La Bibliothèque de la ShinRa corp.
Navire sanglant
2
Wes Craven était assis dans la salle vidéo du Giger. C’était une véritable salle de cinéma, avec écran géant, son en Dolby Surround et une rangée de sièges rembourrées. Sur le papier, elle était réservée aux Turks, mais Craven en profitait régulièrement, sans l’accord des utilisateurs légitimes.
Sur l’écran rectangulaire, on voyait un film en noir et blanc. Un ours avec un bocal à poissons sur la tête tentait d’étrangler le jeune premier. C’était un Ro-Man.
La copine de la victime vint à la rescousse et se mit à taper sur le dos du Ro-Man avec ses petits poings. Le monstre se retourna avec une lenteur digne d’un boxeur sur le poing de tomber K.O. et avança, de sa démarche pataude, vers la jeune fille.
Wes Craven était plié en deux de rire lorsque la porte s’ouvrit. Jean-Pierre Jeunet entra au pas de course.
- Wes ! Les Turks reviennent !
- Tu gâches le plus beau moment de ma vie, Jean-Pierre. Regarde un peu ! Robot Monster, le film de science-fiction le plus nul de tous les temps. Mais regarde !
Jeunet se tourna vers l’écran. Le Ro-Man essayait vainement de calmer la fille, prise au piège dans la grotte. Au bout du compte, il lui envoya une bonne mandale, sortit de la grotte un moment.
- Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle. C’est juste pitoyable, Wes.
- Attends ! Attends !
L’ours coiffé d’un bocal à poissons revint dans la grotte ; la fille était à présent solidement ligoté. Craven et Jeunet s’esclaffèrent.
- Non, sérieusement, Wes, reprit Jeunet, arrête le film et sortons de là avant que les Turks ne s’aperçoivent que tu squatte leur salle vidéo.
Son ami appuya sur un bouton fixé dans l’accoudoir et le film cessa. Un cube de métal aussi petit qu’un ongle, étiqueté « Robot Monster », fut éjecté de la petite machine vidéo surplombée par l’écran. Il le mit dans sa poche et ils se hâtèrent dans la coursive.
Ils croisèrent un petit homme bien rasé.
- Salut, Columbus, dit Craven. Pourquoi Reno revient-il si vite ?
- Ouais, renchérit Jeunet, j’aurais cru qu’il resterait des heures et des heures dans son épave… Il était impatient de la voir.
- Ce n’est pas à moi qu’il faut le demander.
Chris Columbus renifla.
Sans lui prêter attention, Craven se tourna vers Jeunet. Ils reprirent leur marche ; Columbus se hâtait pour rester à leur hauteur.
- Mais comment sais-tu qu’il était impatient ? Reno est inhumain ; il ne dit jamais rien, n’a aucune expression…
- J’ai vu qu’il souriait quand la grue a lâché notre sous-marin, et…
- Ca ne peut pas être un problème du sous-marin, coupa Columbus. Carpenter l’a vérifié plusieurs fois. Malgré son âge, il est encore très compétent.
Ils arrivaient au bout de la coursive. Jean-Pierre Jeunet poussa une porte blindée ornée d’une peinture macabre à l’aérographe. Ils se retrouvèrent sur le pont.
Le sous-marin était encore à moitié plongé dans l’eau.
John Carpenter secoua ses cheveux blancs et fixa deux chaînes aux flancs du
sous-marin de poche.
Le sas dorsal était déjà ouvert. Les deux Turks se hissèrent à bord du
navire.
Peter Jackson, la barbe plus hirsute que jamais, surgit en écartant Jeunet, Craven et Columbus de son chemin. Il faillit pousser Carpenter dans l’eau en bondissant sur Reno.
- Que vous est-il arrivé ? Nom d’un petit Balrog…
Les costumes d’un noir bleuté des Turks étaient en lambeaux. Reno avait la joue écorchée et Rude portait plusieurs plaies peu profondes sur son épaule à découvert.
Sans répondre au capitaine Jackson, ils se précipitèrent vers leurs cabines. Ils en ressortirent cinq minutes plus tard, bien coiffés, dans de nouveaux uniformes.
- Nous n’avons pas le temps de vous expliquer en détail, dit Reno. Nous reviendrons examiner cette épave ; restez sur place, jetez l’ancre, mais ne descendez pas avec le sous-marin de poche avant notre retour. Nous avons rencontré de dangereux terroristes dans l’avion.
- Cette épave, c’est un avion ? lui demanda Craven.
- Ca ne vous concerne pas ; vous êtes le personnel, nous sommes les Turks. Rude, explique-leur.
- …
- Voilà, ajouta Reno, vous avez compris ? Nous devons partir, les dirigeants de Shinra Inc. nous ont appelés dans le sous-marin pour nous confier une mission urgente.
Il courut vers l’hélicoptère noir au milieu du pont, suivi du Turk chauve. L’appareil décolla rapidement et s’éloigna dans le lointain.
Le soleil allait se coucher.
- Très bien, les gars, rugit Jackson. Nous resterons donc ici.
- Mais… commença Jeunet.
- Nous sommes vingt-sept sur ce navire, vingt-sept personnes pour une réserve de vivres qui peut pourvoir aux besoins d’une cinquantaine de gaillards pendant six mois. Ils ne mettront pas six mois à revenir, je pense. Jetez l’ancre avant la nuit.
- Mais… répéta Jeunet.
- Matelot Jeunet ! Vous êtes pour l’instant mon assistant officiel, ne voudriez-vous pas le rester ? Alors obéissez sans discuter, ou vous récurerez les toilettes avec votre langue !
Jeunet déglutit. Mais le capitaine avait déjà repéré un autre bouc émissaire.
- Matelot Carpenter ! Que faites-vous là, je vous prie ?
Le vieil homme fixa les chaînes de titane qu’il tenait à la grue avant de répondre.
- Une masse quelconque est accrochée au sous-marin de poche. Nous ne pourrons plus le fixer à la grue pendant qu’il traînera ce poids mort.
- Y a-t-il moyen de déloger la masse ?
- Il faudrait que quelqu’un aille dégager cette saleté manuellement.
Jackson avisa le corps squelettique de Carpenter ; il ne semblait même pas capable de rester en apnée dans une baignoire. Il se jeta donc sur Chris Columbus.
- Matelot Columbus ! Prenez une tenue de plongée et allez décoincer le poids mort !
- D’accord, mon capitaine !
Columbus se mit au garde-à-vous ; Craven et Jeunet pouffèrent et s’éloignèrent. Jackson, lui aussi, tourna les talons.
Carpenter désigna le sous-marin à moitié immergé.
- Gamin, tu sais quoi faire. C’est probablement un amas d’algues et de petits rochers. Peut-être un requin tigre ou un poulpe, à la limite. Dans ce cas, lance un petit sort de Feu, ça devrait te tirer d’affaire.
- Tu ne restes pas pour m’aider ?
- Désolé, gamin, mais Spielberg a défié Lucas à la boxe ; c’est tout de suite. Tu paries sur qui ?
- George Lucas. C’est un poids lourd.
- Il est beaucoup trop gras ; Spielberg va l’assommer en un seul crochet.
- J’adorerais voir ça ! Le duel des barbus !
- Nous devrions plutôt faire un match Jackson-Lucas ; les gros barbus. Mais Lucas n’aurait aucune chance. Bon, gamin, mon dernier conseil : ne bâcle pas le boulot comme d’habitude.
Il s’en alla. Columbus resta seul dans la lumière orange du soleil couchant. Il enfila une combinaison de plongée, attacha deux bouteilles, se cala le tuyau dans la bouche et sauta à l’eau.
Il vit aussitôt la masse qui s’était accrochée au sous-marin comme un répugnant parasite. Ce n’était pas une pieuvre, encore moins un calamar. Aucun rapport avec un requin…
Columbus écarquilla les yeux. Ces tubes roses avaient-ils bien une fonction biologique ?
L’être immonde se tourna vers lui. Trop tard, il réalisa qu’il était en danger. Un organe palpitant se déploya et se referma sur lui. La chose le saisissait, l’étouffait. Il comprit enfin ce qu’elle lui faisait ; il hurla, mais sans espoir, la bouche emplie d’eau. Le monde devint noir quand il s’évanouit.
Il reprit brusquement conscience.
- Quatre, cinq… il est revenu à lui !
L’arbitre se penchait sur lui. C’était Tim Burton, menton mal rasé, yeux endormis, mine sinistre, le tout encadré dans une infinité de longs cheveux noirs.
- Tout le monde a cru que Monster Steven était au tapis, mais il revient mettre la pâtée à Big George !
Steven Spielberg frotta sa mâchoire endolorie et fixa son adversaire. George Lucas, le visage déformé par un épouvantable rictus, brassait l’air avec ses gants de boxe. Burton s’écarta prudemment et donna un coup de sifflet.
- Reprise du match !
Spielberg se souvint d’un proverbe idiot : « la meilleure défense, c’est l’attaque ». Il aurait bien voulu que son auteur essaie de l’attaquer, pour voir ce que c’était qu’une véritable défense qui faisait valser les dents. Malheureusement, il était mort depuis des siècles.
Lui et Lucas se battaient sans protège-dents ; c’était leur premier match de boxe, ils ne respectaient pas du tout les règles et tenaient à voir, dans les jours qui suivraient, l’effet concret de leur victoire sur la dentition de leur adversaire.
Il cracha. C’était une molaire. Bon, ça n’était pas encore trop visible, mais ça allait se payer. Pour cette molaire, George Lucas verrait toutes ses incisives disparaître. S’il croyait que lui, Steven Spielberg, allait tendre la joue gauche…
Il donna un coup de pied. Lucas l’esquiva facilement, mais ce fut pour retrouver le poing fermé de Spielberg. Choc extrêmement douloureux. Le crachat rouge de « Big George » révéla que toutes ses incisives et une de ses canines étaient parties.
Et ce n’est pas le pire, pensa Lucas. J’en ai avalé deux autres. Il veut la guerre, il va l’avoir.
De son côté, Spielberg songeait : Joli coup ! Sa tendre épouse adorera à coup sûr son nouveau sourire. Le voilà enfin débarrassé de ces dents de lapin qu’il exhibait si fièrement.
Il éclata de rire à cette pensée et reçut un coup de pied dans le ventre. Ca lui coupa le souffle ; il tomba, plié en deux.
Lucas lui attrapa le menton et le remit debout. Larmoyant, Spielberg tenta de reprendre ses esprits. Il vit que l’ennemi avait ôté ses gants de boxe.
Au dernier moment, il s’accroupit et évita un direct qui lui aurait offert un aussi beau sourire que celui de Lucas. Il fit un croche-pied à la brute, elle s’effondra sur lui. Il lui enserra la gorge de ses mains, Lucas fit de même. Il s’apprêta à presser la pomme d’Adam qu’il sentait sous son pouce de toutes ses forces.
L’arbitre les sépara.
- Arrêtez, enfin. La strangulation est interdite.
« Big George » donna à Tim Burton un bon coup de poing qui l’étendit pour le compte.
- Ah, ça détend.
Il regarda à nouveau Spielberg.
John Carpenter referma la main sur les billets, avec un petit sourire en coin.
- A ton âge, qu’en feras-tu ? lui demanda Jeunet.
- J’irai finir ma vie au Golden Saucer. Je n’ai plus qu’à encaisser l’argent de Columbus.
Jeunet jeta un regard au combat qui se poursuivait sans arbitre et sans limites. « Monster Steven » avait attrapé deux petits haltères pour débutants et s’en servait comme poids pour assener des coups violents à « Big George », qui brandissait un javelot.
- De vrais gamins, commenta Craven, qui semblait beaucoup s’amuser. J’espère que les Turks ne reviendront pas demain : ils feraient une de ces têtes en voyant ces deux énergumène dans la salle de sport.
- Spielberg et Lucas ne risquent pas de se tuer ? s’inquiéta Jeunet.
- Penses-tu, Jean-Pierre. Ce sont d’excellents amis.
A présent, les boxeurs amateurs avaient chacun un javelot ; ils s’en servaient comme d’épées. « Monster Steven » Spielberg abattit son arme à plusieurs reprises sur le dos de « Big George » Lucas, qui tomba à terre, inanimé.
- Il faudrait ranimer l’arbitre pour qu’il compte, fit remarquer le vieux Carpenter en désignant Tim Burton, toujours évanoui.
Un effroyable rugissement retentit.
- Je vais m’en charger !
C’était le capitaine Peter Jackson, qui avait fait irruption dans la pièce.
- Un, pas de primes, poursuivit-il. Deux : les combattants aux fers pour cette nuit. Trois, amenez Burton à l’infirmerie. Quatre, que Carpenter et les autres escrocs rendent l’argent des paris. Cinq, qu’il soit bien clair que si ça se reproduit, vous irez tous nourrir les requins. Six, que Carpenter aille voir ce que fiche Columbus, il n’était pas à l’appel du dîner, alors qu’il respecte toujours le règlement. Sept, qui a organisé ce match de boxe ? Huit, vous paierez les biens immobiliers détruits. Neuf, avant que les Turks ne reviennent, réparez les dégâts, ou nous nous retrouverons tous au chômage. Et dix, déguerpissez, matelots !
- Mais… objecta Jeunet.
- Matelot Jeunet, fit Jackson, vous parlez décidément trop ; vous n’êtes plus mon assistant officiel. Désormais, vous ferez le sale boulot comme avant, mais en plus, ça ne sera plus crédité à votre compte en banque.
Lucas laissa échapper un gémissement et se redressa.
- Mauvaise nouvelle, mon vieux, dit Craven. Le capitaine a compté, et même avec une marge punitive, tu t’es réveillé après le décompte. C’est Spielberg qui a gagné.
- Personne n’a rien gagné du tout ! éclata à nouveau Jackson. Tout ce que vous avez fait, c’est perdre : votre temps, votre argent, mon temps, mon argent.
- Co-o-o-lu-u-u-mbu-u-us… chanta Carpenter de sa voix enrouée. Où es-tuuuu…
Il parcourut le pont du regard. Aucun Chris Columbus en vue. Il ne regrettait pas son absence, Columbus avait toujours été un raté, un médiocre, un type qui léchait les chaussures de ses supérieurs dans l’espoir d’obtenir une promotion, un bureaucrate sans ambition, l’antithèse même de ce à quoi aspire tout être humain ; la nullité absolue ; cette fascinante recherche de l’idée la plus banale, du raisonnement le plus commun, du Q.I. le plus moyen avait dû commencer le jour où Columbus, à l’école primaire, avait apporté un plein cageot de pommes à ses professeurs ; Carpenter ne se sentait nullement responsable de cet être terne, à l’absence d’imagination déconcertante, à la vision de l’avenir incroyablement limitée, à la conception du bonheur grotesque et défaillante. John Carpenter, depuis son enfance, associait ses semblables à des couleurs ; dans son esprit, il ne visualisait Columbus que comme un gris sale, uniforme, industriel.
Mais il devait quand même découvrir où Columbus s’était planqué, ou le capitaine lui réserverait une bonne séance de chirurgie esthétique. Quelle bande d’imbéciles, songea Carpenter, ils ne savent régler leurs problèmes que par la violence.
Il vit que la masse inconnue avait été dégagée du sous-marin. Columbus avait donc fait son boulot. Et puisqu’il n’y avait aucune volute de sang dans la mer, il ne s’était pas fait dévorer par les requins-tigres. En un sens, Carpenter le regrettait.
Il alla voir dans la cabine de Columbus ; elle était vide. Toutes ses affaires étaient encore là. Il remarqua également quelque chose qui l’inquiéta fort : un des Penthouse du marin était posé sur le lit, grand ouvert. Il avait dû accourir à l’appel de Jackson, accepter immédiatement de décrocher le poids mort, histoire de revenir le plus vite possible dans ses quartiers ranger le magazine gênant.
Carpenter gratta son front ridé. Il aurait sans doute besoin d’une Matéria Sentir pour retrouver Columbus. Barker en possédait une.
En attendant, il était l’heure de manger.
La salle à manger du Giger était bien plus sympathique que le reste du navire. C’était la seule pièce qui n’était pas d’un noir d’ébène ; les murs bleu ciel détendaient les marins. Au centre, une table classique, au pied central soudé au sol. Pas la moindre trace des malsaines peintures à l’aérographe, style bio-mécanique, agrémenté de formes phalliques et mammaires, qui régnaient dans le reste du bateau, fixées sur les parois verticales, découpées à angles froids. Ici, c’était l’inverse : les parois couleur azur rejoignaient le sol dans des courbes harmonieuses, mais aucune peinture, aucune décoration superflue ne venait violer leur tranquillité. Sur la table au pied unique, entourée de tabourets eux aussi soudés, étaient alignées des piles de boîtes de conserve.
- Des sardines, des sardines, encore des sardines, toujours des sardines, se plaignit Wes Craven. Jamais de plats variés.
- C’est la politique du cuisinier, répondit Jeunet en ouvrant une seconde boîte de sardines à l’huile. Chaque semaine, il nous propose un plat unique. Ca permet de surprendre les papilles.
- Oui, mais tous les deux mois, il a une semaine de congé ! Les sardines, ça ne se prépare pas !
- Nous sommes vendredi, Wes. Patiente encore deux jours et nous aurons une semaine de poulet à la crème.
- Ca vaut peut-être le coup d’attendre, en effet.
Carpenter fit irruption dans la salle à manger.
- Je ne trouve pas Columbus, capitaine. Je demande la permission d’emprunter une Matéria du matelot Clive Barker pour le retrouver.
- Entendu, approuva Jackson. Matelot Barker, après le dîner, vous lui remettrez cette fameuse Matéria.
Barker serra les dents et hocha la tête.
Assis en face de Craven, Roland Emmerich le regarda.
- Eh, Craven, pourquoi Spielberg et Lucas ne sont-ils pas là ?
- Jackson les a mis aux fers.
Ce fut à cet instant que l’événement le plus surprenant jamais survenu sur le Giger pétrifia tout l’équipage.
La porte principale de la salle à manger claqua. Tous se tournèrent vers le nouvel arrivant.
C’était John Mc Tiernan. Son visage mûr et ses cheveux noirs semblaient, en comparaison de la teinte bleu ciel des murs, bariolés de couleurs vives. Il n’avait aucune expression. Ses yeux étaient le seul élément véritablement étrange, horrible. Ils étaient blancs comme un linceul, injectés de sang, et s’agitaient en tous sens.
Jackson l’interpella.
- Matelot Mc Tiernan ! Pouvez-vous justifier votre retard ?
Craven, qui comme tous les autres ne perdait pas une miette de la scène insolite, n’attendait aucune réponse. Et il ne fut pas déçu : comme un zombie, Mc Tiernan reprit sa marche, ignorant superbement le capitaine. Tous remarquèrent alors, beaucoup trop tard, qu’il tenait la trompe métallique de l’aspirateur du navire dans la main droite. L’aspirateur « Mop » se distinguait des autres par deux détails : il était spécialement adapté aux bateaux, avec une autonomie de batteries de plusieurs jours, et possédait un embout rigide spécialement renforcé de plomb et de titane. Dans son genre, cette trompe métallique en T valait une bonne matraque ; elle devait bien peser douze kilos, douze kilos d’acier, de plomb et de titane bien dur.
- John, dit Sam Raimi, pose Mop.
- Je ne crois pas qu’il puisse t’entendre, rétorqua joyeusement Devlin. Il a fondu un câble, sa raison a claqué, il a pété les plombs !
Brusquement, Mc Tiernan brandit le tuyau lourd comme Excalibur elle-même. Sans laisser à personne le temps de réagir, il l’abattit avec violence. Sur Sam Raimi. L’embout d’un mètre, en T, se releva. Raimi gémit. Le tuyau tomba à grande vitesse. Rictus enragé de Mc Tiernan. Montait. Descendait. Montait. Descendait. Le sang giclait à petits jets. Montait. Descendait. Montait. Descendait.
John Carpenter donna un bon coup de poing à Mc Tiernan. Il parut à peine le sentir et continua à s’acharner sur Raimi. Le tuyau s’abattait toujours plus brutalement. Montait, descendait. Montait. Descendait. Montait. Descendait. Le visage de Raimi n’était plus qu’un masque rose couvert d’un filet noir à reflets rouges vermillons.
Tous les marins se levèrent et foncèrent vers Mc Tiernan.
Craven reçut quelques gouttes sur son menton et les essuya machinalement. Il avait toujours vu le sang humain rouge vif, mais quand il coulait, il était déjà bien plus sombre. Après, lors de la coagulation, il devait virer au brun, non ? Bientôt, Raimi aurait la tête brune comme un vieux pruneau desséché.
Et toujours, le tuyau descendait. Montait. Descendait. C’est pas vrai, songea Craven, ils n’ont pas encore arrêté ce cinglé ? Le va-et-vient de l’arme improvisée avait quelque chose de mécanique, avec cependant une touche de cruauté humaine indéniable : chaque coup déployait davantage de force que le précédent. La masse sombre formée par le crâne de Raimi tomba sur la table et commença à y rebondir avec un bruit sourd. Les attaques du dément avaient enfin cessé.
Mc Tiernan parvint à échapper aux marins assez longtemps pour asséner un dernier coup de tuyau. Les râles de Sam Raimi avaient cessé depuis longtemps, mais cette conclusion acheva de convaincre Craven de la mort de leur compagnon : en effet, la trompe « Mop » s’enfonça dans la chevelure sans rencontrer de résistance.
Wes Craven se détourna du spectacle, se tourna vers la table où plus personne n’était assis et vomit dans une assiette.
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