La Bibliothèque de la ShinRa corp.
Damnation
CHAPITRE ONZE
Pendant des années, Kain et ses six lieutenants fomentèrent leurs complots. Ils réfléchirent posément à toutes les possibilités. Et moi, emprisonné à jamais avec l’infinité d’autres moi-même dans la Soul Reaver, je les regardais.
Ils prirent cinq siècles pour constituer leur armée. Ils firent disparaître chaque année des milliers de cadavres et les changèrent en vampires. Les légions de morts-vivants furent retenues dans le Palais-Crâne, l’ancienne Forteresse de l’Esprit de Nupraptor, à présent usé par les intempéries, érodé tel une montagne. Durant cinq cent années, tandis que Kain conservait sa puissance, s’en galvanisait, restait enterré dans un cocon au cœur de l’énorme crâne de pierre, sa force augmentant sans cesse, ses fidèles lieutenants, eux, dépensaient toute leur énergie pour constituer une armée invincible. Ils gardaient pour eux les enseignements de leur maître, et transformaient les corps humains en vampires dans le plus grand des secrets. Ils prirent également l’habitude de se nourrir très discrètement. Parallèlement, dans toutes les contrées de Nosgoth, les survivants des Célestes et des nouveaux vampires, tous ceux qui avaient résisté à la Première Croisade Séraféenne, à la Traque de Mœbius et à la Seconde Croisade Séraféenne, commandée en réalité par le Général Hylden, ainsi qu’au poids des années et aux persécutions innombrables dont ils étaient l’objets, étaient informés de ce que préparait Kain. Dans le plus grand des secrets, ils partirent de leurs gîtes et voyagèrent sous diverses formes jusqu’au Palais-Crâne. En réalité, seuls les six lieutenants et le cocon de Kain demeuraient dans le crâne de pierre ; les hordes de vampires, elles, vivaient au cœur des souterrains creusés à même la montagne. Dans cette région inhospitalière, aucun humain ne vint les importuner. Quelques femmes étaient certes enlevées dans les villages avoisinants pour que l’armée puisse survivre. Dans l’esprit de l’humanité n’étaient plus ni Hyldens ni vampires. Des contes de fées tout juste bons à effrayer les enfants. Pourtant, la puissance des hordes vampiriques cachées derrière le Palais-Crâne était considérable. A présent, ils étaient des millions.
Cinq cent ans après que Kain soit entré dans son cocon, Raziel vit que la base du crâne de pierre s’apprêtait à tomber. Les six lieutenants se replièrent dans les souterrains. Alors le Palais-Crâne tomba, et Kain en sortit, noble et majestueux. Sa peau était de bronze et d’or, et à son ventre, la cicatrice du coup d’épée que le Seigneur Séraféen lui avait infligé n’était plus qu’un petit sillon noir. Des veines obscures couvraient son formidable épiderme, ses arcades sourcilières étaient remontées jusqu’à former des cornes, sa chevelure prenait désormais naissance entre elles, dissimulant son front. Pareil à une statue antique, Kain était là. Il se vêtit, et tous virent qu’il mettait une boucle d’oreille étrange, en réalité un vieux souvenir : la Chevalière de Vorador. Il avait les habits convenant au futur souverain de Nosgoth ; accrochée sur son dos, dans un fourreau de cuir, était la Soul Reaver, où nous nous reposions en prévision des carnages futurs. En le voyant debout, fier et massif, ses six lieutenants, ainsi que toutes les légions de vampires qu’ils avaient pu rassembler, ne doutèrent pas de leur victoire. C’était là l’être exceptionnel qui allait les mener à dominer Nosgoth.
Tous étaient silencieux lorsque Kain parla.
- En ce jour, je revendique la propriété de Nosgoth. Je suis à présent âgé de mille ans ; en vérité, je vous le dis, j’ai l’intention de vivre pour toujours. Aucun d’entre vous ne connaît Vorador ni Janos Audron ; ils prétendaient ce que je crois à présent… Nous sommes des dieux anciens. Non des démons… Des êtres exceptionnels. Notre stérilité, notre éternelle soif de sang, notre sensibilité à l’eau et au soleil, sont les conséquences d’une malédiction jetée sur nous par une race antique aujourd’hui disparue.
Il fit face au crépuscule.
- En vérité, je vous le dis, nous sommes une légende dans le cœur des hommes. Ils ne sont pas préparés à ce qu’ils vont affronter. Je régnerai, et le monde de Nosgoth m’appartiendra. Vous, mes fidèles lieutenants… Raziel… Dumah… Turel… Rahab… Zephon… Melchiah… Vous posséderez chacun une tranche de Nosgoth. L’hémisphère nord et l’hémisphère sud seront chacun divisés en trois parties, dont vous serez les seigneurs. Et vous, mon armée, mes innombrables enfants, vous parcourrez ces territoires. Vous deviendrez les clans des lieutenants qui vous ont tirés du royaume des ombres. Mais chacun aura ce qui lui est dû, ce qui est juste. Le vampirisme n’est pas une malédiction, mais une bénédiction. Vous appartenez à la race des dieux dont l’hydromel est le sang humain ! Allons ! Allons ! Allons dévaster Nosgoth !
Et il bondit par-delà les montagnes, et les légions vampiriques le suivirent.
La guerre fut brutale. Rapide. Terrible. Les hommes n’eurent même pas le temps de s’organiser. L’armée des vampires parcourut le monde entier ; et à sa tête chevauchait Kain, monté sur un cheval qu’il avait lui-même dressé, et revêtu d’une cuirasse protectrice. Il arrivait parmi la rage de la bataille, et sa seule vue amenait l’affliction dans l’esprit des humains les plus courageux, et insufflait la volonté de vaincre aux vampires les plus couards. Nous, l’infinité de Raziels, dans la Soul Reaver, participions au massacre. Ce fut splendide. Après des années d’invasion brutale, enfin rassasiés, les vampires établirent un joug sur tout Nosgoth. Seuls quelques humains survivaient.
Cinq siècles plus tard, à la suite d’une mutation dans un cocon, Raziel, ma précédente incarnation, put acquérir de belles ailes de chauve-souris. Avant qu’il ne se présente devant l’Empereur de Nosgoth, Kain alla dans le repaire de Mœbius, parmi les montagnes du nord. Il vit le commencement et la fin de notre histoire. Un conte cruel et peu engageant. Il décida alors d’en réécrire les lignes. Grâce à la Soul Reaver qu’il avait en main, il pouvait concevoir un plan d’action. Il vit aussi, dans une fenêtre temporelle, que ces desseins étaient prévus, mais qu’il allait malgré tout mourir de ma main. Il décida de jouer le jeu, de courir le risque.
Pardonne-moi, fils, pensa-t-il. Si seulement je pouvais te dire à quel point ça me fait mal de te faire souffrir… Mais je ne peux rien révéler.
Je fus précipité dans les abysses.
Mille ans s’écoulèrent. Les légions vampires de Kain dégénérèrent ; leurs âmes n’avaient aucune aspiration noble, et aidés par la corruption des Piliers, ils se changèrent en créatures démoniaques. Alors l’Empereur de Nosgoth attendit la suite des événements, assis sur son trône, à la base de la Colonne de l’Equilibre.
Ma précédente incarnation pénétra dans la pièce centrale du Sanctuaire des Clans, le Palais de Kain, la salle des Colonnes.
- Raziel…
- Kain !
Kain se leva de son trône, un sourire sadique sur le visage.
- Les abysses ne t’ont pas épargné.
- Aujourd’hui comme hier, je suis ta création, dit Raziel. Critiquerais-tu ton œuvre ? Où est mon clan, monstre dégénéré ? Tu n’avais pas le droit !
- Un maître a tous les droits.
Raziel braqua une griffe accusatrice sur son tortionnaire.
- Maudit sois-tu, Kain ! Tu n’es pas un dieu ! Ce génocide est impardonnable !
- Conscience… C’est toi qui me parle de conscience ? s’esclaffa Kain. Attends d’avoir pesé la gravité de tes choix avant d’avoir l’audace de porter un jugement sur moi !
Il avança droit sur son ancien lieutenant, poursuivant :
- Ta vie n’est qu’une étincelle comparée à la quantité de regrets et de doutes que j’ai pu accumuler depuis que Mortanius, pour la première fois, me détourna de la lumière ! Ahaha… Le destin du monde dépend de la sagesse du moindre de mes gestes… Sais-tu ce que tu ferais, toi, si tu étais à ma place ?
- Je choisirai l’intégrité, Kain.
- Ha, ha, ha, ha, ha, ha ! Ha, ha, ha, ha, ha, ha !
Après une dernière crise de fou rire, l’Empereur de Nosgoth étendit les bras, désignant les Piliers en ruines.
- Regarde un peu autour de toi, Raziel. Regarde ce qui reste de notre Empire. Notre ère tire à sa fin… Les clans sont disséminés à travers Nosgoth. Cet endroit a fait son temps… tout comme toi !
Kain décrocha la Soul Reaver de son dos. Je me souvins de mes pensées à cet instant : « La Soul Reaver, l’épée de Kain depuis la nuit des temps, plus ancienne et plus dangereuse que nous tous réunis. Selon la légende, elle est possédée et se nourrit des âmes de ses victimes. Pour nous tous, voir Kain tirer sa précieuse épée de son fourreau signifiait une seule chose… la mort ! »
L’Empereur de Nosgoth se téléporta dans le dos de Raziel, qui se retourna, portant un grand coup de griffes. Blessé, Kain envoya un Eclair d’Energie qui détruisit le vampire des âmes. Dans la sphère spectrale, Raziel se régénéra puis utilisa un portail pour retourner au combat. Il donna deux coups de griffes. Kain se téléporta sur le socle des Colonnes de Nosgoth et envoya de grandes étincelles violettes qui assommèrent son adversaire. Il marqua un temps d’arrêt, leva la Reaver et frappa. Dans la lame, nous nous mîmes à hurler. La distorsion temporelle déforma le décor… Un instant, tout s’arrêta. C’était un monumental paradoxe temporel. Comment pouvions-nous nous entre-dévorer ? Si nous détruisions Raziel maintenant, il ne pourrait voyager dans le passé et se faire empaler par les Soul Reaver physiques et spectrales réunies, être aspirer dans la lame et devenir nous ! Une douleur abominable. Des tentacules de souffrance nous avaient saisi. Nous étions déchirés entre deux possibilités.
Quelque chose craqua. La Soul Reaver se désintégra.
- Mon épée est vaincue, soupira Kain. Nous sommes un peu plus proches du jugement final…
Sur un ultime ricanement, il se téléporta. Réduits à l’état de lame spectrale, nous sombrions dans l’inconscience.
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