La  Bibliothèque  de  la  ShinRa  corp.

 

 

Navire sanglant

 

 

4

 

 

Le Giger était un navire extraordinaire, l’équivalent maritime d’un couteau suisse. Diverses méthodes de propulsion en fonction des réserves énergétiques, grandes réserves de vivres, plusieurs centaines de cabines confortables, toutes les salles sous surveillance vidéo, deux blocs de cellules, une salle à manger, un enclos à monstres en cas de capture, un hélicoptère noir, un sous-marin de poche, une immense salle des machines comportant quatre puissants réacteurs Mako, une salle de pilotage pourvue d’une multitude d’appareils, boussole, radars, ordinateurs, une vaste infirmerie, ainsi que trois soutes. La plus importante, fort logiquement appelée « la grande soute », était un cube dont chaque arête mesurait cent mètres. Des colonnes de caisses reliant sol et plafond, une obscurité permanente, des dizaines de poutrelles métalliques surplombant ce chaos, y laissant pendre d’épais câbles et des tuyaux venus de la salle des machines qui alimentaient les arbres à hélice, cette salle n’était qu’un labyrinthe titanesque, absurde, où venaient se perdre à jamais des tonnes de matériel utile.

Les trois marins se tenaient sur le seuil de la grande soute. Devant eux, un gouffre noir, une ouverture sur une autre dimension emplie d’éboulements de caisses en bois et de passages étroits aux parois incertaines.

Roman Polanski tripotait un gros tube de métal sombre. Ses mains moites trouvèrent enfin le contact et sa torche électrique s’alluma. Un mince faisceau de lumière froide dispersa les ténèbres.

- Je n’aime pas ce silence. Non, je n’aime pas ce silence.

- Fais attention, Polanski, dit George A. Romero.

C’était un vétéran qui officiait sur le Giger depuis trente ans. Son regard assuré, son sourire arrogant semblèrent rassurer Polanski. Wes Craven s’avança.

- On devrait y aller. Ce crétin de Columbus lit probablement un de ses Playboys, caché dans une caisse.

- Penthouse, corrigea Romero.

- Hein ? fit Craven.

- Pas Playboy. Penthouse. Chris Columbus n’achète que des Penthouses.

Ils se mirent à marcher lentement vers la paroi constituée de cubes de bois et de carton, devant eux. Dans le faisceau de la lampe que Polanski tenait d’une main tremblante, ils semblaient bouger. Ce n’est qu’un effet des ombres, se répéta Craven.

Soudain, un claquement sonore. Ils se retournèrent. La porte de la grande soute s’était refermée sur eux.

- Un c-c-courant d’air, dit Polanski. Aucune raison d’avoir peur.

- Le signal était immobile sur le détecteur que réglait Argento, fit remarquer Craven. Peut-être que Mc Tiernan, avant de tuer Sam pendant le dîner, a démoli le crâne de Columbus avec Mop. Il aura planqué le corps dans cette grande soute.

Ses deux compagnons ne lui répondirent pas. L’idée du cadavre du petit marin plié en deux dans une caisse n’était pas particulièrement réconfortante. L’air semblait plus froid que jamais et Craven regretta de ne pas en être resté à l’image de Columbus caché dans un coin, lisant un numéro de Penthouse en serrant son pénis en érection.

Il n’y avait pas de brouillard, mais des nuages de poussière s’élevaient autour d’eux alors qu’ils marchaient. Ils pénétrèrent enfin entre deux piles de cartons dans le dédale de la grande soute.

Tout était glacial ; la surface rugueuse des caisses de bois couleur de blé faisait pensait à un entassement de cercueils artisanaux. Les boîtes de carton, quand à elles, semblaient du brun du sang séché ; Craven s’imagina qu’elles étaient imbibées du sang des enfants morts qu’un maniaque aurait dissimulé. Les volutes qui les entouraient ressemblaient plus que jamais à la brume d’un cimetière dans ces vieux films de la Hammer… Comme dans « Plan 9 from Outer Space ». L’image de Vampira rôdant entre les tombes de carton-pâte, s’efforçant de passer pour une zombie, ne parvint pas à le rassurer. Certaines de ces caisses prenaient des allures de pierres tombales. Il crut voir des inscriptions funèbres et comprit qu’il ne s’agissait que des étiquettes « FRAGILE ». Les étoffes blanches pendant ici et là, des linceuls… Le labyrinthe était de plus en plus incompréhensible. Dans un silence lugubre, Romero, Craven et Polanski déambulaient entre les parois de caisses, s’efforçant de trouver leur chemin à la lueur froide d’une unique torche.

Soudain, ils furent dans un cul-de-sac. Assis contre une pile de petits cartons, un squelette translucide, comme s’il avait été fait de gelée. Quelques restes d’intestins. Une chaussure. Une seule touffe de cheveux plantée à gauche d’une orbite vide. Des lambeaux d’habits. Ces restes pitoyables étaient enrobés dans une matière gluante et transparente.

- C’est Columbus ? chuchota Romero. Oh… On dirait qu’il a mariné… dans un bac d’acide…

Ils faillirent vomir. L’odeur écœurante les prenait à la gorge, les étouffait. Craven réprima sa nausée tandis que Polanski rendait une petite flaque de bile verte.

- Filons vite ! s’exclama-t-il. Je suis fan de films d’horreur, et dans ces machins, c’est le moment que choisit l’alien pour attaquer.

Un tentacule jaillit entre deux caisses, ratant Romero de peu.

- Craven, tu n’aurais pas pu te taire ?

Ils s’enfuirent, courant de toute la vitesse de leurs pauvres jambes. Ils n’avaient aucune arme et aucune envie de rester pour voir à quoi ressemblait l’abomination qui aurait pu faire ça à Columbus. Craven n’arrivait pas à croire qu’il vivait réellement cette situation.

Le dédale était plus incompréhensible que jamais. Ils tournèrent à droite et tombèrent droit sur une pile de vieux papiers, là où Craven aurait juré que dix minutes plus tôt se trouvait un passage. Ils reprirent leur course sans ménager leurs poumons. Craven avait entendu parler d’une méthode pour sortir d’un labyrinthe : il fallait suivre une des parois avec sa main, celle de droite ou celle de gauche… Mais ils ne pouvaient faire tout le tour, car ils ne savaient pas du tout où était la chose.

Romero s’arrêta brusquement. Un corps frémissant se dressait devant lui. Sans prendre le temps de détailler le monstre, il fit demi-tour, se précipitant vers un petit passage entre deux piles de journaux.

Ils couraient, couraient, couraient. Ils ne faisaient pas d’efforts pour rester ensemble ; c’était un miracle qu’ils ne se soient pas séparés. L’abomination avait disparu. Tout à coup, ils entendirent un rugissement aigu, et une pile de caisses de bois se sépara d’une rangée, bascula et s’écrasa en travers du passage. Craven l’escalada et reprit sa course, suivi de près par Romero et Polanski. Ils devaient battre tous les records de vitesse. Leurs corps étaient baignés de sueur, ils pensaient au monstre qui les suivait. Comme il était apparemment prédateur, il devait être plus rapide qu’eux et posséder de meilleures capacités. Alors qu’il pensait à ça, Craven entendit un bruit métallique au-dessus de lui.

La chose était perchée sur une poutrelle. Il vit un mince tentacule vert, comme un serpent, descendre vers Romero. Il lui cria trop tard un avertissement. Le membre flexible s’enroula à la vitesse de l’éclair autour du cou du marin et le hissa dans les hauteurs. Craven sauta, rata de peu la cheville de son compagnon.

- Romero !

Terrorisé, il se pressa dans les couloirs de la grande soute, pendant que la chose ramenait Romero vers elle comme un pêcheur actionnerait son moulinet pour tirer un poisson de l’eau. Par pur miracle, il vit la sortie du dédale de caisses et s’y précipita.

En entendant un hurlement atroce, Craven se retourna. La masse indistincte et grotesque, le monstre, toujours juché sur sa poutre d’acier, maintenant sa proie… Un bruit de déchirure. Devant la grande silhouette de la chose, quelque chose explosa, répandant des flots de liquide d’un rouge éclatant. Une déflagration sanglante, comme si une bombe à eau bourrée d’hémoglobine avait éclaté. Le sang retomba sur toutes les caisses de bois, toutes les boîtes de carton, éclaboussant le plafond et les murs, recouvrant le sol. Une marée rouge carmin.

Hystérique, Wes Craven sortit de la grande soute. Il vit que Polanski était étendu sur le dos, devant lui, dans la coursive, haletant, et referma la porte. Fébrilement, claquant des dents, il chercha les verrous de sécurité du battant en titane et les déclencha tous. Enfin, il tapa un nouveau code sur le clavier numérique à trois chiffres qui commandait le verrou électronique, sous l’inspiration du moment : « 666 ». Une planche blindée sortit du chambranle, passa derrière la poignée de la porte et s’inséra dans une cavité de l’autre côté, bloquant complètement l’unique accès à la grande soute.

 

 

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