenir la police de ta disparition, et tout ce que tu as à dire, c’est "Eh oui, c’est moi" ?!
- Euh… T’aurais pas aussi un mouchoir, s’il te plait.. ? »
Cette fois, ce fut au tour de Thephys de dire "Hein ?" avec surprise. Je reniflai et lui demandai à nouveau un mouchoir en papier. Estomaqué, il agita ses bras en l’air en faisant "Aaargh, tu es vraiment impossible !!" puis il me referma la porte au nez. Violemment. Et sans me donner de mouchoir, en plus. Et après, c’est moi qu’on traite de méchant sans cœur… Tss !
Laissé à la porte de cette façon, ma première réaction fut de cligner les yeux d’un air hébété. Puis trop fatigué pour chercher à comprendre les raisons qui avaient fait agir Thephys de la sorte, je m’assis sur les marches de pierre qui menaient du perron au parc du manoir. Je posai le menton dans mes bras et ainsi assis, je m’endormis presque aussitôt.
Lorsque je me réveillai, j’étais bien au chaud dans un lit douillet. Thephys était assis près de là et soupira en me voyant réveillé.
« Je suis désolé de t’avoir laissé dehors alors que tu es malade, me dit-il d’une voix douce. Il faut comprendre que j’étais en colère contre toi. Je m’étais fait tant de soucis en ne te voyant pas rentrer cette nuit !
- Ah oui…, me rappelai-je. J’avais oublié de te prévenir : je suis allé chez les Anciens pour leur poser une question concernant le travail. Et j’ai raté la dernière navette du retour. J’ai passé la nuit dehors… Pardon de t’avoir causé des inquiétudes… »
Je me blottis un peu plus contre l’oreiller et fermai mes yeux fatigués.
« Ce n’est rien, entendis-je Thephys dire. Je suis heureux qu’il ne te soit rien arrivé de grave…
- Moi non plus je ne sais pas ce que je ferais si je te perdais… Je t’aime, Thephys… »
Ma voix, lointaine à moi-même, me parvint juste avant que je ne m’endorme à nouveau.
Le soir venu, j’étais sur pied. Encore un peu fatigué mais déjà debout. Thephys était dans la bibliothèque, un livre à la main. Il le posa et alla à ma rencontre en souriant lorsqu’il me vit arriver.
« Tu vas mieux ? me demanda t-il en m’embrassant sur la joue.
- Beaucoup mieux, merci.
- A la bonne heure ! »
Il tourna les talons et revint vers son bureau pour y continuer le rangement de documents.
« Thephys ? appelai-je timidement en avançant vers lui.
- Mhh ? fit-il distraitement à mon égard, les yeux toujours rivés sur ses papiers. Qu’est-ce qu’il y a ?
- Je… je voulais te donner… ceci… »
Sortant de ma poche un petit écrin noir, je le posai sur le bureau, juste devant Thephys. L’air intrigué, il ouvrit l’écrin et… une gigantesque goutte de sueur se mit à danser sur sa tempe.
« Qu’est-ce que… tu veux que je fasse… d’une bague pour femme… ? articula t-il avec peine en se retenant à la table pour ne pas tomber à la renverse. Je sais que… je n’ai pas l’air assez "macho"… mais quand même… !
- Ce… Ce n’est pas qu’une bague pour femme. C’est… C’était l’alliance de ma mère… »
En silence, il leva des yeux étonnés vers moi. J’étais de plus en plus gêné. A voix basse en baissant les yeux, je me mis à marmonner quelques explications :
« Ma mère est morte à ma naissance, mon père est mort quand j’avais à peine quatre ans, tu le sais déjà… Ils étaient loin d’être riches et sont morts jeunes. Je ne possède rien. Tout ce qu’ils m’ont légué, c’est cette bague et quelques trucs que j’ai vendus il y a quelques années pour me faire un peu d’argent. La seule chose qui a un peu de valeur et qui est à moi, c’est cette bague. J’y tiens beaucoup… Et comme maintenant, je tiens encore plus à toi et que tu as encore plus de valeur à mes yeux de toutes les bagues d’Utopia réunies… je voulais juste te donner cette alliance… Elle a de la valeur pour moi mais sur le marché, elle vaut à peine le prix d’un de tes vases. Et… que tu ne veuilles pas de cette bague, je peux le comprendre… Je… suis désolé… »
La tête toujours baissée, je me saisis de l’écrin et de son contenu. Je m’apprêtais à l’empocher et à sortir hâtivement de la pièce lorsque Thephys m’arrêta en posant sa main sur la mienne.
« C’était vraiment… Je… je suis très… » commença t-il avant de s’arrêter, faute de mots. Finalement, il se blottit dans mes bras en souriant.
« Ce que tu as dit m’a vraiment touché, dit-il d’une voix basse qui tremblait légèrement d’émotion. Si tu veux toujours me donner l’alliance de ta mère, je l’accepte de tout cœur. Je la garderai et je la chérirai toujours…
- Tu… Tu en veux bien ?
- Bien sûr ! Un cadeau est un cadeau, tu n’as pas intérêt à le reprendre ! » ajouta t-il d’un air coquin.
L’alliance passa de mes mains aux siennes. Thephys la sortit de l’écrin et l’examina de plus près.
« Je ne crois pas que je pourrai la mettre au doigt...
- Je comprends tout à fait: le style est un peu trop féminin. Même pour toi…
- Euh, oui… mais elle est aussi un peu grande pour moi, ajouta t-il en enfilant la bague à son majeur.
- En effet, dis-je en remarquant la bague qui commençait à glisser de son doigt quand il baissa la main et l’agita pour test.
- Alors… je vais la porter sur ma chaîne, avec le pendentif que m’a donné Sho ! »
Il joignit le geste à la parole et enfila la bague sur la courte chaîne en argent qu’il portait au cou, le pendentif en forme de feuille de Shoran étincela un court instant sous la lumière, comme pour souhaiter la bienvenue à la bague.
« Ça me va bien ? me demanda t-il en désignant sa chaîne.
- N'importe quoi t'irait à ravir, Theph…
- Oh, vil flatteur ! gronda t-il en riant.
-Semi-officiellement, tu es à moi, maintenant ? » fis-je en plaisantant seulement à moitié.
Il soupira et sourit en posant sa joue contre la mienne avant de répondre : « J’ai toujours été à toi… Je t’aime. »
En le serrant contre moi, je repoussai de côté la pensée insidieuse qui me parvint à ce moment-là. Mais lentement, elle fit son chemin dans mon esprit. Elle me disait que j’étais en train de me laisser emprisonner par Thephys, que je deviendrais dépendant de lui comme lui l’était déjà de moi. La corde au cou, ou plutôt la chaîne au cou de Thephys le prouvait. Même la grammaire donnait raison à la voix : dans le "je t’aime" de Thephys, la simple lettre me représentant était encadrée du "je" qui le désignait et du verbe qui oppressait le T solitaire. La phrase ainsi formée, le complément ne pouvait plus s’en échapper. C’était autant une déclaration pleine de tendres sentiments qu’un ignoble enfermement. Les bras qui m’enlaçaient avaient beau être attrayants, il n’en restait pas moins qu’ils s’accrochaient à moi d’une manière possessive. Une cage aux barreaux dorés emprisonne l’oiseau aussi bien qu’une cage en fer. En fait, une cage dorée est encore pire qu’une cage normale : elle est si attrayante que le captif risque de s’y plaire et finit par ne plus vouloir retrouver sa liberté…
J’avais de plus en plus cette désagréable sensation d’être un oiseau en cage. Un oiseau dans une cage aussi dorée que l’alliance que j’avais offerte à Thephys.
*****
Notes :
J'ai trouvé ce chapitre assez amusant, pas vous ? Surtout les scènes avec les Anciens. C’était afin de contraster avec le chapitre précédent qui était trop sérieux. Et dire que j'ai décrit l’arrivée chez les Anciens sans même savoir où j'allais ! … Euh… Réflexion faite, tous mes chapitres sont écrits ainsi, en fait… -_-; Et ce chapitre est trop long aussi… -_-; Mais ça aurait pu être pire, dites-le-vous bien !
[1] Référence au mythe de Thésée et le Minotaure. Prière d'aller faire une recherche rapide dans un dictionnaire si vous ne connaissez pas ce mythe. (Et dans ce cas, je désespère vraiment de votre culture générale…)
[2] Jeu de mots voix/voies. Ne faites pas attention à mes jeux de mots tordus qui n'amusent que moi.
[3] Symphonie pour cloche en dégâts mineurs… (n’oubliez pas d’aller voir le ficart correspondant à ce chapitre dans la section ficarts Fantaisie Ultime/Point de Vue. Je sais, il est débile, j’en ai honte, mais Angie tient à ce que vous voyiez son horr.. euh, son ficart parodique…)
[4] C’est le genre de réaction qu’aurait Lina Inverse (Ah, ma muse..! *soupir rêveur* …malgré son manque de *tousse* formes féminines… *tousse*) de Slayers (tout droits détenus par Hajime Kanzaka et je-ne-sais-plus-trop-qui-ils-sont-trop-nombreux)
[5] Riiiime ! ^_^ …Heum, pardon, je m’égare… -_-
[6] Etre un pilier de sagesse sur Utopia n’empêche pas de se comporter en gamine farceuse, ni d’être fan de yaoi. XD
A venir :
Acte XII : Il y a une fin à tout.
(Un conseil : ne pas trop se fier au titre des chapitres)
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