La  Bibliothèque  de  la  ShinRa  corp.

 

 

Damnation

 

 

CHAPITRE DIX

 

 

Kain n’était reparti que pour chercher du matériel. Sans utiliser la Soul Reaver, il tua d’abord un démon particulièrement replet qui rôdait avec ses congénères dans les ruines d’Avernus. Se transformant en chauve-souris, il ramena la colonne vertébrale et les côtes de la créature, un squelette imposant, aux Piliers et appuya la carcasse contre le Pilier de l’Equilibre. Ces ossements deviendraient son trône ; ils étaient autant le symbole de son statut de mort-vivant que de son âme démoniaque. Puis il déroba la source d’énergie de l’Eden Noir, et la planta au sommet brisé de la Colonne de l’Equilibre. Un dôme rouge s’abattit là et commença à s’étendre, faisant muter tout ce qu’il touchait. Kain arbora un sourire sadique. S’étant procuré un calice et quelques malheureux humains, il dégusta le nectar carmin avec une expression des plus malignes. Vorador avait raison. Ils étaient des dieux, des dieux maléfiques, et il leur appartenait de réduire le troupeau.

Nous vîmes, sans surprise, qu’alors qu’il réunissait des légions de vampires et construisait son palais, il fut envoyé dans le passé – en fait, durant le combat entre lui-même et Mœbius. Il en revint indemne. Puis il croisa Vorador ; nous fûmes d’autant plus surpris de le voir en vie que nous avions aperçu sa tête décapitée brandie par un bourreau quelques mois auparavant. Le vieux vampire, racorni et fatigué, son menton réduit à un bulbe verdâtre et ses glorieuses oreilles mystérieusement rétrécies, ne fournit aucune explication à son retour impossible. Il utilisa toute sa puissance pour arracher des âmes au monde de l’au-delà, et les enchâsser à l’intérieur de leurs anciens corps par des rituels occultes. Depuis des temps immémoriaux, depuis que les Hyldens avaient jeté sur les Célestes une malédiction de stérilité, c’était le seul moyen pour les dieux déchus, arrivés à l’état de démons nocturnes, de perpétuer leur race ; c’était la méthode qu’avait utilisé Janos Audron pour créer Vorador. Mais Vorador modifia le processus de manière à ce que les âmes soient sacrifiées pour donner vie aux cadavres et que de nouvelles âmes se forment naturellement pendant le début de l’existence du vampire, comme celles des humains après leur naissance. Bientôt, Kain disposa d’une armée et avança à travers Nosgoth. Son but était simple : conquérir cette terre qu’il avait damné, et y établir les vampires en maîtres, au sommet de la chaîne alimentaire. La horde furieuse qu’il menait, armé comme toujours de la Soul Reaver, sa face commençant à muter, son front se pliant, ses cheveux s’assouplissant, sa peau blanche devenant peu à peu argentée, dévasta le monde, pulvérisant l’opposition qu’ils rencontraient, essentiellement des rescapés croisés de Mœbius.

Ils arrivèrent à Méridian. Là, les vampires virent la nouvelle opposition : des hommes vêtus d’armures étincelantes, couvertes de runes lumineuses, qui se prétendaient descendants des prêtres-guerriers Séraféens. Leur dirigeant, le Seigneur Séraféen, avait une armure de bronze, un heaume sombre ; des flammes vertes s’échappaient des interstices de sa cuirasse. Pour avoir lu les Mémoires de Kain, je savais que cet être était en fait le Général Hylden, arrivé dans le monde de Nosgoth grâce à la faille que Kain avait provoqué en refusant de se sacrifier et en corrompant à tout jamais le Pilier de l’Equilibre, qui scellait la dimension démoniaque où la race ancienne avait été exilée.

Alors que le Seigneur Séraféen détruisait les premiers rangs des guerriers venus l’affronter, Kain bondit, brandissant la Reaver. La lame serpentine percuta bel et bien l’armure, mais ni l’énergie vampirique ni nos flammes bleues ne purent agir ; la Pierre de Nexus, fixée sur le poitrail de l’Hylden déguisé, empêchait leur action.

Alors le Seigneur Séraféen frappa, et Kain tomba des hauteurs de Meridian, chutant dans des abysses d’obscurité. La Soul Reaver tournoya dans l’air avant de se planter dans la terre, répandant mille étincelles. L’Hylden se saisit de la poignée. Durant des siècles, il nous garda à son service. Impuissants en sa vile possession, nous le vîmes exterminer grâce à notre soif d’âmes inextinguible l’essentiel des vampires de Nosgoth. A la fin, lorsque Kain ouvrit les yeux, quatre cent ans plus tard, il n’en restait plus qu’une poignée, dissimulée dans les bas-fonds de Meridian : la Cabale. Certains des anciens lieutenants du futur Empereur de Nosgoth s’étaient joints aux Séraféens pour traquer leurs semblables, et les prêtres-guerriers avaient étendu un contrôle fasciste sur tout le sud-est de Nosgoth.

Kain, enfin éveillé, ayant perdu ses soixante sortilèges et presque tous ses talents de métamorphose, commença à regagner sa puissance en parcourant Meridian et en tuant tous les êtres humains qui avaient le malheur de croiser son chemin. Ses lieutenants traîtres tombèrent sous ses griffes tout autant que les Séraféens. Il rencontra le commandant de la Cabale ; c’était Vorador, devenu patriarche, encore plus petit que la dernière fois qu’il l’avait vu. Hébété, Kain se demanda une fois de plus comment diable le fier vampire de la forêt de Termagent avait pu se relever, attraper sa tête coupée et se la remettre sur les épaules… sans parler de sa morphologie qui allait en s’affaiblissant.

Umah, la vampire qui avait assisté Kain à son réveil, fut capturée par les Séraféens. Tout cela, nous ne le vîmes pas. Le Seigneur Séraféen conservait la Reaver à sa ceinture, et nous n’apprîmes la plupart de ses informations qu’en l’entendant parler à ses subordonnés. Nous n’aperçûmes Kain qu’une seule fois, lorsqu’il alla délivrer Umah et combattit brièvement l’Hylden avant de s’enfuir honteusement.

Le Seigneur Séraféen se rendit au-delà de la mer, dans l’antique Cité des Hyldens. Là, les quelques compatriotes qu’il était parvenu à ramener en ce monde l’assistèrent dans sa tâche : faire passer des troupes innombrables par le portail inter-dimensionnel. Puis la créature se rendit sur le port pour guetter les bateaux. Elle vit alors venir à sa rencontre un vaisseau sombre et silencieux. Kain en bondit, marcha jusqu’à celui qui l’avait presque anéanti.

L’Hylden commença à évoquer le temps passé, la guerre entre Célestes et Hyldens.

-         Tu ne comprends vraiment rien à rien, gémit-il. Nous sommes pareils, des dieux déchus en quête d’une puissance disparue ! Ma propre race n’est plus qu’une parodie corrompue de notre ancienne puissance…

-         C’est fini, monstre ! s’exclama le vampire. Tu ne comprends pas que ton splendide Mécanisme n’est plus que ruines ? Tes plans tombent en poussière, balayés par ma volonté !

Enragé, le Seigneur Séraféen donna un puissant coup de Soul Reaver. Une lumière bleue fit ricocher la lame.

-         La Pierre de Nexus… observa le Général Hylden.

-         Oui… jubila Kain. Appropriée, n’est-ce-pas ? L’objet même dont tu t’es servi pour fomenter tes plans diaboliques.

-         Ca n’a pas d’importance. Tout s’accomplira… et alors même que nous parlons, mon armée, une armée d’un genre que ce monde tranquille ne peut imaginer, s’apprête à traverser. Je n’ai qu’à me donner la peine de prendre Nosgoth.

Il se téléporta alors que Kain bondissait sur lui.

Le Seigneur Séraféen/Général Hylden guetta la progression du vampire pendant des heures, et surgit alors que celui-ci venait de retrouver ses deux partenaires, Vorador et Janos Audron. Je fus assez surpris de la présence de mon vieux mentor(qui était mort au même titre que Vorador), mais apparemment, j’avais manqué quelques passages de l’histoire. Le Seigneur Séraféen, lui, ne se posa pas de question et neutralisa Vorador d’une boule d’énergie avant de se téléporter.

L’Hylden apparut sur une passerelle de métal complexe était suspendue au-dessus du portail inter-dimensionnel semblable à un tourbillon de fumée verte. Elle devait permettre aux Hyldens de prendre pied dans le monde de Nosgoth.

Kain arriva, furieux, rugissant.

-         Tout est fini, Seigneur Séraféen. Je suis venu à bout de tous tes lieutenants. Même Umah, ta dernière espionne, a été impuissante à m’arrêter.

-         Umah ? Je n’ai aucune espionne de ce nom-là.

-         Tu mens, créature !

Le combat s’engagea. Alors que le Général Hylden envoyait à Kain une volée de boules de feu, je me souvins que le vampire avait tué Umah de ses mains, car elle avait entravé sa route vers l’invasion de Nosgoth.

Le vampire utilisa ses dons télékinésiques pour faire reculer son adversaire jusqu’au bord de la plate-forme suspendue au-dessus du portail ; il fit ensuite un bond gigantesque, envoyant le Seigneur Séraféen dans le vide.

L’ennemi se téléporta sur une passerelle.

-         Tu comprends à présent la futilité de tes actes ? demanda-t-il à Kain. Tant que tu portes la Pierre de Nexus, mon épée ne peut t’entamer, mais aussi longtemps que tu la garderas pour protéger ta misérable existence, tu ne peux t’en servir pour détruire le portail.

En effet, le seul moyen de fermer à tout jamais la déchirure jusqu’à la dimension démoniaque était de balancer en plein milieu la Pierre de Nexus, pour perturber le flux de magie Hylden par un autre artefact Hylden et ainsi provoquer la suppression des deux énergies.

-         Mais je n’ai pas encore choisi, dit Kain.

Il décrocha la pierre de son torse et la laissa tomber dans le tourbillon de fumée verte. Le Seigneur Séraféen grogna :

-         Agenouille-toi devant ma toute-puissance !

Il frappa de la Soul Reaver, et nous tentâmes d’étouffer notre soif d’âmes. Peine perdue. Cependant, Kain avait esquivé la lame. Il réagit en utilisant le Don Obscur Immolation, qui calcina son adversaire.

Furieux, le Seigneur Séraféen marcha vers lui, vite, très vite.

-         Je t’arracherai l’âme ! N’est-ce-pas ironique, Kain ? Mourir de sa propre épée !

Une forme s’interposa. C’était Janos Audron, torse nu, ailes déployées. La Soul Reaver valsa, retomba.

-         Toi.

-         Oui, moi, répondit le Céleste à la peau bleue. Celui que tu as détenu dans le Mécanisme et dont tu as utilisé le sang pour fomenter tes plans diaboliques.

-         Quoi de plus juste que d’obtenir ma revanche et ma liberté de la même source ? Des éternités de souffrance sont encore trop douces pour toi, vampire…

Janos pointa un doigt accusateur vers le Seigneur Séraféen.

-         Mais pas pour toi, Hylden, qui as osé reposer ton pied corrompu dans ce monde alors que tu en avais été banni.

-         Et de quel droit, maudit, réserves-tu cet enfer à ceux de ma nature ?

-         Et toi, riposta Janos, de quel droit as-tu lancé sur nous cette malédiction qui nous a rendus stériles, nous a chassés de la lumière et a fait de nous des prédateurs du genre humain ?

-         Ce n’était que justice après notre bannissement dans cette dimension démoniaque… Tu vois en quoi cela a transformé notre race si juste ?

-         Je vois surtout que tu as enfin repris ta véritable apparence.

Le Général Hylden/Seigneur Séraféen et Janos Audron, Gardien de la Reaver, se précipitèrent l’un vers l’autre. En une fraction de seconde, la bataille avait désigné son vainqueur. L’Hylden attrapa son ennemi juré par le cou, comme un simple poulet.

-         Alors, va voir par toi-même quel effet ça fait…

Il leva Janos bien haut ; le Céleste se débattait inutilement, il était trop affaibli pour échapper à l’étau.

-         Je te condamne à être envoyé dans l’enfer que tu as créé ! Un prisonnier… pour l’éternité !

Alors le Seigneur Séraféen lança sa victime de toutes ses forces, Janos passa dans l’air tel une poupée de chiffon, il hurla et tomba dans le portail inter-dimensionnel.

-         Noooooooooooon… Kain ! L’épée !

Kain se saisit de la Soul Reaver restée sur une passerelle de métal. Après quatre siècles, l’arme qui nous abritait fut reprise en main par le futur Empereur de Nosgoth. Nous avions l’impression de retrouver un vieil ami.

Il bondit sur la plate-forme centrale, attachée à un pilier qui passait à travers le portail en ébullition. Le Seigneur Séraféen le rejoignit d’une téléportation. Une volée de coups donnés par la lame serpentine projeta l’Hylden au pied du pilier, et il resta là, l’ossature brisée.

-         Tu remportes peut-être cette bataille, toussa-t-il, mais la guerre entre mon espèce et la tienne ne s’arrêtera jamais.

-         Si les tiens s’avisaient de revenir sur Nosgoth, répliqua Kain, je serai là à les attendre.

-         Ha, ha, ha, ha, ha ! Tu ne vivras pas assez longtemps pour ça…

-         J’ai vécu bien assez longtemps pour te vaincre !

Et sur ces entrefaites, Kain enfonça la Reaver à travers le cœur du Seigneur Séraféen, qui disparut dans une lumière bleue.

 

Le souverain solitaire et auto-proclamé de Nosgoth eut fort à faire durant la période qui suivit ce combat. Avant toute chose, il démantela ce qu’il restait de l’organisation Séraféenne. Puis il réfléchit. Qu’est-ce-qui l’avait fait échouer lors de sa première conquête de Nosgoth, bien plus que l’opposition du Seigneur Séraféen ? Le manque d’hommes de confiance. C’était bien sûr essentiellement dû à la manière dont Kain traitait ses hommes… Il avait tué Marcus, ou failli le tuer, en s’apercevant que les pouvoirs de son lieutenant aux oreilles pointues allaient surpasser les siens. Au contraire de sa relation avec Marcus, il s’était fait de Magnus non seulement un serviteur dévoué, mais un ami… à tel point que le guerrier vampire, empli de fierté, avait quitté le camp durant la nuit pour aller occire le Seigneur Séraféen ; bien évidemment, il fut vaincu. Sebastian, le trouvant trop arrogant, avait été le traître révélant à ses ennemis que l’armée de Kain approchait de Meridian.

La leçon était limpide. Il devait trouver des lieutenants d’une loyauté sans faille, qui le considéreraient avec un respect impavide, qui donneraient leur vie pour lui, resteraient droits et obéissants. Le futur de son invasion serait entre les mains de ces êtres exceptionnels.

Alors lui vint une idée superbe. Il retrouva, dans les décombres impossibles à reconnaître de la forteresse Séraféenne, les tombeaux des sept frères dirigeant les prêtres-guerriers Séraféens. Qui d’autre pour le servir que ceux dont les croyances avaient transcendé les notions de bien et de mal ? Ne prêtant pas attention à l’étage supérieur, où se voyaient encore, presque effacées, les peintures des « héros » tués par Raziel, il se téléporta dans la crypte souterraine. Là, les sept noms abhorrés par tant de vampire étaient gravés dans la pierre, au-dessus de sarcophages antiques.

Melchiah   Dumah   Malek   Zephon   Rahab   Turel   Raziel

Bien sûr, Malek n’avait pas de sarcophage. Kain donna un bon coup de griffes, de ces doigts effilés qui commençaient à durcir, dont l’un était tombé, dans le Malek gravé, en signe de haine et de mépris. Là, il exécuta l’antique rituel Céleste destiné à transformer les corps Séraféens en vampires. Il laissa tomber la méthode de Mortanius, qui aurait conservé les âmes originelles, et sacrifia l’énergie spirituelle de ces spectres pour donner vie à ces morts-vivants, selon l’option de Vorador. Ainsi, aucun de ses lieutenants n’aurait de souvenirs de son existence antérieure. Bien avant la naissance de l’Empire, Kain ressuscita donc Rahab, Turel, Melchiah, Dumah, Zephon. Et moi. De nouvelles âmes se formèrent, vierges de tout souvenir.

 

 

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