La  Bibliothèque  de  la  ShinRa  corp.

 

 

Navire sanglant

 

 

6

 

 

Deux jours plus tard, la situation était pire que jamais. Polanski s’abandonnait totalement à ses penchants paranoïaques et se promenait à toute vitesse, chaussé de Baskets et armé de Canons 203 mm jetables volés dans l’armurerie. Le capitaine Jackson, dans une phase de dépression, avait cessé d’appeler ses hommes « Matelots » et ne leur donnait même plus d’ordres ; Jeunet était désolé de le voir dans cet état. Wes Craven et Tim Burton organisaient en permanence des séances de projection de séries Z ; ce jour-là, ils passaient et repassaient le grotesque « Battlefield Earth » devant un public de huit marins qui ne cherchaient qu’à se changer les idées. On ne voyait plus Lucas, Ronny Yu ni Tom Savini ; Jeunet soupçonnait qu’ils tramaient quelque chose, mais ne pouvait en parler à Craven. Spielberg montait la garde devant la porte blindée de la grande soute, Argento tentait en vain de joindre les Turks, Takashi Miike cherchait désespérément son arsenal égaré, Roland Emmerich et Dean Devlin dormaient dans la salle des machines, et Clive Barker tentait de découvrir qui avait volé sa Matéria Sentir. Personne ne faisait plus son boulot, y compris le cuisinier ; ils pillaient la chambre froide et se confectionnaient eux-mêmes leurs propres sandwiches. L’équipage ne se rasait plus, ne se coiffait plus, ne travaillait plus ; rien n’était nettoyé, entretenu.

Mais d’une certaine façon, se dit Jeunet en allant se faire une petite salade de fruits dans la salle à manger, tout ceci est bien agréable. Nous sommes délivrés de la tension habituelle. Cette libération nous fait découvrir un nouveau mode de vie communautaire : hier collègues, aujourd’hui amis.

En entrant dans la grande pièce aux murs bleu ciel, il vit qu’il n’y avait qu’une seule personne dedans. Affalé au bout de la table, au milieu de montagnes de canettes de bières, gisait John Carpenter.

- Salut, John ! fit Jeunet. Je comprends pourquoi nous ne t’avons pas vu, tu te bourrais la gueule… Hé, ça va ?

- Ca va très bien, Sim, répondit Carpenter d’une voix rauque. Sers-moi encore quelques verres.

- Mon nom est Jean-Pierre. Et je crois que tu as assez pris d’alcool.

- Ca ne s’écrit pas G-Y-M, hein Jim ?

Le cœur de Jeunet se serra. L’alcool était une drogue redoutable. On le sous-estimait car il paraissait inoffensif au regard du tabac, de la marijuana, du crack, de la cocaïne ou de l’héroïne. Mais dans son genre, c’était une véritable plaie : quand on était poivrot, c’était pour la vie.

Carpenter ouvrit la bouche à nouveau… et vomit sur la table. Cela ne l’empêcha pas de secouer ses cheveux blancs (il ne les avait heureusement pas maculés de vomi) et de décapsuler une nouvelle canette. Jeunet lui saisit le poignet.

- Tu as assez bu, John.

- Jim, tu es dur avec moi.

- Je ne m’appelle pas Jim.

- Je sais, toi, tu t’appelles Apple.

- Non, Jean-Pierre.

- Si, Apple. C’est lui, Jim.

- Où est-il ?

- Qui ça ?

Jeunet regarda le vieillard dans les yeux et se promit de ne plus toucher un seul verre de panaché, de bière, de vin, de cidre ou de champagne.

- Jim !

- Oui, c’est son nom. Ca s’écrit J-A-I-M, m’sieur. Et ça se prononce M.O.O.N., hein, Nick ?

- Tu confonds avec Stephen King, John. Tu dois aller dormir, maintenant.

- Hallorann ! C’est son nom. Il m’a dit que les Tommycknockers allaient frapper à ma porte. Il sait ça, Hallorann. C’est parce qu’il a…

- Je sais, le Shining. John, si tu fais ça quand tu es bourré, qu’est-ce que ça doit être, ton delirium tremens. Et j’aimerais bien voir l’effet des drogues dures sur ton vieux cerveau tordu…

Carpenter s’arracha à sa prise et commença à boire la canette de bière. Jeunet n’eut pas besoin de l’assommer : il le mit simplement sur son dos, tandis que le malheureux chuchotait que CA allait venir le chercher pour partager ses tripes avec un nommé Marten. Le vieillard ne pesait pas bien lourd, mais empestait l’alcool. Il le porta péniblement jusqu’au deuxième bloc de cellules.

Steven Spielberg y jouait avec une Matéria Verte.

- C’est quoi ? lui demanda Jeunet.

- Sceller. Je l’utiliserai pour neutraliser complètement ce cinglé de Mc Tiernan s’il s’avise de sortir de sa geôle. Et quel est le détritus qui repose sur tes épaules ?

- Je dois te confier John.

- Tu l’appelles par son prénom, maintenant ?

- Steven, tu es bien le premier à remarquer que maintenant, nous nous tutoyons et nous nous appelons par nos prénoms. Enfin, c’est John qui a dit à Columbus de plonger pour déloger le « poids mystérieux» qui alourdissait le sous-marin de poche (nous avons toutes les raisons de penser qu’il s’agissait du monstre, et que c’est ainsi qu’il a trouvé la mort). Il n’a pas cessé de culpabiliser depuis l’aventure de Wes, Roman et Romero dans la grande soute, et a voulu noyer les soucis dans l’alcool. Sois sympa, Steven, mets-le dans une de ces cellules, surtout pas la même que Mc Tiernan.

- Me prendrais-tu pour un salaud, Jean-Pierre ?

Un bruit de rotors les interrompit.

- C’est un hélicoptère, constata Jeunet. Je vais voir. N’oublie pas de coller John en taule ; s’il continue à se saouler, il va en mourir.

 

Il arriva sur le pont au pas de course. Un inquiétant hélicoptère noir approchait du Giger. Il se posa rapidement ; les hélices ralentirent. Jeunet inspecta les alentours et vit que le capitaine Jackson accourait. Dans la bourrasque, ils se précipitèrent ensemble vers le petit héliport qui s’étendait derrière la mitrailleuse spéciale fixée au navire.

Trois Turks descendaient de l’appareil. Reno, Rude et Elena, une nouvelle recrue. Rude était vêtu du costume noir habituel, mais ses deux collègues… Jeunet éclata de rire en voyant le capitaine bouche bée. Elena portait un jean moulant et un T-shirt blanc ; visiblement peu habituée à cette tenue, elle jouait avec ses cheveux blonds. Reno, par contre, était très décontracté, aussi à l’aise dans sa chemise bariolée hawaïenne et son short multicolore qu’il ne l’avait été en uniforme traditionnel des Turks. Il souriait, exhibant de superbes dents blanches, étincelantes ; sa queue de cheval était dénouée, et ses cheveux rouge sombre retombaient sur ses épaules. Mais il portait toujours son bâton accroché dans le dos.

- Q-Q-Que vous est-il a-ar-arrivé ? bégaya Jackson.

Reno secoua sa chevelure.

- Nous sommes libres, à présent, capitaine. Libres et chômeurs. La Shinra n’est plus. Ses derniers représentants sont tombés : Reeve s’est échappé de son pénitencier, Heidegger et Scarlet ont grillé avec le Superbe Lourdaud, un robot géant qu’ils avaient conçu eux-mêmes. Le dernier Président, Rufus, est mort, mais vous le saviez déjà, et le Directeur demeure introuvable. Le Q.G. est en miettes. La moitié des Réacteurs Mako de la planète sont déjà hors service, et tous ceux de Midgar sont kaputt. Hojo est mort près du poste de commande de Sœur Ray. Bref, c’est la fin de la Société Mako Shinra Inc.

- Et vous ?

- Les Turks dépendaient de la Compagnie. Nous n’avons plus de travail. Moi et Elena, nous avons abandonné ces uniformes trop serrés.

- Mais Rude en fait encore partie, objecta Jackson en désignant l’homme au crâne chauve.

- Vous n’avez pas remarqué ? Il a enlevé sa cravate. Hein, Rude, toi aussi, tu es libre !

- …

Le capitaine était atterré.

- Alors, que venez-vous faire ici ?

Reno prit Elena par la taille.

- D’abord, nous avions envie d’une croisière. Et puis, nous voulions vous revoir, pour vous informer des derniers événements. Capitaine, connaissez-vous un bar appelé le « Turtle Paradise » ? On y sert un vin délicieux.

- Oh, moi, le saké…

- Ne confondez pas tout : le saké c’est japonais, pas chinois. Enfin, je crois ? !

L’ancien Turk reprit son sérieux.

- Enfin, dernière raison : il paraît que vous avez des ennuis avec un certain monstre. Et protéger le Giger, ça fait partie de notre boulot.

- Mais vous n’êtes plus des Turks ?

- Je déteste laisser le boulot inachevé. Nous avons fait la paix avec AVALANCHE, il nous reste une dernière chose à faire… Détruire une créature que nous avons apparemment ramenée avec nous du Gelnika, accrochée au sous-marin de poche.

- Vous réussirez ?

- Nous sommes des pros.

Reno se tourna vers Rude. Jeunet s’amusait trop des réactions de Peter Jackson pour parler ou s’en aller.

- Je vais aller me « reposer » avec Elena dans ma cabine. On se revoit au dîner, Rude.

- Vous ne pouvez pas quitter les Turks ! protesta Jackson.

La main de Reno se referma sur le bâton renforcé accroché à son dos.

- Et qui va nous en empêcher ? Nous sommes en démocratie, ici, non ?

- Je suis le capitaine Peter Jackson ! C’est moi, le maître à bord !

- Réveillez-vous, mon vieux. Vous avez été nommé par l’administration de Shinra Inc. : c’est elle qui vous paie. A bord de ce navire, nous sommes tous au chômage. Autant profiter de la vie, à présent.

Il s’éloigna vers les cabines, en tenant toujours Elena par la taille. Jeunet fut pris d’un fou rire impossible à réprimer.

- Ah, vous vous marrez ! rugit Jackson. Vous récurerez les toilettes, Matelot Jeunet !

- Je suis libre ! Nous sommes tous libres ! Vous ne pouvez plus nous obliger à quoi que ce soit !

Jeunet se mit à courir vers la salle vidéo pour informer tous ses collègues de la nouvelle.

 

Au dîner, ils constatèrent que Jesus Franco, le cuisinier, leur avait préparé du poulet à la crème accompagné d’une salade verte. L’équipage était divisé en deux camps : les pessimistes déprimés par leur statut de chômeurs et les optimistes satisfaits de leur nouvelle liberté. Le ventre plein, les marins allèrent se coucher.

Le lendemain, un meurtre avait été commis.

 

- Vous n’auriez jamais dû amener une femme à bord, dit Jackson. Ca porte malheur.

Elena fronça les sourcils, mais ne répondit rien. En compagnie de Reno, elle examinait la macabre scène qui avait le mérite d’être claire : Tom Savini était étendu dans son lit, le visage tordu par une expression de douleur insoutenable, un coutelas enfoncé dans chaque œil. Deux rubans de sang séché partaient de ses orbites, contournaient les pommettes et se perdaient dans les draps.

- Il avait des ennemis ? demanda Reno à Craven et Jeunet, qui restaient à l’écart.

- Aucun, répondit Craven, du moins, pas à notre connaissance. Ces derniers temps, il complotait avec George Lucas et Ronny Yu.

- Très bien. Elena, prends des échantillons de sang et relève les empreintes sur les draps, le corps et les manches des couteaux. Vous trois, accompagnez-moi maintenant à la grande soute.

 

L’immense porte blindée était toujours recouverte de tous ses verrous de titane. Le cadran numérique brillait dans la pénombre. Reno saisit son bâton Garde de Princesse.

- Craven, entrez le code d’accès.

Tremblant, Jeunet regarda son ami taper « 666 ». Le verrou principal rentra dans le chambranle ; il ôta les loquets secondaires. D’un coup de pied, Reno poussa la porte.

La grande soute était plongée dans son habituelle obscurité. Elle paraissait plus froide que jamais, un véritable cimetière.

 

 

*****

 

* Lire le chapitre 7

* Retour au sommaire de cette fic

* Retour aux fanfictions