La Bibliothèque de la ShinRa corp.
Damnation
CHAPITRE DOUZE
Flux… Reflux… Des retrouvailles… Durant des jours et des jours, nous ne fûmes qu’une entité endormie, qui dévorait toutes les âmes passant à sa portée.
Flux… Reflux… Rattachés au bras de Raziel, en une lame spirituelle, nous restions inconscients.
Flux… Reflux… Notre marée d’âmes en retrait se rapprochait par heurts du réveil. Nous rencontrâmes… nous-mêmes !
Nous nous trouvâmes enfin conscients. Nous étions dans le mausolée de William, et Raziel nous avait mis en contact avec la Soul Reaver physique brandie le gisant, la lame brisée en deux. Nous comprîmes nos semblables, l’infinité de Raziels scellés dans cette Reaver cassée dans l’affrontement entre William le Juste et Kain.
- Quel est l’événement qui a bien pu vous plonger dans un si profond sommeil ? nous demanda le Raziel du premier cycle.
- Nous avons souffert, avons-nous répondu. Nous avons beaucoup souffert. Notre dernier souvenir conscient, c’est Kain frappant un autre Raziel… Et puis le néant.
Pour la première fois, le Raziel encore non enfermé comprit la vraie nature de l’entité que nous constituions, notre soif, notre colère face à un si long exil. Les milliards de milliards de milliards de Messies de Nosgoth que nous étions hurlions notre rage, tentant de posséder notre précédente incarnation. Nous commençâmes à pomper, à pomper, à aspirer implacablement l’énergie spirituelle du malheureux, tels des vampires communs s’abreuvant à la carotide d’un être humain.
Les Raziels de l’autre Reaver commençaient à ressentir la même ire instinctive, et ils burent, comme notre foule de moi-même qui les environnions. Alors que nous gagnions en force, sans pourtant étancher notre soif infinie, la Soul Reaver physique dans laquelle demeurait l’autre lame spectrale se reconstitua, son extrémité brisée se souda sous notre effort commun. Elle était intacte. Sentant cela, les autres Raziels relâchèrent leur étreinte, et nous, la lame intégrée au bras de Raziel, nous les imitâmes. Nous étions revigoré, et nous sentîmes que notre Reaver avait gagné en force. Nous, l’infinité de Raziels qui la constituaient, avions retrouvé la conscience, et notre volonté propre.
Raziel saisit la Soul Reaver physique, autour de laquelle serpentaient nos esprits et ceux de l’autre infinité. Il bondit devant Mœbius :
- Que m’as-tu fait, Mœbius ? Est-ce là un de tes pièges ?
- Mon piège ? s’indigna le vieil homme. Tu oublies que c’est Kain, et non moi, qui t’amena en ces lieux. Pendant que tu maudis la seule âme de Nosgoth prête à te guider et t’assister, Kain se rit de ta témérité et de ton désarroi !
Raziel brandit les trois Soul Reavers associées.
- Ces lames… nouées dans une sinistre étreinte, ont inspiré le cœur dans la terreur de créatures bien plus…
Il tapota de sa griffe le crâne de son interlocuteur, qui, horrifié, se replia sur lui-même.
- … solides… que toi, vieil homme. Réunies, je n’ose imaginer leur effet sur le fragile écrin de ton âme !
- Tue-le ! avons-nous crié. Tue-le ! C’est la cause de tout !
- Raziel, gémit Mœbius, je te supplie de retenir ta main. Jamais je ne le voulus. Je n’ai chercher qu’à t’aider dans ton juste combat !
Sur ce, il fit son rictus immonde.
- Tu trembles, Mœbius. Où donc est passée ta morgue ? Tu as commis une fatale erreur en abandonnant ton si précieux Bâton… Serait-il l’unique source de ton courage ?
- Ecoute-moi, Raziel ! Mesure la portée de tes actes ! J’ai pris tous les risques en paraissant devant toi… sans défense… afin de prouver mes bonnes intentions. S’il reste une ombre du Séraféen que tu fus, tu ne me tueras pas. Tandis que tu me toises, ton ennemi s’échappe !
- N’aie de crainte pour Kain, vieil homme, fit Raziel. Il te suivra bientôt aux Enfers. Tu avais raison, la mort a toujours le dernier mot.
Mœbius parut se résigner, alors que la Soul Reaver où j’étais enfermé se levait pour l’occire, et murmura :
- Soit. La Roue du Destin l’exige.
- Qu’as-tu dit ? demanda Raziel, interloqué, s’arrêtant.
- Non ! rugissions-nous. Raziel ! Tue-le ! Ne te laisse pas avoir !
Le vampire des âmes ne pouvait nous entendre ; il écouta les imbécillités que lui servait le vieillard, lequel, voyant enfin un moyen de sauver sa vie, brodait fébrilement des paroles sans sens :
- La Roue du Destin… L’inexorable cycle de morts et de réincarnations auquel sont soumis tous les êtres vivants. Nous servons le même dieu, Raziel.
Mœbius se releva.
- M’abattre serait priver Dieu de son plus fidèle serviteur… Et je crains que même toi ne puisses t’y risquer.
- Tes petits jeux commencent à me lasser, Mœbius. Pour l’heure, je me contenterai de ta crainte… Kain m’attend !
Raziel jeta la Soul Reaver physique sur le sol. Déchirés, ne sentant plus l’autre infinité de Raziels, nous étions désespérés. Le vampire des âmes s’en alla, alors que Mœbius reprenait :
- Va, Raziel. Poursuis Kain et détruis-le, au nom du dieu unique que nous servons tous deux. Prêtre Séraféen tu fus, assassiné, profané, banni et ressuscité dans son immense miséricorde, tu es à présent son plus puissant instrument de châtiment et de rédemption.
- Ma vengeance est une motivation suffisante, vieil homme, répliqua Raziel, déjà loin.
Sur un geste magique de Mœbius, les doubles portes d’acier se refermèrent. Il laissa échapper quelques marmonnements.
- Eh bien, il s’en est fallu de peu, mon petit démon bleu ! Mais je puis te promettre que c’était la première et la dernière fois que tu m’avais à ta merci…
Le vieillard disparut.
- Dans quelques jours, dit le Raziel du précédent cycle, nous tenterons en même temps que l’autre lame spectrale, enfermée dans la Reaver physique, de changer le cours de l’Histoire. Puissions-nous réussir.
Nous assistâmes à l’épopée de Raziel, qui parcourut Nosgoth jusqu’à la Forge de Ténèbres, revenant ensuite à la Forge de Lumière du lac. Sur son chemin, il rencontra Kain, le Dieu Ancien et Vorador. Puis il pénétra à nouveau à l’intérieur du donjon de Mœbius, l’ancienne forteresse de l’ordre Séraféen.
En arrivant au cœur de la nef, il trouva un croisé à la nuque brisée. Il savait qui l’avait tué.
- Montre-toi, Kain !
- Je suis ici, Raziel.
Le vampire des âmes marcha à grands pas, approchant du tombeau, de son créateur et de la Reaver où une infinité d’autres Raziels demeuraient. Révoqués à l’intérieur de son bras, nous attendions notre heure. Si nous avions eu une peau et des pores, nous aurions été couverts de sueur. Si nous avions eu des yeux, ils auraient été fiévreux. Si nous avions eu un cœur, il aurait battu à une telle cadence que l’on aurait pu le croire sur le point de succomber.
- C’est en cet endroit que tout se joue, dit Kain. Tu ne peux comprendre l’ivresse, la magnitude et la tragédie de ce moment. Et tu le dois cependant, si tu veux sauver Nosgoth de la fange dans laquelle il s’enfonce… inexorablement…
- Il n’entend que ceci, Kain, lança Raziel. Que Mœbius et toi m’ayez amené ici signifie simplement qu’aucun de vous deux n’est digne de confiance !
Il tourna le dos à Kain.
- Je ne sais pas qui tire les ficelles, mais cela n’a guère d’importance, car je les ai rompues. Je suis désormais seul maître de mon destin !
- Si seulement c’était si simple… gémit l’Empereur de Nosgoth.
- Ton fatalisme est lassant, Kain.
- Et profondément enchâssé, Raziel ! Tu dois comprendre. Notre présence n’affecte en rien l’Histoire. Nous sommes réunis car nous le devons ! Nous nous rencontrons toujours ici ! L’Histoire est inflexible. Jette un rocher dans un torrent, l’eau le contourne comme s’il n’avait jamais existé. Nous sommes des cailloux, Raziel. Nous avons encore moins l’heur de détourner le cours du temps. Le courant est tout simplement trop fort, Raziel !
Kain se retourna, sa peau de marbre, de bronze et d’or luisant à la lumière des vitraux, se penchant sur le tombeau de William, le visage peiné.
- Cependant, comment expliquer William dans ce cas ? Le jeune prince adulé devenu tyran sanguinaire ?
Il prit la Soul Reaver physique dans ses griffes.
- Dans mes jeunes années, reprit-il, je fus témoin de son ascension, puis de sa conversion en Nemesis ! Qui ravagea Nosgoth !
En faisant volte-face, Kain balaya l’air de la lame serpentine.
- Garde tes distances, Kain ! jeta Raziel.
- Plusieurs années s’écoulèrent avant que j’eusse l’opportunité de retourner dans le passé, sans… sans réaliser que tout était orchestré par Mœbius. Me croyant sage, j’en profitais pour assassiner le jeune roi avant qu’il ne dévaste Nosgoth, et procurais ainsi à Mœbius le prétexte qu’il attendait pour déclencher sa croisade contre notre race.
Kain s’avança, tenant la garde en crâne démoniaque de la Reaver dans une main, l’extrémité de la lame dans l’autre. Raziel recula, disant :
- Je t’avertis, pas un pas de plus !
- Cet acte insensé bouleversa le cours du temps. L’avènement de Nemesis n’eut jamais lieu… et William mourut en martyr. Quant à moi, l’assassin vampire, je devins le fossoyeur de ma propre espèce. Mœbius en fut seul bénéficiaire.
L’Empereur de Nosgoth jeta un regard sur le vitrail central, un formidable triptyque présentant William, enveloppé de roses d’un rouge sanglant, coiffé d’une auréole, croisant le fer avec Kain le jeune vampire, bordé de crânes humains, dans un combat terrible.
- J’avais tué un tyran pour en sacrer un plus noir encore, dit Kain. Mais comment cela se peut-il ? Comment, si l’Histoire est immuable ? Cette pièce recèle notre réponse, Raziel…
Kain marcha vers Raziel, montrant la Reaver.
- Mœbius initia ma rencontre avec William, mais il s’assura… d’abord ! … que nous serions tous deux armés de la Soul Reaver.
Kain cessa son discours, reprit :
- L’épée est la clé, Raziel. Deux de ses incarnations se croisent dans le temps et l’espace, créant un paradoxe, une discontinuité capable de faire vaciller l’Histoire !
Tout devint flou. La déformation temporelle affecta jusqu’à l’infinité de Raziels dont je faisais partie. Je soupirais, alors que je voyais le vampire des âmes se débattre : de son bras s’extirpait l’énergie élémentaire de lumière dont nous, la lame spectrale, nous étions récemment nourri. Des flots jaunâtres parcoururent les ténèbres où nous étions détenus avant de disparaître à l’extérieur.
- Quelle est donc ta sorcellerie ?
- Pas la mienne, Raziel… argua Kain. La tienne. Tu n’as rien à craindre de moi, Raziel. Tous les atouts sont dans ton jeu !
Il présenta la poignée de la Soul Reaver à Raziel, qui la saisit, poussé sur les chemins du destin. A cet instant, ayant lâchée l’énergie de lumière élémentaire, nous nous unîmes une fois de plus à l’épée physique… Et à la lame spectrale. Nous savions que tout autant que nous, cette première infinité de Raziels était déterminée à ne pas se laisser faire, à détourner le cours de cette Histoire sinistre et pataude, si cela était possible.
- Alors peut-être devrais-je mettre ta sincérité à l’épreuve, lança Raziel à Kain.
Il leva les trois Soul Reavers unies une fois de plus, frôlant la pomme d’Adam de son interlocuteur de la pointe de la lame. Puis il le fit reculer.
- Si ce que tu viens de dire est exact, tu devrais être terrifié ! Je pourrais te tuer céans !
- Tu vas même le faire, Raziel…
La pression de la réalité apparut autour de nous. Nous nous débattîmes, tentèrent d’influer le cours des choses…
- Que se passe-t-il ? s’enquit Raziel, soudain inquiet.
- Nous rencontrons notre destin, Raziel, l’informa Kain. Rien d’autre que le flot du destin réagissant autour de nous. L’histoire et nos destins fusionnent…
A cet instant, la Reaver partit, emportant le bras de Raziel. Kain se baissa, esquivant le coup de justesse. Mais l’arme et le membre de Raziel, rattachés inéluctablement, semblaient contrôlés par une force incommensurable.
Assis tout contre le gisant de William, plus vulnérable que jamais, Kain mettait à profit chaque seconde pour expliquer encore davantage à son… adversaire ? fils ? ennemi ? ami ? lieutenant ? allié ? ou tout cela à la fois ? la situation.
- C’est le moment d’éprouver la force de ta foi en ton libre arbitre, Raziel. Tue-moi maintenant, et nous devenons deux pantins, condamnés à une vie que d’autres contrôlent. J’étais voué à devenir le gardien de l’équilibre de Nosgoth ; tu devais en être le sauveur. Mais Mœbius altéra la trame de mon destin, et dès lors, la tienne connut le même sort.
Nous utilisions toutes nos forces pour empêcher un terrible futur de s’accomplir, avec le terrible sentiment qu’elles ne suffiraient pas. Deux infinité de Raziels, unis en lignes d’énergie bleue autour de la lame de la Reaver physique, plus le Raziel unique qui tentait désespérément de retenir les trois épées emportées par l’Histoire, n’étaient pas encore assez. Et pourtant, nous disposions de la Soul Reaver, l’unique moyen de modifier le cours du temps.
- Folie que tout cela ! protesta le vampire des âmes.
- Bats-toi, Raziel ! Cet instant peut n’être pas une fin ! Il peut devenir un prélude !
- Je… ne le peux…
- Tu en es capable, Raziel ! Cherche en toi et tu verras que tu l’es ! Tu as le pouvoir de réécrire nos vies !
Raziel leva les bras, la lame décrivit un arc ascendant… Des milliards de milliards de milliards de Raziels crièrent, persuadés que leurs efforts étaient vains, et continuant pourtant à lutter, lutter contre les circonstances même qui avaient conduit à leur présence.
Notre précédente incarnation abattit la Soul Reaver, qui s’enfonça… dans la pierre, fendant le gisant et la tombe de William le Juste. Terrassés par cette transgression, les autres Raziels, ceux demeurant dans la Reaver physique, sombrèrent dans l’inconscience. Mais nous étions au comble de la joie. Kain était vivant ! Nous avions réussi !
- Pauvre William… gémit Kain en se relevant.
Il y eut un séisme. En cet instant, nous comprîmes. Dans le futur, Kain allait sauver Raziel, provoquant des modifications plus grandes encore, détournant littéralement le flot du temps. Mais dans l’euphorie, nous tous rugissions de bonheur, des cris d’extase. Les volontés conjugués de l’autre lame spectrale, du Raziel qui tenait l’épée et de notre infinité avaient triomphé.
- Victoire ! criions-nous.
- Nous sommes libérés de ce cycle temporel !
- Ouiiiiiiiiii !
La marée de Raziels se souleva. Nous devenions transparents dans l’océan d’obscurité. Je me rendis compte que certains de mes souvenirs disparaissaient.
- Que va-t-il se passer maintenant ? demandai-je au Raziel du précédent tour de piste.
- Nous allons disparaître. Suivre notre propre décision. N’avions-nous pas dit à Iml, l’Aîné, le Dieu Ancien entre les tentacules duquel nous avions ressuscité : « Plutôt sombrer dans le néant que de vivre ainsi » ? !
Je souris. Je n’avais eu qu’un faible aperçu de l’enfer que devait être cette histoire sans fin. Nous tous, les Raziels, nous nous sommes étreints avec chaleur.
- Heureux de vous avoir connu, dis-je.
- Tout n’est pas fini. Mais pour nous, en tout cas, c’est l’apogée. Nous sommes délivrés des Enfers.
- Que va-t-il se passer ?
Nous devenions de plus en plus éthérés. J’avais du mal à saisir ce qui me passait par la tête, ma personnalité se dissolvait.
- Raziel, déclara l’un des moi-même qui avaient vécu des milliards de milliards de milliards de milliards de cycles, le Raziel que nous avons été, échappant à cette boucle temporelle, pourra accomplir sa destinée de Messie de Nosgoth.
- Alors, nous sommes morts. Pour de bon.
- Et les Hyldens ? L’Histoire va prendre un tour imprévisible…
Je me tournais vers l’obscurité, prêt à disparaître.
- L’avenir nous le dira.
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