La  Bibliothèque  de  la  ShinRa  corp.

 

 

Damnation

 

 

CHAPITRE NEUF

 

Kain alla chercher la Reaver, où nous reprenions vie, libérés du pouvoir de l’orbe. Puis il fouilla le cadavre décapité de Mœbius, trouvant le Sablier qui devait être restitué au Pilier du Temps.

Il se changea en une volée de chauve-souris, dont plusieurs portaient ses épées, ses armures, ses artefacts magiques et les présents des Colonnes. Puis il s’envola dans le ciel, alors que le soleil se couchait. Les chauve-souris planèrent au-dessus de Nosgoth. Il survola les plaines, les forêts, les montagnes, les canyons. Il voleta au-dessus de la Montagne de l’Oracle, passa près de la plate-forme rocheuse portant le Bastion de Malek, admira le Palais-Crâne de Nupraptor à flanc de falaise, tout en voyant avec intérêt que la tour de thaumaturgie de l’Eden Noir avait cessé de cracher son énergie corruptrice. Il plana près d’Avernus, qui n’était plus que ruines qu’arpentaient mille démons invoqués du plan spectral par Azimut, la Planeuse. Il survola la forêt de Termagent, qui abritait sous les frondaisons de ses arbres millénaires des marais putrides éclairés par l’Ignis Fatuus, qui guidait les aventuriers jusqu’à la Forge de Ténèbres et jusqu’au manoir de Vorador. Tout au sud-ouest du territoire, là où était le village où il avait été assassiné, là où était la crypte où il s’était éveillé à son existence vampirique, les Colonnes de Nosgoth s’étendaient jusqu’au ciel. La majorité d’entre elles avaient repris leur couleur blanche d’origine, mais il en restait quatre encore grisâtres et fissurées : le Pilier de l’Equilibre, le Pilier du Temps, le Pilier des Etats et le Pilier de la Mort.

Les Neuf Colonnes de Nosgoth, chacune reliée à un des Gardiens membres du Cercle des Neufs. Le dixième Gardien était celui de la Soul Reaver, Janos Audron.

Le Pilier de l’Esprit, autrefois protégé par Nupraptor, le Mentaliste, et restauré lorsque Kain lui avait offert la tête fraîchement coupée de l’amant d’Ariel.

Le Pilier du Plan Spectral, qui était encore voici peu de temps sous l’égide d’Azimut, la Planeuse, lui aussi blanc comme neige.

Le Pilier du Conflit, défendu il y avait quelques jours encore par Malek, le Paladin et sixième chef Séraféen.

Le Pilier de la Nature, lié jusqu’à sa mort à Bane, le Druide. La coiffe de corne que Kain lui avait retournée avait ramené cette Colonne à sa propreté immaculée.

Le Pilier de l’Equilibre était à moitié corrompu ; couvert de fissure, d’un gris sale, correspondant à Kain l’Aeon(successeur d’Ariel l’Aeon), il hésitait encore entre rédemption et damnation.

Le Pilier de l’Energie, régénéré depuis que la combinaison de caoutchouc de Dejoule, l’Energiste, lui avait été restituée.

Le Pilier du Temps. Kain était sur le point de lui donner en offrande le Sablier de Mœbius, Voyageur du Temps, mais pour l’heure, il restait noirâtre, craquelé.

Le Pilier des Etats était toujours gardé par Anacrothe, l’Alchimiste, qui avait échappé au vampire dans l’Eden Noir, quand Malek lui avait barré une fois de plus la route.

Enfin, la Colonne terminale et fatidique, le Pilier de la Mort, encore plus sombre que les deux précédents, atteignait un niveau de décrépitude inimaginable. Drapé d’obscurité, fêlé, fissuré, c’était l’image même de la déchéance ; j’avais peine à croire qu’il ne se soit pas encore effondré.

Et là, sur le plateau d’où jaillissaient les Piliers de Nosgoth, évoquant un cadran solaire gigantesque, en marbre, or et onyx, deux personnes discutaient.

Les chauve-souris se rassemblèrent derrière la Colonne de l’Esprit, redevenant Kain. Il resta dissimulé par le Pilier, observant discrètement la confrontation.

Les deux derniers Gardiens qu’il cherchait étaient là. Anacrothe, l’Alchimiste, Gardien du Pilier des Etats, et Mortanius, le Nécromancien, Gardien du Pilier de la Mort. Kain chercha Ariel des yeux ; son spectre n’était visible nul part, elle était probablement passée dans la dimension de l’au-delà.

Anacrothe, dans sa robe mauve, semblait irrité contre Mortanius. Avant qu’il ne se tourne face au Nécromancien, Kain vit ses yeux vitreux et ses cernes sombres. Que de corruption au sein du Cercle des Neufs…

- Tu as fait assassiner Kain et tu l’as transformé en monstre, lança Anacrothe. Tu l’as dressé contre nous !

- C’était inévitable ! La folie de Nupraptor a empoisonné tous nos esprits…

Mortanius parlait d’un ton étrangement haché. Il écarta les bras.

- … Le Cercle a failli a son devoir sacré. Il devait être exterminé !

- Failli à notre devoir ? fit Anacrothe. Idiot ! Le Cercle existe pour nous, nous n’existons pas pour lui ! Nos pouvoirs sauveront ou damneront Nosgoth à notre guise… Joins-toi à nous, Mortanius, ou meurs !

- Alors, je mourrai.

Le combat fut rapide, impitoyable. L’Alchimiste lança de nombreux sorts chimiques, mais ils n’avaient aucun effet sur le Nécromancien à la poitrine desséchée, aux yeux blancs, à la face squelettique. Mortanius répliqua par un éclair dévastateur qui envoya son adversaire se fracasser le dos contre le Pilier de l’Esprit. Sans attendre qu’Anacrothe se relève, il enchaîna sur une incantation ; des esprits maléfiques soulevèrent l’Alchimiste, son crâne céda avec un bruit liquide écœurant.

Kain choisit ce moment pour sortir de sa cachette, caressant la lame de la Soul Reaver.

- Si le Cercle doit être détruit, tu périras avec lui, Nécromancien ! J’admire ta perfidie, mais tu n’échapperas pas à ta destinée.

- Non, je l’assumerai, dit Mortanius, mais ma mort s’accompagnera de celle d’un autre, Principitule. Achève-moi !

Il leva un bras maigre ; une légion de squelette sortit du sol. Kain, d’un seul revers de Reaver, réduisit les morts-vivants en poussière verte. Sans attendre la réaction du Nécromancien, il bondit, assenant un grand coup à son ennemi.

Mortanius tomba, réduit en cendres. Cependant, ces poussières se réunirent, et il se releva, apparemment indemne… avant de changer. Ses mains devinrent d’énormes griffes, son dos fut soudain noir et poilu. Sa tête… des yeux rouges flamboyants, une gueule garnie de crocs, de grandes cornes. Il grandit, grandit, grandit. Je reconnus ces traits caractéristiques. L’être ressemblait aux démons ténébreux, aux dos garnis de piques, que j’avais affronté avant d’être aspiré dans la lame de l’épée. Et il était plus grand, bien plus grand.

- Hash’ak’gik, me souffla un Raziel. L’entité qui posséda Mortanius dans les bas-fonds de la cathédrale d’Avernus.

Pendant ce temps, le démon enflait encore. Il apparut dans toute sa splendeur, cornes interminables, grimace de cruauté, membres puissants, musculeux. Kain assistait à la fin de la métamorphose, médusé.

- Ha, ha, ha, ha, ha ! fit Hash’ak’gik. Tu te prenais pour un roi, alors que tu n’étais qu’un pion ? Tu m’as bien servi, Kain !

- Je – ne – sers – personne ! rugit le jeune vampire.

- Assurément ! Quelle vision étriquée… Tu ne vois donc pas ? L’élimination d’Ariel et ses répercussions bien calculées ne sont que le premier acte de ma pièce… Le grand guignol… dont tu es le héros tragique ! Continue à jouer, petit vampire, continue !

Kain écarta les dents, poussant son cri de guerre :

- Vae victiiiiiiiis !

Il donna un unique coup de Soul Reaver. Le démon se baissa, évitant de peu la lame qui crachait une mort semblable à de la lumière liquide. Mais il continua à descendre, et passa à travers le marbre constituant le socle des Colonnes. Le dos noir disparut dans les dorures.

- Où… ? se demanda Kain.

Je savais bien, moi, où Hash’ak’gik s’était rendu en passant à travers la pierre. Il avait plongé sous le socle, dans la salle souterraine où les Piliers s’étendaient, aussi grands en profondeur qu’en hauteur, s’enfonçaient à travers un second socle avant de disparaître entre les tentacules de l’Ancien qui prétendrait me ressusciter dans un lointain futur. Cela prouvait que le démon était un supérieur, un subordonné ou un allié du dieu Iml.

Kain sauta en arrière, juste à temps. Le démon ressortait du socle à l’endroit où il s’était tenu. Puis il replongea, évitant un coup de Reaver qui percuta le Pilier de la Nature…

… dans la forêt qui entourait les Colonnes, l’herbe se flétrit, des sapins s’abattirent…

… Hash’ak’gik apparut derrière le vampire, qui ne fut pas assez rapide. Il fut envoyé, d’un coup de griffes, sur la Colonne du Plan Spectral…

… dans la sphère spirituelle, des âmes faillirent revenir à travers des portails dans le monde physique…

Kain, tous ses os brisés, se régénérant, mais beaucoup trop lentement, vit arriver son adversaire. L’énorme démon abattit une patte sur la tête du futur Empereur de Nosgoth. Le nez, les yeux, l’ossature du visage de Kain et jusqu’à ses canines furent broyés par le poids. Les lobes de son cerveau s’étalèrent parmi les fragments de son crâne fracassé. Satisfait, Hash’ak’gik poussa un cri de triomphe.

- Il est mort ? demandai-je au Raziel du quatrième cycle.

- Il aurait dû. Mais notre ami cornu a oublié quelque chose…

Une lumière rouge enveloppa le corps de Kain. Il se releva, sa figure arrogante se reconstituant à grande vitesse. Son ennemi émit un grognement interrogatif. Le jeune vampire brandit alors l’artefact qui lui avait permis de ressusciter, et commenta :

- Arraché, dit-on, de la poitrine de Janos Audron, le plus grand vampire qui ait jamais existé, le Cœur des Ténèbres restaure la mort-vie vampirique !

- Non ! rugit Hash’ak’gik. Non !

Il plongea dans le sol, son épine dorsale fut effleurée par la Reaver. La pointe de l’épée égratigna le Pilier de l’Energie…

… des éclairs déchirèrent le ciel…

… le démon ressortit au grand jour. Mais cette fois, Kain l’attendait. Il empala proprement Hash’ak’gik, et le corps de la bête éclata, explosant en un million d’éclats, laissant place à un brasier, le feu dévorant de nos âmes assoiffées.

- Ha, ha, ha, ha, ha ! Vae victis !

Ariel descendit alors du faîte des Piliers, et elle était inquiète. Elle vit Kain offrir à la Colonne du Temps le Sablier de Mœbius, à la Colonne des Etats la Balance d’Anacrothe, et à la Colonne de la Mort l’Orbe de Mortanius.

A présent, les Colonnes de Nosgoth étaient blanches, et leur socle de marbre ouvragé, compliqué de motifs de métal noir et d’or, reflétait comme un miroir la silhouette du jeune vampire. Tous les Piliers étaient restaurés… sauf un. La colonne centrale. Un cylindre d’un gris terne, pathétique, craquelé.

- Je ne comprends pas… dit Kain. Je dois te tuer, à présent, Ariel, n’est-ce-pas ?

- Non, Kain. J’étais la Principitule, la Gardienne du Pilier de l’Equilibre. Désignée pour ce rôle à ma naissance, le centre du Cercle des Neufs, l’Aeon. A ma mort, je fus délivrée de cette charge…

- Les Colonnes font leur choix à la naissance ? Qui fut choisi après toi ?

- Je te le répète, Kain, gare à l’indicible… Tu es le nouvel Aeon.

Comme s’il avait reçu un coup de poing d’Hash’ak’gik dans le plexus solaire, le jeune vampire sauta en arrière. Ariel, éthérée, la moitié du visage défigurée, transformée en grimace de squelette, s’avança vers lui.

- Je t’ai caché ton destin, redoutant ta réaction. Tu dois te sacrifier pour boucler le cycle. Si tu meurs, la Colonne de l’Equilibre redeviendra blanche à son tour. A chaque fois que tu as abattu un Gardien, à commencer par mon pauvre Nupraptor, le Pilier qui lui correspondait choisissait un nouvel être pour le remplacer, cette fois non vicié. Tu dois mourir, Kain.

Le fantôme étendit les bras. De chaque côté d’elle, un rectangle, une fenêtre dans la réalité présentait l’un des deux futurs possibles. Plaines verdoyantes éclairées par la lumière du soleil… ou tas d’ossements plongés dans la pénombre.

Je suis le dernier Pilier, se dit Kain. A mon moindre caprice, Nosgoth sera guérie… ou damnée. A mon moindre caprice.

De la Soul Reaver, je sentis à peine le dilemme. Kain avait déjà fait son choix, guidé par l’instinct de survie, mais également par un certain égoïsme et la méchanceté que lui avait prodigué le venin de Nupraptor, l’atteignant dans le ventre même de sa mère. Il contourna Ariel et marcha symboliquement vers la fenêtre des ossements.

L’ancienne Gardienne de l’Equilibre poussa un hurlement. Alors que Kain empoignait plus fermement la Reaver, faisait volte-face et partait sans se retourner, les Colonnes de Nosgoth, devenues grises, se brisèrent. La tempête s’abattit sur ce monde qu’il venait de maudire, et dans le ciel grondèrent des éclairs bleus.

 

 

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