La Bibliothèque de la ShinRa corp.

 

 

 

Point de Vue

 

 

Acte X : Adieu, mon Cœur.

 

 

Scène 1 : Comédie et tragédie. Ou le nom changeant des choses.

 

Il est amusant de constater à quel point la destinée humaine est comparable à une pièce de théâtre. Hum… Non, permettez-moi de reformuler mon propos : c’est le théâtre qui est semblable à la vie.

J’ai toujours éprouvé une certaine attirance fascinée pour le théâtre, l’opéra et la musique classique. Je ne dirais pas que j’aime ces formes d’art, juste qu’elles m’attirent. Tout comme Alisyen m’attirait même si je n’éprouvais aucun sentiment tendre envers elle. En quelque sorte, je pense que cette comparaison est la plus appropriée pour vous expliquer ma situation.

Je vous prierais de ne pas me faire remarquer que mes goûts artistiques et musicaux sont ringards, et de réfléchir au fait que, que nous le voulions ou non, la vie et le théâtre sont des jumeaux étrangement différents, des adversaires étrangement semblables : ne jouons-nous pas un rôle, tous autant que nous sommes ?

J’ai beau ressentir un certain mépris envers l’hypocrisie, il n’en est pas moins que je la pratique à outrance. J’ai beau vouloir me différencier des autres, il n’en est pas moins que je me fonds dans la masse comme je me fonds dans les ombres lorsque j’utilise l’un des Pouvoirs associés à la Force dont j’ai la garde. Et j’ai beau vouloir passer inaperçu, on ne m’en remarque que mieux. Je le regrette, mais c’est ainsi, la contradiction a toujours fait partie de moi-même. C’est peut-être ce qui fait la complexité de mon caractère, vous diront certains. Et c’est ce qui fait certainement mes "troubles psycho-affectifs d’ordre relationnel et social" vous dira mon ancien psychiatre. Mon ancien psychiatre qui est hélas décédé des suites d’une chute libre depuis sa terrasse en haut d’un immeuble de vingt étages. La police a classé cette affaire dans les accidents, la rambarde de la terrasse ayant cédé sans aucun signe de sabotage. Mais à mon avis, il ne s’agissait pas d’un accident. Il m’est avis que le meurtrier, si meurtre il y a eu, a été assez intelligent et calculateur mais plutôt nerveux pour avoir fait ça…

Hum, mais voilà que je me mets à digresser. Veuillez m’en excuser.

Donc comme je l’avais auparavant dit, la vérité est immuable mais changeante. Je peux trahir beaucoup de monde, j’en éprouverai toujours par la suite un vague remord dû aux quelques notions d’éducation que j’ai reçues dans mes différents orphelinats. En me trahissant moi-même, je n’éprouverais en revanche aucun sentiment. Mais puisque ceci est MA vérité, je me dois de rester fidèle à moi-même en la racontant. Et c’est pour cela qu’il me faut expliquer les raisons qui ont précipité ma chute, même si cela ne me déplait pas tellement d’avoir le mauvais rôle dans les récits que font les autres de mon histoire… Heh, je n’y peux rien si la société est devenue si tordue que les méchants apparaissent souvent bien plus intéressants que les gentils héros mièvres.

 

Depuis longtemps, j’avais toujours eu la mauvaise impression d’avoir été utilisé par le système d’Utopia. En fait, malgré la haute distinction qui leur est accordée, les Gardiens sont tous, d’une certaine manière, utilisés puis jetés comme des marchandises dispensables ; remplacés par d’autres lorsqu’ils ne servent plus. Je ne sais si j’ai été le seul -ou le premier- à avoir fait cette triste constatation. Peut-être mes prédécesseurs avaient-ils fait la même constatation puis avaient fini par se résigner à leur sort, afin de ne pas perturber le système en place, afin de ne pas menacer l’Equilibre qui, on le leur avait dit et redit, était bien plus important que leur propre vie individuelle. Utopia fonctionne comme une ruche : l’individu n’est rien, l’Equilibre est tout. Je ne me permettrai pas de juger si ce système est bon ou mauvais, je ne fais qu’énoncer un fait : Utopia est une ruche où les Gardiens sont des marchandises dispensables résignées à leur sort de marchandises dispensables. N’est-ce pas merveilleux ![1] Une telle abnégation de soi pour la communauté, ha !

Moi-même aurais pu me résigner à mon sort, et me contenter de finir mes jours paisiblement aux côtés de Thephys, s’il n’y avait eu ma… ma différence par rapport aux autres Gardiens.

Comment puis-je l’appeler autrement que "différence" ? Cela me paraît un terme plus flatteur pour ma personne que… "imposture". Mais qu’importe le nom que porte la rose,[2] son doux parfum reste le même, tout comme ses épines restent tout aussi affûtées. Et peu importe le nom que porte la vilenie, son odeur de souffre persistera… persistera sur moi malgré toutes ces années.

Que puis-je ajouter ? Rien de ce que je pourrais dire pour me justifier, ne changera le fait que je n’aurais pas dû réchapper à l’Examen Final de l’Ombre. Par un incroyable concours de circonstances, j’avais accédé à une fonction et à un honneur que je ne méritais pas, et par-là même, j’étais aussi enchaîné à une peine capitale que je ne méritais pas, que je n’aurais pas souhaité même à mon pire ennemi. Car c’était bien une peine capitale que cette fonction de Gardien. Jusqu’à la mort, jusqu’à ce qu’on me trouve un "successeur", jusqu’à ma mort. On m’avait tout simplement condamné à mort. Mort honorable certes, mais quel que soit le nom que la mort porte, la fin reste la même. N’est-ce pas ?

Je sais ce que vous allez dire : cette fonction est un honneur, non une punition. Lucia m’avait elle aussi répété qu’il ne fallait pas considérer cela comme une "charge". C’est ce que tous les Utopiens, et surtout les Gardiens, pensent – ou disent, du moins : c’est un immense honneur qu’on obtient après bien des études et des épreuves, et non une charge. Mais j’ai toujours été différent des autres, je suppose. Peut-être même que je me rengorge de cette différence. Pour ma propre survie, j’avais appris à raisonner différemment des autres. « Tu raisonnes de travers ! » m’avait dit Thephys. Mais si je n’avais pas "raisonné de travers" depuis l’enfance, je n’aurais certainement plus été de ce monde -ni d’aucun autre- depuis bien longtemps.

Un enfant cherche en général l’affection, il cherche à se raccrocher à quelqu’un. Un jeune orphelin qui avait eu la "chance" de trouver des parents adoptifs affectueux se raccroche à eux. Et lorsque le malheur frappe à sa porte une seconde fois… faut-il aller ouvrir la porte.. ?

Un étudiant ayant eu le "malheur" d’obtenir des résultats scolaires si étonnants qu’on l’avait désigné comme tricheur, humilié devant tous ses camarades et marginalisé durant de longs mois… il ne s’enorgueillit pas d’une telle situation. Moi, je l’ai fait. Car pour moi, il vaut mieux être traité de tricheur et surveillé, que totalement ignoré, noyé dans la masse populaire. Et finalement, ma réaction a porté ses fruits, comme je vous l’ai raconté tantôt.

J’ai survécu parce que je raisonnais "de travers", que je pensais différemment des autres. Et c’est peut-être bien cette… différence que j’avais par rapport aux autres Gardiens, qui a fait que j’ai agi différemment des autres. Après tout, je peux me targuer d’avoir réussi à donner un grand coup dans le système d’Utopia, un grand coup qui ébranla le Conseil Suprême de l’Univers et qui le fait, encore maintenant, frissonner de peur et de colère à chaque fois que mon nom est prononcé.

Mais en vérité… je me serais bien passé de cette fierté. Ou peut-être pas… Car ne vaut-il pas mieux être craint et haï, qu’ignoré ? …… Oui, en effet, le mieux serait d’être respecté et aimé. Mais je n’ai jamais soutenu avoir été très aimable de par mes actes et mon attitude. On ne récolte que ce qu’on a semé, après tout.

…… Je devrais peut-être arrêter ces citations dignes de Lapalisse, ne pensez-vous pas ?

 

Scène 2 : Participe passé et protéines.

 

Il me serait aisé de dire que l’Ombre m’a d’une certaine manière "manipulé" et fait faire des choses que je n’aurais jamais faites si j’avais eu toute ma tête. Voyez-vous, ma Force a toujours été mal considérée par les autres humains. Pourquoi devrait-elle être assimilée à… au Mal, d’une certaine manière ? L’Ombre est aussi opposée à la Lumière que la nuit au jour, mais comme la nuit succède et précède le jour, elle lui est indispensable et bienfaitrice. Essayez donc de vous passer de dormir pour profiter d’un jour sans nuit, et vous verrez ce que je veux dire !

Il était troublant de constater que les Gardiens de l’Ombre et de la Lumière avaient fini par être aussi liés et indispensables l’un à l’autre que l’étaient leurs Forces respectives. Et c’est peut-être bien cette situation qui a précipité ma chute. Craignant de décevoir Thephys, de le voir s’éloigner de moi, je me tus plus que jamais, n’osant pas lui avouer mes doutes et mes craintes, cachant ma faiblesse honteuse à ses yeux. Je ne voulais pas, je ne pouvais pas passer pour un "faible" devant lui. Et surtout, je ne voulais pas qu’il découvre l’imposture dont j’avais bénéficié malgré moi en accédant au poste de Gardien.

Détrompez-vous, je ne cherche pas à accuser Thephys d’avoir pris part, d’une manière ou d’une autre, aux évènements qui m’ont conduit là où je suis maintenant. Je désire seulement m’expliquer. Et plus que m’expliquer, je désire surtout parvenir à me comprendre moi-même. Pourquoi suis-je en train de vous parler de mon passé, à votre avis ? Pourquoi vous ai-je raconté mes pensées les plus secrètes, à votre avis ? C’est tout simplement pour parvenir à les formuler, moi qui n’avais encore jamais pu les exprimer correctement.

Retenez une chose : l’Ombre ne m’a pas manipulé. Ni incité à faire des choses que je n’aurais jamais faites. Elle n’a fait que me donner les moyens physiques et magiques pour accomplir ce que je n’aurais pas pu faire seul.

"Ce que je n’aurais pas PU faire seul", et non "ce que je n’aurais pas voulu faire seul"… Il est amusant de voir à quel point le sens d’une phrase est changé avec la substitution d’un simple participe passé à la place d’un autre. Substitution… mensonge… imposture… En quelque sorte, je pourrais très bien être comparé à un participe passé qui s’est trompé de phrase…

Pardonnez-moi, je dévie complètement du sujet, là… Hum… peut-être n’aurais-je pas dû employer le terme de "sujet" non plus, il me ramène à nouveau à mes délires grammaticaux.

Ahem. Reprenons tout cela : l’Ombre n’a été que ma complice… non… plutôt un moyen, un outil. Oui, un outil. Et non la manipulatrice, ni même la Force incitatrice au crime. En effet, je ne pourrais pas non plus dire que l’Ombre m’a "aidé" à voir les choses sous un autre angle pour m’inciter au crime, car ce ne serait qu’une façon détournée de signifier que je n’ai pas entièrement été conscient de mes actes jusque là. Or, je tiens à assumer mes actes jusqu’au bout. Au risque de payer cher des mauvais choix que j’aurais faits. Je tiens à continuer ma route jusqu’au bout du chemin, même au risque de m’apercevoir qu’il n’y a qu’un énorme piège qui m’attend à la fin. J’ai toujours été particulièrement têtu lorsque je m’en donnais la peine.

Vous avait-on déjà parlé de l’entêtement des participes passés ?

… Ne faites pas cette tête-là ! Si on ne peut même plus plaisanter de temps en temps ! Ah, vous n’avez vraiment aucun sens de l’humour, les amis. Bon, redevenons sérieux puisque l’humour vous fait si cruellement défaut…

Ma plus grande faute a sûrement été de me taire. Je peux être si lâche parfois, que je me fais honte à moi-même ! Je préfère ignorer les choses, nier les vérités qui font mal, plutôt qu’oser les affronter. Bien des fois, cette attitude de ma part m’a aidé à surmonter les épreuves, à ne pas sombrer dans la folie ou le désespoir. A offrir une façade impassible face à mes plus grandes douleurs, à mes plus douloureuses pertes. Et c’est cette même attitude de négation qui m’avait sauvé la vie face aux deux "fantômes" lors de mon Examen Final. Mais finalement, la mort n’est peut-être pas si terrible, si on la compare à tout ce que j’ai fait ou enduré ensuite. Qu’est-ce que la mort, finalement ? Juste une accélération du processus de dégénérescence qui se met en place dès notre naissance. A peine nés, nous commençons à mourir : nos cellules meurent tout au long de notre vie ; certaines sont remplacées plus ou moins vite, d’autres non. Puis le corps s’arrête, tel une voiture qui a fait trop de kilomètres. Vient alors une décomposition des chairs. La poussière retourne à la poussière et les protéines aux protéines. Eh oui. Lorsqu’on meurt, on se transforme simplement en protéines. Il n’y a rien à craindre de ça.[3]

Parfois… je me dis que si j’avais eu la force de me confier à Thephys, certains évènements, sinon tous, auraient pu être changés. Mais à quoi bon avoir des regrets à présent ? Je n’ai pas peur de me transformer en protéines. Et si pour atteindre mon but je dois transformer en protéines certaines personnes gênantes au passage… Eh bien qu’il en soit fait ainsi.[4]

 

Scène 3 : Brise-toi, mon cœur, puisque je dois me taire.[5]

 

Mes peurs et mes doutes refoulés se sont peu à peu transformés en une colère sourde, qui grandissait en moi, que je sentais grandir en moi et s’agiter telle un torrent tumultueux après le dégel. Craignant de ne pouvoir contrôler ce sentiment si je le laissais s’échapper, je ne l’en refoulais que davantage. Et ainsi de suite, j’étais piégé dans ce cercle infernal que j’avais moi-même crée à force de me taire.

J’ai honte de ne pouvoir offrir que cette explication banale et si… humaine à mes actes. Peut-être auriez-vous souhaité plus de lyrisme dans l’explication, ou une raison surnaturelle qui aurait justifié ma conduite ? Le fait que j’aurais pu être manipulé par l’Ombre aurait constitué un bon argument mélodramatique à ma rébellion et à ma menace envers l’Equilibre de l’Univers. Mais je tiens à assumer mes choix. Plutôt que de rapporter lâchement ma faiblesse de n’avoir pas su contrôler une Force qui me dépassait, je préfère vous avouer ma faiblesse de ne pas avoir su me contrôler moi-même. De deux maux, choisissons le moindre.

 

J’avais beau faire comme si de rien n’était et nier que j’allais de plus en plus mal, il semble que je sois un bien piètre hypocrite.[6] Car Thephys avait commencé à sentir qu’il y avait quelque chose qui me perturbait. Il était vrai que ces derniers temps-là, je lui avais souvent répondu sèchement, m’énervant pour un rien, lui reprochant des broutilles sans importance. Cela faisait près d’un an que nous vivions ensemble… et même avant ça, nous avions passé toutes nos études à partager le même dortoir, alors je m’étais habitué à ses petites manies comme il s’était résigné aux miennes. Mais peu à peu, nos différences prirent de plus en plus d’importance… Non, en fait, c’était moi qui commençais à y faire attention alors qu’auparavant, elles me semblaient naturelles tellement j’y étais habitué. Pire que tout : ce que je trouvais attendrissant chez Thephys, et ses petits défauts adorables, me devinrent de plus en plus pesants, irritants, désagréables, énervants, détestables. Sa patience m’énervait, sa bonne humeur m’agaçait, son calme me troublait, sa sensibilité me paraissait mièvre, sa bonne volonté m’irritait… et même son sourire rayonnant m’importunait. Je ne comprenais pas à ce moment-là pourquoi je me montrais parfois si brusque avec Thephys lorsqu’il s’inquiétait de ma santé ou me demandait des nouvelles de mes missions. Je suppose qu’il voulait simplement me prouver qu’il s’intéressait à ce que je faisais ; en fait, il s’intéressait vraiment à ce que je faisais et s’inquiétait réellement de ma santé. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être m’aimait-il, en fait. Et finalement, c’était peut-être ça qui me gênait le plus…

Je fais trop de suppositions ? Trop de "peut-être", peut-être ? C’est parce que je ne peux plus faire que des suppositions à présent. Car puisque j’ai tant de mal à me comprendre moi-même, comment pourrais-je aisément comprendre les autres ? Comment Thephys pouvait-il m’aimer, puisque je ne pouvais m’aimer moi-même ?

…Oh, je vous en PRIE ! Ne croyez surtout pas que je recherche votre pitié. Je préfèrerais mourir qu’être pris en pitié ! Je préfèrerais être haï qu’être pris en pitié ! … En fait, je préfère être détesté qu’aimé. C’est tellement plus simple de faire face à la haine qu’à l’amour…

Maintenant, je commence à penser que… parce que j’avais toujours montré de l’indifférence face à ce qui me posait problème, comme ça avait toujours été ma réaction de défense face à un problème, je voulais aussi nier celui-là et me montrer indifférent face à ce problème-là. Je voulais nier que mon attitude envers Thephys changeait, sans que je sache pourquoi, et qu’elle changeait pour le pire. Je voulais y être indifférent, ne plus m’en inquiéter. Cela aurait été si simple si j’avais pu ! Le seul problème à ma solution de toujours, c’était que ce problème-là impliquait Thephys.[7] Je ne pouvais être indifférent à lui. A tout et à tous, y compris à moi-même, oui je le pouvais. Mais pas à lui. Pas à lui…

Peut-être bien que je l’aimais vraiment alors..? Oh, par l’Univers… Il ne manquait plus que ça !

 

Scène 4 : Et je verserai dans le Paradis, le venin amer de la discorde.[8]

 

« Pourquoi m’avoir fait venir ici ? »

Tournant la tête de côté, mes yeux ne pouvaient se poser que sur une cascade à l’eau si claire qu’elle en était transparente. Cette chute d’eau, nos deux grands soleils qui brillaient, les fleurs de cette fin de printemps, Thephys et son sourire… Tout commençait à me taper sur les nerfs ! J’avais d’autres choses à faire que battre la campagne et m’émerveiller de la nature ! J’étais si agacé par cette perte de temps que je n’entendis même pas le début de la réponse que fit Thephys à la question que je venais de poser d’une voix impatiente et brusque.

« …L’univers n’est qu’un magnifique château de cartes, fragile, survivant grâce à un équilibre précaire, disait Thephys sur un ton chargé de tant de poésie que j’avais envie de vomir. Si nous voulons que la vie continue, nous avons pour mission de protéger cet équilibre… »

Il se mit à sourire doucement. « Ha ! » lâchai-je avec sarcasme. Son sourire pâlit un peu.

« Oh, s’il te plait, Laekh ! plaida t-il en fronçant un peu ses sourcils fins. Tu n’étais pas aussi insensible avant ! »

Moi, pas insensible ?! Etait-il en train de m’insulter ou quoi ?!

« Avant quoi ?! Ne me fais pas perdre mon temps, crache le morceau ! m’écriai-je.

- Laekh, tu as tellement changé…

- Je n’ai pas changé, c’est toi qui te fais des idées ! »

Nié. J’avais encore nié. Mais sur un ton si véhément que ça ressemblait à un reproche envers Thephys. Il baissa honteusement la tête comme un enfant pris en faute. Je ne pus m’empêcher de soupirer : étant donné le ton que j’avais pris sans le vouloir, Thephys devait certainement se sentir blessé. Il était si sensible !

« Pardonne-moi, je ne voulais pas te faire de la peine, me justifiai-je après m’être approché de lui. Je suis juste… juste un peu énervé en ce moment…

- P-parfois… j’ai l’impression que je t’ennuie, fit-il en hoquetant, la voix serrée. Est-ce que… c’est moi qui t’énerve ? »

Pourquoi devait-il toujours reporter la faute sur lui alors qu’il n’avait rien à se reprocher !?

« Regarde-moi… » intimai-je en étreignant doucement ses épaules.

Il leva le visage vers moi, le menton tremblant, faisant de son mieux, mais en vain, pour ne pas laisser couler ses larmes. Elles me bouleversaient, je ne savais plus quoi dire pour faire comprendre à Thephys qu’il n’avait rien fait de mal. Alors je me contentai de l’embrasser. Il enroula les bras autour de ma taille et je pus sentir contre mes lèvres les siennes qui commençaient à sourire. En éloignant le visage du sien, je lui caressai la joue du pouce.

« Pourquoi m’avoir fait venir ici ? »

La question était la même mais mon ton avait changé. Rassuré, Thephys sourit et posa la tête sur mon épaule.

« Ici, dit-il doucement, c’est… mon endroit secret, il n’y a que moi qui le connaisse… »

Nous avions dû contourner le rideau d’une cascade puis parcourir une longue distance dans une grotte souterraine, avant de déboucher dans cette petite vallée, juste après avoir contourné cette seconde cascade devant laquelle nous nous tenions à présent. Il y avait de grandes chances pour que cet endroit soit secret, en effet. Mais la question restait : pourquoi Thephys m’avait-il conduit ici…

« Je voulais te faire partager mon endroit secret, murmura t-il, les yeux rêveusement dans le vague. …… Joyeux anniversaire… »

Je clignai les yeux, surpris. Je voulus lui rappeler que mon anniversaire était en novembre, lorsque je compris tout à coup…

« Je suis sûr que tu avais oublié, dit-il en riant doucement, la joue toujours posée sur mon épaule.

- Je… je suis désolé… je n’ai pas… prévu de cadeau… je… »

Il posa un index sur mes lèvres pour me faire taire.

« Merci. » dit-il tout simplement.

Je clignai encore les yeux, en le regardant sourire.

« Merci de quoi ? demandai-je, plus qu’étonné.

- Merci d’être là, avec moi. Merci de me laisser t’aimer. »

Apparemment, je ne pouvais que cligner les yeux à ce moment-là, alors c’est ce que je fis : je clignai encore les yeux. Mon air ahuri fit rire Thephys. Ses grands yeux bleus se plissèrent joyeusement en un grand éclat de rire.

« Si tu voyais ta tête en ce moment ! s’exclama t-il en enfouissant son visage dans mon cou pour étouffer son rire.

- Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle ! boudai-je.

- C’est drôle que je puisse autant t’aimer ! » répliqua t-il en riant.

Il rit encore un peu puis se calma finalement. Je l’embrassai sur le front.

« Bon anniversaire, Thephys. »

Cela faisait exactement un an que nous étions devenus Gardiens de la Lumière et de l’Ombre.

« Bon anniversaire, Laekh. »

Cela faisait aussi un an depuis notre premier baiser.

« Comment pourrait-on fêter ça..? » demanda t-il sur un ton faussement ingénu.

Je penchai la tête de côté et souris malicieusement.

« Comment pourrait-on fêter ça…, répétai-je. Je me le demande… »

Une lueur coquine passa dans les yeux de Thephys tandis qu’il souriait toujours de son air faussement candide.[11]

 

Scène 5 : Rémission et (Re)Chute.[9]

 

Les mois suivants passèrent plus vite que je n’aurais cru possible. Ou peut-être est-ce simplement moi qui ai une "mémoire sélective" de mon passé… Il se trouve aussi qu’il ne se passa pas d’évènements dignes d’être racontés ici, durant la période située entre ce printemps-là et l’hiver suivant. En revanche, j’eus bien des frayeurs lorsque Thephys tomba malade, à la fin de l’automne. Un soir, il se tenait devant le porche de notre maison, regardant les étoiles et pensant à je-ne-sais-quoi. Je lui demandai alors de rentrer et de fermer la porte parce qu’il commençait à faire frisquet. Il ne m’avait sûrement pas entendu car il continua à rester planté là, ses longs cheveux volant sous la brise du soir. J’élevai la voix, sentant monter mon impatience et mon agacement, mais Thephys resta encore là, m’ignorant royalement. En approchant de lui par derrière, je le vis élever sa main vers son front ; ses gestes étaient lents, las, fatigués.

« Thephys ! appelai-je avec plus de brusquerie que nécessaire. Rentre et ferme cette porte, on se les gèle ! »

Il ne répondit pas mais je vis qu’il tenait mal sur ses jambes. Il tituba, puis tomba soudainement à la renverse. Je ne pus que le rattraper par les épaules, juste à temps pour éviter que sa tête ne cogne le sol. Il ne répondit pas à mes appels répétés, il s’était évanoui. Je touchai son front, il était brûlant… Et pourtant, Thephys se mit à grelotter de froid en murmurant des paroles sans signification. Pris d’une profonde angoisse, je le portai à son lit et me rendis sans tarder chez le médecin, en utilisant mes pouvoirs pour gagner du temps. Le pauvre docteur dût d’ailleurs prendre quelques instants pour se remettre du "voyage express" parmi les ombres que je lui avais fait faire pour le mener le plus vite possible au chevet de Thephys. Je suppose que ce n’était pas tous les jours que ce brave docteur voyageait en compagnie du Gardien de l’Ombre, qui les faisait passer d’une ombre à une autre à la vitesse de la lumière.[10]

Il s’agissait d’une grippe assez commune mais comme Thephys s’était particulièrement démené à son travail de Gardien de la Lumière dernièrement, il était affaibli et plus vulnérable à la maladie. Il la couvait depuis plusieurs jours déjà mais comme il ne s’était pas plaint de fatigue, je n’avais rien vu venir. Je fus partagé entre la honte, la colère et l’angoisse. J’avais peur pour Thephys, je m’en voulais de n’avoir rien vu, et je lui en voulais de ne m’avoir rien dit.

« Du repos et quelques soins suffiront, me rassura le médecin en prescrivant les médicaments. Ne vous inquiétez pas. Mais pendant quelques temps, votre ami devra garder la chambre et ne surtout pas se fatiguer. Faites attention, c’est assez contagieux aussi…

- Pas de soucis, répondis-je en souriant malgré moi de l’inquiétude du médecin à mon égard. Je n’ai jamais été malade de ma vie, ce n’est pas maintenant que ça va arriver.

- Il y a un début à tout… »

Je ne répondis pas à cette remarque, me contentant de payer le docteur et de le raccompagner jusqu’à la porte. Etrangement, il préféra prendre le bus plutôt que de me laisser le raccompagner "à ma manière" jusque chez lui. Il y aurait gagné bien du temps… Mais après tout, je n’allais pas l’obliger à me laisser le reconduire chez lui non plus…

Thephys se remit doucement de sa grippe, et je le couvais littéralement des yeux durant tout ce temps. J’avais toujours craint de le perdre, d’une façon ou d’une autre ; cette grippe avait sûrement été le plus grand danger encouru par Thephys jusque-là, étant donné qu’il mit près de trois semaines à s’en remettre complètement, alors durant sa convalescence, je m’arrangeai pour qu’il ne se préoccupât de rien, sinon de guérir. Le Conseil lui accorda un mois de repos dans son travail, ce qui fut bien suffisant. Quant à moi, j’usais et abusais de mes pouvoirs de "téléportation" pour pouvoir revenir au moins deux fois par jour au chevet de Thephys lorsque j’avais du travail à effectuer au loin. Bien sûr, je n’étais pas aussi bon cuisinier que lui, mais je ne me débrouillais pas si mal non plus ; quant au reste des travaux ménagers, n’allez pas imaginer que je n’avais encore jamais repassé ou lavé le sol de ma vie jusque là ! Ce n’était pas parce que je détestais faire les travaux ménagers que j’étais incapable de bien les faire lorsque c’était nécessaire, voyez-vous.

Mais je crois bien que ce que je n’avais encore jamais fait jusque là, c’était de me préoccuper autant pour quelqu’un. Je voyais parfois Thephys gêné que je lui porte autant d’attention durant ces quelques semaines, il n’osait même plus me demander un service aussi insignifiant que de lui apporter un verre d’eau. Et par peur de contagion, il me repoussait doucement quand je l’embrassais. Mais je persistais néanmoins. J’avais besoin de lui prouver que je tenais à lui, et j’avais besoin de me prouver à moi-même que malgré tous mes efforts pour ne m’attacher à personne, j’avais finalement besoin de quelqu’un.

Il est étrange de constater que l’être humain est ainsi fait que ce n’est que lorsqu’il perd ou est sur le point de perdre ce à quoi il tient le plus au monde, qu’il comprend enfin qu’il y tenait vraiment… Et il fut affligeant pour ma part de m’apercevoir que j’étais hélas comme la plupart des humains : il m’avait fallu tout ce temps pour admettre que ce à quoi je tenais le plus au monde était Thephys et que je ne voulais en aucun cas le perdre.

L’ironie de la situation fut bien cruelle car quelques mois plus tard, c’était moi qui le quittais. Pour toujours.[11]

 

 

*****

Notes (autrement dit : j’ai trop fait de références tordues cette fois pour ne pas toutes vous les expliquer maintenant)

[1] Suteki da ne ? comme diraient certains. Hehehe… (Pardon, mauvaise plaisanterie Final Fantasy…)

[2] Référence à Roméo et Juliette de Shakespeare.

[3] Un bon conseil : ne mélangez jamais la lecture du tome 8 du manga Great Teacher Onizuka, une certaine fascination envers le macabre, le visionnage de documentaires médicaux, et les glaces fraise/citron/chocolat. Car sinon, il en résulte ce court paragraphe que je vous ai pondu sur la mort et la transformation en protéines…

[4] Je voulais rajouter "Amen" après cette phrase. Mais finalement, je m’en suis abstenu.

[5] Citation de la dernière phrase d’un monologue de Hamlet, situé au début de la pièce éponyme. (C’est juste avant l’arrivée de Horatio face à Hamlet, dans l’acte 1 scène 2 si vous voulez tout savoir…)

[6] L’étymologie du terme "hypocrite" vient du mot qui signifie "comédien" en Grec Ancien.

[7] Trop de répétition du mot "problème" pose en effet un… problème de répétition ! >D (Désolé, il me fallait absolument faire cette réflexion, je la trouve hilarante…)

[8] C’est une "référence inversée" (terme maladroitement inventé par moi) à la phrase tirée de la pièce Macbeth : « Je verserais dans l’enfer le doux lait de la concorde ». Je ne sais plus quel personnage dit ça, par contre…

Cette scène 4 en entier est aussi une référence à Fantaisie Ultime. Retrouvez donc le chapitre et le passage auxquels je me réfère ici. Le premier ou la première à me donner la bonne réponse gagne… le fait d’avoir trouvé la bonne réponse ! XD

[9] Jeu de mots avec la Chute Originelle (autrement dit : quand Adam et Eve se sont fait jeter hors de l’Eden à coups de pied dans le derrière. (Ce n’est dit nulle part dans la Bible, mais je suppose qu’ils se sont fait botter le derrière et sont tombés, sinon on n’aurait pas parlé de "chute". Comment ça, je ne comprends rien à la métaphore de ce terme biblique ?! Mais si, mais si ! Mais vous avouerez que ma version de l’histoire est bien plus amusante ! (Et je sais, je devrais arrêter de mettre toutes ces parenthèses…))) et la rechute qu’on peut faire après une maladie. Je me demande combien de lecteurs avaient remarqué ce jeu de mots fort amusant… (Je sais, ma conception de l’humour est… particulière.)

Dans cette scène 5, il y a aussi des références à des passages de Fantaisie Ultime. A vous de les retrouver. (Ce ne doit pas être bien compliqué à trouver, à mon avis…)

[10] Quasi-oxymore ombre/lumière voulu.

[11] J’adore couper aux moments les plus… intéressants ou intrigants, juste pour jouer avec les nerfs des lecteurs ! Mwhehehe… <= rire sadi… euh, je veux dire : rire plaisantin.

 

Et je voudrais finir en vous faisant mes excuses pour ce chapitre trop long, assez… prise de tête, surtout au début, et un peu rébarbatif sur les bords. Malgré mon sens de l’humour macabre, je crains de n’avoir pu vous faire beaucoup rire cette fois et je le regrette. On ne peut pas toujours être comique dans la vie, et on ne peut pas mettre des scènes d’action à tous les chapitres non plus. (Quelle morale sublime pour conclure ce chapitre ! *roule des yeux*)

 

Laekh T.

(Je ne parviens pas à décider si je suis fier ou affligé de ce chapitre, alors il me fallait le signer. Afin d’assumer mes écrits.)

 

A suivre :

Acte XI : Mes quatre vérités.

(La fin est proche. Tremblez, pauvres mortels !)

 

 

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