La Bibliothèque de la ShinRa corp.
Damnation
CHAPITRE HUIT
Kain parcourut l’ancien pays de William le Juste en trucidant tous les hommes qui lui barraient la route ; il comprenait enfin le terrible plan de Mœbius. En assassinant William, le jeune vampire avait sauvé Nosgoth… et condamné son espèce. Comme me l’avait dit son alter-ego du futur : « Cet acte insensé bouleversa le cours du temps. L’avènement du Nemesis n’eut jamais lieu… et William mourut en martyr. Quant à moi, l’assassin vampire, je devins le fossoyeur de ma propre espèce. J’avais tué un tyran pour en sacrer un plus noir encore. ».
Anéanti par cette révélation, Kain tituba jusqu’à la ville académique qu’il avait déjà parcouru. Il invoqua le sortilège d’Illusion Noble et parla à quelques hommes.
- La battue est terminée. Les vampires ne nous embêterons plus !
Sentant l’ire le parcourir comme une décharge d’adrénaline, le jeune vampire entendit un cri réjoui :
- Nous avons attrapé le champion ! Hé, hé, hé ! Nous ferons la fête ce soir !
Kain rugit, ôta l’Illusion Noble et extermina les habitants du village.
Il arriva à un grand château ; le mur d’enceinte englobait quatre cours. Il passa sous la herse et entra dans une cour au sol couvert d’herbe.
Des centaines de personnes étaient réunies là. La bonne populace de Nosgoth et une vingtaine de chasseurs de vampires. Au centre de la cour se dressait une guillotine. A côté de l’engin de mort, je vis Mœbius, le responsable de tout. Et couché là, la tête coincée dans l’étau de la guillotine, Vorador faisait peine à voir. Je remarquai que Mœbius tenait fermement son bâton, pour empêcher le vieux vampire de briser le bois ou de se téléporter.
Une cloche sonna.
Dans le silence général, la lame de la guillotine tomba.
Sssshlaaak !
Le bourreau, aux côtés de Mœbius, leva dans la lumière du soleil la tête tranchée de Vorador.
- Nous sommes délivrés de ce maudit fléau ! s’exclama-t-il.
- Pas encore, mon ami, répliqua Mœbius. Seriez-vous délivrés de la peste si une ville seulement était purgée ?
- Non ! Non ! rugit la foule.
- Epargneriez-vous un loup de la bande qui a massacré votre troupeau ?
- Non ! Non !
- Alors, pas de quartier ! cria le vieillard, désignant Kain, figé d’horreur à l’arrière du groupe. Il est le dernier ! Détruisez-le !
Alors que les gens poussaient des hurlements d’approbation, Kain grimaça, caressa la lame de sa Soul Reaver.
Il y eut une tornade, une tempête de rouge et de bleu, sang et feux spectraux mêlés en un sinistre tourbillon, l’expression de notre soif inextinguible. Alors que des centaines d’âmes étaient brutalement harponnées puis gobées par moi et les milliards de milliards de milliards d’autres Raziels, Kain se chargeait du sang, ouvrant grand la bouche pour en aspirer le maximum. Il n’y eut plus que les côtes, tripes et membres épars de la populace.
Kain courut vers la guillotine, mais Mœbius se téléporta avant qu’il ne l’atteigne, sur une ultime provocation :
- Le peuple n’aura de repos que lorsque Nosgoth sera purgé des vampires de ta sorte !
Le jeune vampire vit que la herse de l’arche de pierre qu’il avait empruntée pour pénétrer dans le château était retombée. Mais en face, il y avait une autre arcade, et la grille n’avait pas encore touché le sol. Il roula avec la Soul Reaver, passant en dessous de la herse juste avant qu’elle ne se referme.
Il vit alors Mœbius, Gardien du Pilier du Temps, Voyageur du Temps, marionnette d’Iml, le Dieu Ancien, l’Oracle de Nosgoth, le manipulateur de ce conte tragique. Le vieillard était sur un balcon du château. Kain lui-même était dans une seconde cour, presque identique à la première, avec deux herses bouchant les issues ; mais il n’y avait pas de guillotine dans celle-ci.
Songeant à se transformer en chauve-souris, Kain se tourna vers le balcon d’où le narguait Mœbius. Le vieil homme dit :
- J’ai vu l’avenir, Kain… Tu n’en fais pas partie !
Des croisés tels que ceux que j’avais combattu alors que je n’avais pas encore été aspiré par la Reaver se jetèrent sur le vampire, qui les détruisit avec facilité. Mœbius avait disparu. Kain passa dans une autre cour…
- Appelons-en aux pantins du passé…
Mœbius, d’un second balcon, jeta une machine temporelle dans la cour ; elle se brisa en matérialisant trois guerriers d’une armée que je connaissais bien… C’était des Séraféens, trois des innombrables prêtres-guerriers sous les ordres des sept frères, Zephon, Rahab, Malek, Melchiah, Dumah, Turel… et moi-même. Mais nous étions plus de cinq cent ans après cette époque ; l’appareil avait servi à Mœbius pour « importer » du passé des adversaires qui, pensait-il, viendraient facilement à bout de Kain.
Les épées de Kain et des Séraféens se croisèrent. Après quelques passes d’armes, le vampire en eut assez et utilisa l’artefact « Ecorcheur à vif ». Les armures des prêtres-guerriers se disloquèrent, les laissant nus ; puis ce fut leurs peaux et leurs chairs qui partirent en lambeaux ensanglantés ; il ne resta plus que trois squelettes hurlant et baignés de sang, qui tombèrent à terre.
Kain lança un Eclair d’Energie dans la direction de Mœbius. Trop tard. Le voyageur du temps s’était téléporté.
Immuable chorégraphie ; Kain se changea en brume et passa à travers la herse qui lui faisait face, arrivant dans une quatrième cour. La scène se répétait ; Mœbius, sur un troisième balcon, clama :
- … du présent…
Déterminé à ne pas se laisser avoir, Kain lui décocha un sortilège particulièrement dévastateur, que le vieillard évita de justesse. Il lança une machine temporelle qui se disloqua en plein vol, lâchant un mètre au-dessus du sol un nouvel adversaire. C’était un simple paysan de Nosgoth. Kain, éclatant de rire, abattit la Reaver en travers de l’épaule du malheureux ; il fut tranché en deux, juste avant que son corps ne soit écartelé et que son âme vienne dans nos gosiers.
Le Voyageur du Temps venait juste de se téléporter lorsque Kain fit un tour de force : il courut jusqu’à la dernière herse, se changea en brume dans le mouvement, traversa bois et métal, et se recomposa, toujours courant, dans la cour du dernier combat. Il eut le temps de voir apparaître Mœbius à un troisième balcon. « Appelons-en aux pantins du passé… » avait-il dit, « … du présent… »…
- … et des temps à venir !
Cette fois, l’être qui vint fut Kain lui-même. Sa tête était plus fine, il avait une armure étrange qui laissait son torse blanc à nu, et portait une lourde hache.
- On me dérange dans la construction de mon palais ? grogna-t-il. Mais… tu es moi ! Serais-tu encore quelque pantin de Mœbius ?
Kain évita l’énorme hache. Son double temporel se changea en brume et se matérialisa derrière lui. Un coup de la garde de la Soul Reaver assené sur son crâne le réduisit au silence.
Mœbius grommela, envoya un sortilège. Soudain, Kain se sentit ralenti. Pendant que chacun de ses gestes lui paraissait plus lourd que s’il l’avait effectué avec une tonne de plomb dans son armure, il ramassa la dernière machine temporelle de Mœbius – qui, par miracle, avait touché le sol intacte – et la colla sur le torse blanc de son autre lui-même assommé, lequel disparut dans les couloirs du temps.
- J’espère que j’arriverai à bon port, murmura Kain. Si j’ai bien compris, c’était moi dans le futur.
Il leva la tête vers le balcon de pierre. Mœbius n’y était plus. Il fit volte-face, et le vit à un mètre devant lui. Le sourire du vieillard était annonciateur d’ennuis.
Sans un mot, le Voyageur du Temps brandit son bâton. Nous tous, les Raziels de la Soul Reaver, nous sommes retrouvés dépourvus de force.
Kain donna un coup d’épée dans le torse du vieillard. Mais sans les flammes bleues de nos âmes affamées, et avec l’énergie vampirique qui l’imprégnait elle aussi neutralisée par ce damné bâton, la Reaver n’avait plus de tranchant. Elle ne causa qu’un choc à Mœbius, l’envoyant s’étaler dans l’herbe, sur le dos. Le Voyageur du Temps fit tourner son bâton, toujours souriant.
Je vis que l’orbe qui coiffait le bâton de Mœbius n’était plus qu’une bille noire. La sphère était bleue quand il m’a accueilli, me dis-je. Durant tous ces voyages, et au cours de sa croisade, elle s’est vidée de sa puissance. A chaque vampire neutralisé, l’orbe rétrécissait.
Kain sentit la faiblesse le submerger.
- Vois-tu, mon cher, disait Mœbius, j’ai compris ce qui n’allait pas dans ma vision. C’est grâce à Vorador.
Toujours couché par terre, le Voyageur du Temps enfonça un coude dans l’herbe, s’asseyant dessus.
- Vorador m’a poussé à admettre la vérité, dans l’Eden Noir. Après être remonté des siècles dans le passé et avoir déposé la Soul Reaver qu’il avait prise devant la retraite de Janos Audron, avoir déposé cette arme monstrueuse dans les catacombes de la cathédrale d’Avernus, afin que tu la retrouves pour pouvoir modifier le passé et tuer William le Juste (que j’ai également armé de la Soul Reaver, dans ma jeunesse, avec quelques paradoxes temporels, et ce à deux fins : le transformer en Nemesis et modifier l’histoire), je suis retourné dans mon repaire, à la Montagne de l’Oracle.
- Et alors ? murmura Kain, anéanti par le pouvoir du bâton de Mœbius.
- Dans cette vision où tu finissais par me tuer, cette vision qui avait provoqué mon fatalisme des années auparavant (« la mort a toujours le dernier mot », avais-je dit à Raziel, une créature que tu ne connais point), cette vision que j’ai eu de cette journée aujourd’hui, tu me détruisais avec la Soul Reaver et je n’avais pas mon bâton à la main. Pour défier mon destin, il me suffisait de prendre ce bâton dont l’orbe peut neutraliser tous les vampires ! Comme tu as la Soul Reaver, l’histoire peut être modifiée. Je vivrai… pour l’éternité.
Kain tenta de se redresser. Mais son énergie vitale le quittait, drainée par le bâton de Mœbius. Le vieillard se releva. A bout de souffle, le jeune vampire laissa tomba la Reaver d’où nous observions la scène, fascinés, pour se saisir de son épée de fer, laquelle conserverait son tranchant malgré l’influence néfaste de l’orbe. Il fit un pas, deux pas, en direction de son adversaire.
- J’ai gagné, Kain, jubilait Mœbius. Il est inutile de lutter… Tu es fait.
Craquement.
- Eh ? fit le vieil homme grassouillet.
Second craquement.
Il regarda son bâton. Kain aussi. Et nous, l’infinité de Raziels, aussi. Je compris d’abord pourquoi le bâton m’avait paru si court, presque un sceptre, alors qu’il faisait auparavant la taille du Voyageur du Temps : le pouvoir résidait dans l’orbe. Le support avait changé, aucun serpent n’était cette fois enroulé autour. Il était beaucoup plus fin, beaucoup plus court. Mœbius, voyant réduire la sphère, avait pris un autre bâton, ouvragé et tourné d’une autre manière, pour s’accorder à la nouvelle taille de l’artefact.
Troisième craquement. Des bruits délicats, comme la coquille d’un œuf en train de se fendiller.
L’orbe n’était plus qu’une bille noire, comme je l’avais déjà remarqué. Une sphère de ténèbres de la taille d’un ongle. Je compris que Mœbius était en mauvaise posture. Il avait trop utilisé l’orbe, à présent vidée de son énergie neutralisant les vampires. Où avait-il eu cette chose ? Ce n’était pas un présent du Pilier du Temps, car l’objet qui servait de lien entre Mœbius et la Colonne qu’il assistait était un Sablier Magique. Une magie de glyphe, probablement. Comme la Pierre de Nexus… Une diablerie Hylden, fabriquée à l’époque de la guerre entre eux et les Célestes, destinée à neutraliser tout Céleste qui s’en approcherait. Quoi qu’il en soit, Mœbius n’avait pas pensé à la remplacer, ou n’avait pu le faire.
De multiples craquements. La bille sombre se fendit, un réseau étoilé, comme une toile d’araignée, y apparut.
Craquement. Les yeux vitreux de Mœbius reflétaient une peur sans nom, ceux de Kain, un intérêt passionné.
L’orbe vola en éclats. Il s’en échappa une vapeur verte, un nuage minuscule. J’avais vu juste : c’était une magie de glyphe. Les restes de la sphère se désagrégèrent, formant une poussière noire qui fut emportée par le vent.
- Non, fit Mœbius. Non.
Il leva une main, essayant de retenir quelques grains noirs, croyant follement qu’il y restait du pouvoir.
- Oh.
Le vieillard bedonnant leva les yeux. Kain lui flanqua un magistral coup de pied dans le ventre ; Mœbius vola, retomba sur le dos. Il tenta de se redresser, alors que Kain approchait. Dans la lame de la Soul Reaver restée dans l’herbe, nous applaudissions. Notre tortionnaire, l’être qui était à l’origine de notre misère éternelle, allait faire connaissance avec la souffrance.
- Comme c’est ironique, dit Kain. En remontant le temps et en modifiant le passé, tu as transformé William le Juste en Nemesis…
- Oui… Tu connais mon plan, vampire, tout comme je connais ta destinée. Elle dit que tu mourras.
Flash. Moi, Raziel, devant la tombe de William le Juste, envoyant la lame de la Soul Reaver dans la poitrine de Kain.
- Mais je suis déjà mort… répondit Kain avec une certaine logique sarcastique.
Il leva son épée, tandis que Mœbius, épouvanté, commençait à se téléporter. Kain lui coupa la tête.
- … tout comme toi.
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