La  Bibliothèque  de  la  ShinRa  corp.

 

 

Navire sanglant

 

 

5

 

 

Peter Jackson arborait une expression de commisération attristée.

- On attend généralement des dirigeants qu’ils soient bouchés, grossiers, et qu’ils enferment immédiatement les gens qui font des déclarations comme la vôtre. Dans votre cas, Matelot Craven, vous éprouvez certainement encore plus de méfiance, car dans les films d’horreur de l’aube des temps dont vous vous gavez à longueur de journée…

- Vous connaissez mon passe-temps, mon capitaine ? Et vous n’en avez pas parlé aux Turks ?

- Même la salle vidéo est sous contrôle de caméras, mais il faut bien de temps en temps laisser l’équipage se délasser. Dans ces films d’horreur, donc, l’autorité est non seulement bafouée, mais méprisée. Vous me jugez obtus, Matelot Craven. Soit. Mais vous vous trompez. A l’aube des temps, la situation était peut-être celle-ci. Mais la sélection naturelle a prouvé que les dirigeants qui vivaient le plus longtemps étaient ceux qui faisaient confiance à leurs hommes quand ceux-ci leur déclaraient : « Au fait, un gros monstre plein de dents rôde dans le coin ». Je vous crois donc. Ce qui m’aide encore à le croire, c’est que vous et le Matelot Polanski n’auriez pas trucidé ou séquestré le Matelot Romero juste pour faire un canular, à moins d’être aussi jetés que le Matelot Mc Tiernan.

- Mc Tiernan va mieux ? intervint Jean-Pierre Jeunet.

- Matelot Jeunet, je croyais qu’il s’agissait d’une conversation privée entre moi et le Matelot Craven. Pour répondre à votre impudente question, le Matelot Mc Tiernan semble avoir repris ses esprits. Il prétend maintenant qu’un monstre qu’il n’a pas eu le temps de voir l’a mentalement manipulé. A la lumière des récents événements, il va me falloir apporter du crédit à ses assertions. Cependant, il ne sera pas relâché avant l’arrivée des Turks ; on ne peut pas exclure le risque qu’il soit un véritable psychopathe. De plus, si je lui rends la liberté, la famille du Matelot Raimi risque de le lyncher dès qu’il débarquera.

Le capitaine Jackson alla jusqu’à la salle de pilotage.

- Matelot Argento, essayez de joindre les Turks.

Ils entendirent la voix du répondeur.

- Ici Elena. Nous sommes actuellement absents : de dangereux terroristes se sont parachutés à Midgar et rôdent dans les égouts. Veuillez nous laissez un message après le signal sonore.

Un « bip » retentit.

- Ici Peter Jackson, capitaine du Giger. Plusieurs de mes matelots témoignent de la présence d’un monstre inconnu sur mon bateau. Nous l’avons enfermé dans la grande soute, mais il a eu le temps de tuer le Matelot Romero et le Matelot Columbus. Le Matelot Mc Tiernan est devenu fou et a fracassé le crâne du Matelot Raimi avec un embout d’aspirateur ; il prétend avoir agi sous l’influence du monstre. La seule chose que mes matelots aient pu voir du prédateur est un tentacule vert ; le Matelot Columbus, lui, semble avoir baigné pendant plusieurs jours dans un réservoir rempli d’un liquide à effet corrosif. J’ai cherché dans mon encyclopédie, mais les mœurs de ce monstre ne correspondent à aucune créature répertoriée. Fin de transmission.

Le technicien Argento tourna un bouton et la radio s’éteignit.

- Raah, ils sont toujours sur répondeur, dit Jackson. Bon, vérifiez les effectifs, Matelot Argento.

- A vos ordres, mon capitaine.

L’écran du détecteur révéla vingt-sept points étiquetés.

- Voyons, Columbus et Romero, ou plutôt leurs cadavres, sont toujours dans la grande soute où personne n’ira les chercher ; Raimi, qui est mort lui aussi, repose dans son tiroir à l’infirmerie, et Mc Tiernan est dans le bloc de cellules numéro deux. Nous ne sommes plus que 23, mon capitaine.

- Je sais compter, Matelot Argento.

- Pouvons-nous partir, mon capitaine ? firent ensemble Craven et Jeunet.

Peter Jackson leur adressa un regard lourd de sens. Ils s’empressèrent de franchir la porte. Dans la salle de pilotage, le capitaine parlait à un micro.

- Matelot Devlin, Matelot Emmerich, vous n’aurez aucune prime supplémentaire. Discutez encore mes instructions et vous irez jouer avec le monstre de la soute.

 

Craven et Jeunet marchaient vers la cabine de Carpenter quand ils virent trois personnes passer dans la coursive. C’était Ronny Yu, George Lucas et Tom Savini. Ils chuchotaient, l’air mauvais ; Lucas, en particulier, un sourcil gris levé sur son œil vicieux, regardait en tous sens. Il aperçut Craven et Jeunet, les montra du doigt. Les trois comploteurs partirent au pas de course.

- Je n’aime pas ces messes basses, dit Jeunet. Ils préparent certainement un sale coup. « Big George », c’est celui qui m’inquiète le plus. Seul le fric l’intéresse.

- Il en a déjà tellement, répondit Craven. Pourquoi travaille-t-il encore sur ce rafiot ?

- C’est comme Spielberg : un contrat le liait à Stanley Kubrick. Notre nouveau capitaine a récupéré le contrat et s’en sert pour le forcer à bosser : Lucas sait que s’il rompt l’accord, il perdra des millions.

- Mais Ronny m’étonne. Je le croyais sympa…

- Peut-être que le projet de Lucas est dangereux. Ronny a toujours été un casse-cou, Wes.

- Allez, vas-y, Jean-Pierre.

- Quoi ?

- Tu en meurs d’envie. De me demander si cette histoire de monstre est vraie.

- C’est le cas, Wes ? Ou c’est un canular avec Columbus, Polanski et Romero ?

Craven le regarda.

- Romero et moi sommes des plaisantins… Mais crois-tu que Columbus et Polanski nous aideraient à monter une blague ? Non, Jean-Pierre, c’est la vérité ; crois bien que j’en suis désolé.

Ils étaient devant la cabine de Carpenter. Jeunet frappa à la porte. Aucune réponse.

- Il doit se sentir coupable d’avoir envoyé Columbus à la mort, dit Craven.

- Il me faut quelqu’un à qui parler, fit Jeunet. J’en ai assez… Tu n’es pas allé changer ton code, Wes ?

- A quoi bon.

- 666, n’importe qui le trouve ! C’est comme si tu avais entré 007.

- Jean-Pierre, qui serait assez bête pour libérer le monstre ou aller le voir ?

- Beaucoup de gens.

- Ecoute, Jean-Pierre. De toute façon, je ne retournerai pas là-bas. Au moment où on rentre un autre code, la porte est déverrouillée. Imagine si le monstre guettait cet instant précis ? Tu veux que je finisse comme Columbus ?

- Tu es trop tendu. Fais quelque chose qui te détends… Va voir un film à la salle vidéo, par exemple.

- Bonne idée.

- Je viens avec toi, Wes. Moi aussi, j’ai bien besoin de me changer les idées…

Craven et Jeunet repartirent par une autre coursive. Ils croisèrent Clive Barker :

- Qui m’a volé ma Matéria Sentir ? Bande de pickpockets…

Sans les regarder, Barker poursuivit sa route, dans une rage folle contre cet équipage de menteurs, de voleurs et de tueurs.

En passant devant la cabine de Takashi Miike, ils entendirent une voix inquiète se parler à elle-même.

- J’étais pourtant sûr d’avoir un Shrapnel, un Shrivel et une Dent de Feu sous mon matelas !

Craven se gratta la tête en pressant le pas. Il se tourna vers son ami Jeunet.

- Le navire est en pleine ébullition. Notre capitaine voulait que le bruit ne filtre pas, tu parles ! Je n’ai jamais vu un tel chaos depuis que les Turks ont réglé l’affaire Isch-Boscheth.

- Les rumeurs courent toujours, Wes. Miike a sans doute entendu dire qu’une centaine de méduses géantes prenait d’assaut le Giger.

Ils poussèrent les grandes portes de la salle vidéo. Un homme aux cheveux ébouriffés approchait de l’écran.

- Salut, Tim !

Tim Burton se retourna. Il paraissait plus endormi que jamais et portait toujours un petit tampon blanc dans la narine gauche, qui ne cessait de saigner depuis que Lucas l’avait assommé.

- Bonjour, Wes, bonjour, Jeunet.

- Ta tête va mieux ?

- J’ai toujours la migraine, mais je pense que Lucas aurait pu cogner encore plus fort. Ah, au fait, j’allais regarder « Glen or Glenda » pour me distraire.

Craven sourit jusqu’aux oreilles.

- Tu aimes Ed Wood, Tim ?

- C’est mon réalisateur préféré ! Ah, « Plan Nine From Outer Space » !

- Te souviens-tu de cette scène géniale où la soucoupe prend feu ? Et quand Lugosi déploie sa cape ?

- Oh, quelle merveille !

Craven s’assombrit.

- Il avait déjà le visage torturé par les ravages de la morphine. Le pauvre homme est mort au cours du tournage.

- Lugosi a demandé qu’on l’enterre dans sa grande cape de Dracula, poursuivit Burton.

- Un grand homme est parti.

Gêné, Jeunet toussa. Craven et Burton parurent le remarquer pour la première fois.

- Eh bien, regardons « Glen or Glenda » ! s’exclama joyeusement Craven.

- J’ai aussi « la Nuit des Goules »…

- Génial ! Tim, connais-tu « Robot Monster » ?

Burton avait les yeux exorbités.

- Tu l’as ?

- Je l’ai !

- Vite, Wes, regardons toutes ces œuvres d’art…

Jeunet soupira et baissa la tête.

 

Seul dans la salle à manger aux murs bleu azur, John Carpenter buvait bière sur bière. Il s’adressa à un barman invisible…

- Quelque part, je crois que je l’ai toujours souhaité. Je détestais Columbus, vous comprenez ? Il représentait pour moi le gris, le moyen, l’informe, ce qui ne se dépasse pas, sans aucune ambition. Columbus, c’était le nivellement par le bas… Comme le sport et la télévision. Abaisser le niveau mental des gens, voilà quelque chose que je ne peux accepter. Quand il a disparu, je me suis dit : bien fait. Qu’un requin le bouffe, qu’une pieuvre l’étrangle, qu’une méduse l’empoisonne ! Mais quand j’ai appris ce qu’il était devenu…

Il décapsula une autre canette de bière et passa la main dans ses cheveux blancs.

- Ce n’est pas que je n’aie jamais vu de mort. Jim – je peux vous appeler Jim ? – , vous devez comprendre que j’en ai vu pas mal. A mon âge, on sait bien que la Grande Faucheuse vient tous nous attraper. Eh, Jim, elle vous aura vous aussi. Vous êtes jeune, vous pensez avoir toute la vie devant vous…

Carpenter rota. Un des avantages d’un interlocuteur imaginaire, c’était qu’il ne vous fixait pas d’une expression scandalisée si vous laissiez tomber toute politesse. Il poursuivit :

- Méfiez-vous, Jim. La vie, elle passe vite. Et plus on vieillit, plus on s’en aperçoit. Vous croyez savoir ce qu’est la mort, mais vous ne le découvrez vraiment que lorsqu’un beau matin, dans votre miroir, vous voyez ce vieux type décati, et alors vous vous dites… vous vous dites…

Il s’aperçut que l’alcool lui avait fait oublier ce qu’il voulait dire que Jim se dirait quand il se verrait vieillard, qu’il saurait que la vie était vraiment incroyablement courte, qu’on n’en profitait jamais trop et que tout ça était vraiment absurde et injuste. Qu’est-ce-qui est absurde et injuste, déjà ? se dit-il. Et quel est le prénom de ce barman, déjà ? Il ingurgita deux autres canettes de bières pour changer sa perception des choses, clarifier son raisonnement, renforcer son argumentation. Il devint alors assez intelligent pour comprendre que le meilleur moyen de connaître le prénom de Jim, c’était de lui demander. Se félicitant intérieurement d’une aussi brillante et rapide déduction, qui prouvait bien que l’alcool aidait à réfléchir, il dit au jeune homme :

- Alors, comment vous appelez-vous, Jim ? Jim ? Je croyais que vous vous appeliez Jim G-Y-M, pas J-A-I-M. Si j’avais su que vous étiez un Jim qui s’écrit J-A-I-M, je vous aurais dit que… On ne sait vraiment ce que sont les choses qu’après avoir bu une bonne bière.

En effet, John Carpenter était déjà dans un tel état d’ébriété qu’il divisait le nombre de canettes par douze. Deux packs de six bières étaient déjà vides. Il sortit de la salle à manger pour aller en chercher d’autres, convaincu que seul l’ingurgitation d’une quantité d’alcool supplémentaire lui permettrait de comprendre la réalité, d’atteindre le fond de sa pensée et d’appréhender la vérité.

 

Peter Jackson caressait le gigantesque aileron de métal noir fixé à l’arrière de son navire. Le Giger. Superbe bâtiment. Il se souvenait encore du jour où l’administration de Shinra Inc. l’avait nommé capitaine du navire des Turks. Une merveille d’architecture navale, qui accumulait les innovations technologiques de la Société Mako sous les cinquante dernières années. L’équipage, encore sous le choc de la mort du précédent capitaine, ne l’avait pas accueilli avec les honneurs dus à son rang. Et voilà que la multinationale à laquelle il avait voué sa vie se trouvait balayée par des événements terribles : un groupe terroriste qui mettait Reno lui-même à genoux, des monstres énormes venus du grand nord, et ce Météore qui surplombait Midgar tel une épée de Damoclès. Ce n’était pas une belle époque : tout le monde critiquait Shinra Inc., la formidable puissance financière et énergétique qui avait unifié le monde, rendu obsolètes les gouvernements, fait cesser toute guerre, mis en place un génial programme spatial et offert à chacun l’Energie Mako à bas prix. Tant d’ingratitude ne pouvait le laisser froid. Et voilà que ces prémices d’un holocauste imminent parvenaient jusqu’à lui sous la forme de ce monstre inconnu, pour l’heure enfermé dans la grande soute. Malgré tous les gadgets qui élevaient la valeur totale du Giger à plusieurs centaines de millions de gils, il avait été incapable d’anticiper le désastre, de protéger son équipage. Si tous les employés de la Société faisaient leur travail aussi mal que lui, il n’y avait rien d’étonnant à ce que Rufus lui-même soit tombé sous le feu nourri d’une Arme. C’était la fin d’un monde.

 

 

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