La  Bibliothèque  de  la  ShinRa  corp.

 

 

Damnation

 

 

CHAPITRE SEPT

 

Dans la lumière orangée de l’aube, un paysage onirique. Au-delà des canyons blancs coiffés d’herbe verte, au-delà des montagnes hyperboréennes, une étendue de collines. Cette zone paisible était bordée à gauche et à droite de forêts de sapins d’où s’élevait la brume matinale.

Alors que l’aurore arrivait, la scène cauchemardesque commença. Les collines masquant l’horizon commencèrent à se couvrirent de bêtes rouges. Les hordes du Nemesis, des hommes corrompus par les armes vampiriques offertes par Mœbius, à la chair masquée par leurs armures écarlates, que l’on eu cru couvertes de sang frais ; peut-être était-ce le cas, quelque rituel barbare que ces monstres employaient avant de partir à la bataille. L’armée sinistre et damnée se profilait devant les nuages d’un doux orange du lever du soleil. Des milliers d’hommes, des dizaines de milliers, des centaines de milliers. Le nombre s’accroissait sans cesse, paraissant toujours plus dément. Le pays de William le Juste avait été l’une des régions les plus prospères de Nosgoth ; il avait des effectifs à revendre.

Face à cette multitude, une ligne unie de chevaliers vêtus de blanches armures, contraste fier et clair avec les couleurs farouches, rougeoyantes, des bataillons du Nemesis. L’armée de Willendorf, les soldats du roi Ottmar.

Ottmar lui-même se tenait là, dans une armure étincelante. Il leva le bras, montrant à ses hommes sa massue-sceptre dorée, coiffée d’une sculpture en forme de tête de lion.

- Le fléau de Nosgoth est sur nous, mes amis… fit-il. Nous mourrons debout, comme des héros… plutôt que de vivre à genoux !

Les deux armées se retrouvèrent immobiles, figées, dans la brume et la lumière de l’aurore, une peinture désespérée, désolante et épique de l’ultime bataille.

- A vos armes ! s’exclama Ottmar. Pour Nosgoth !

Et il leva sa massue, et tous ses hommes sortirent leurs épées, poussant des cris de joie.

 

Dans le lointain, nous vîmes arriver les légions du Nemesis, comme une marée noire prête à engloutir l’armée de l’espoir !

Les deux cohortes s’entrechoquèrent, se brisèrent l’une contre l’autre. Ferraille contre ferraille, chair contre chair. A peine remis du choc de la double charge, les soldats fourbirent leurs armes et firent siffler les fers dans l’air matinal. Des gerbes de sang giclèrent. Après un instant d’hésitation, Kain arriva parmi les hommes d’Ottmar, et se mit à démolir les démons du Nemesis ; il fit voler sa Soul Reaver en tous sens, fauchant des légions entières, et leurs âmes torturées volaient dans la lame de l’épée, nous emplissant de vie. Il massacra ces hordes d’adversaires, alors qu’autour de lui, la bataille faisait rage, le vacarme incommensurable des masses et des sabres se croisant sans relâche, un hymne sourd et brutal à la destruction mutuelle, sans aucun avenir, sans aucune chance de rédemption. Tous hurlaient, mouraient, et en ce maelström de fureur et de doute, de sang et de poussière, seul comptait le meurtre de son prochain.

Kain rangea la Soul Reaver dans son dos, subissant les assauts des soldats du Nemesis. Les plaies se refermaient à peine ouvertes sur sa peau lisse et grisâtre ; il prit, de ses mains encore humaines, les crânes de deux soldats, les cogna l’un contre l’autre dans des débris d’os. Les hommes retombèrent, leur cervelle réduite en purée. Le jeune vampire se changea en brume, et cette vapeur se matérialisa au milieu des hordes barbares. Il utilisa alors l’artefact Fond de la Putrescence, qui étala des flaques vertes et corrosives sur le sol. Dans leur élan aveugle, les légions du Nemesis coururent sans prendre garde aux vapeurs qui s’élevaient de ces mares nauséabondes. Ils se décomposèrent, hurlant, et leurs corps se transformèrent en toxines plus actives encore, contaminant ceux qui étaient autour. Des centaines de soldats fondirent.

Mais ce n’était pas assez ; ils étaient des milliers. Kain utilisa le sort Bouclier d’Energie, qui étendit autour de lui un globe de lumière bleue le protégeant de toutes les attaques, et saisit la Reaver. Comme un aventurier usant de sa machette dans une jungle luxuriante, il se fraya un chemin parmi les ennemis, apaisant notre soif d’âmes de ses balayages bleutés.

Kain arriva jusqu’au roi Ottmar, qui était encerclé d’hommes à la peau cachée par des armures rougeâtres. Ottmar usait de sa massue, fracassant les têtes autour de lui. Mais il peinait, faiblissait.

- Brave chevalier, dit-il. Tu vaux cent hommes au combat.

Kain hocha la tête, cette tête blanche et surnaturelle qu’Ottmar ne voyait pas, abusé par le sortilège d’Illusion Noble. Puis il pourfendit les guerriers qui entouraient le vieillard. Envahi d’une nouvelle vigueur à la vue de ce charnier, Ottmar courut parmi d’autres légions du Nemesis.

Kain, lui, parcourait déjà le champ de bataille une fois de plus. Mille plaies béantes couvraient les corps des soldats aux alentours, et il étancha sa soif vampirique en attirant par télékinésie des litres et des litres d’hémoglobine jusqu’à ses lèvres.

Le jeune vampire, sorti de ce festin, vit alors qu’au-delà des collines et de la forêt, à l’arrière du champ de bataille, s’élevait une grande tour. Et au sommet de cette tour, le Nemesis observait l’avancée de son armée. Kain entreprit donc de se frayer un chemin jusqu’à lui. Sur sa route, il voyait autant de cadavres en armures rouges qu’en tenues blanches. Un hurlement.

- Je ne peux tenir plus longtemps, chevalier… Kain… protégez ma fille…

Kain se tourna dans la direction de ce gémissement. Ottmar s’effondrait sous les assauts des légions blasphématoires. La chute d’un roi. A la mort du vieil homme, les valeureux chevaliers blancs de Willendorf ne furent plus que des couards. Le vent de la défaite soufflait sur l’armée de l’espoir ; ils fuirent, convaincus de leur perte, et leur extermination commença.

Kain marcha au milieu des cadavres, son armure rouge et noire cliquetant, et il ôta l’Illusion Noble, devenant aux yeux de tous un vampire, un être maléfique. Les soldats du Nemesis le prirent pour leur allié. Des flammes dévorantes bordaient la bataille ; la forêt était en proie à un incendie. La chaleur du feu s’unissait au ciel orangé de l’aube pour composer une scène de cauchemar.

Craquement. Kain vit alors les nuages rouges disparaître, les corps empalés des soldats en armure blanche de Willendorf sombrer dans le néant, la dévastation qui l’entourait devenir éthérée avant de s’évaporer.

A présent, le ciel était bleu, la forêt pleine de pépiements d’oiseaux, et il n’y avait aucune trace de la guerre. Le gris de la pierre de la tour au loin était devenu blanchâtre ; le bâtiment était flambant neuf.

Kain baissa les yeux. Les débris de la machine à remonter le temps qu’il avait trouvée dans les recoins de la cathédrale d’Avernus gisaient en ruine à ses pieds.

Devant la tour, il rencontra un humain habillé de vert qui s’en prit à lui. Il l’assomma, et utilisa sa magie de contrôle des esprits pour pénétrer la mémoire de l’homme.

Nous entrâmes dans l’âme du malheureux en même temps que Kain. C’était la même tour, quelques jours auparavant. Des paysans étaient groupés en bas de l’escalier qui y menait, et Mœbius, encadré par deux soldats aux armures rouges, les apostrophait.

- Allez-vous laisser la vermine détruire vos récoltes impunément ?

- Non ! répondit la foule.

- Brûler vos maisons ?

- Non ! Non !

- Allez-vous laisser cette… injustice… continuer ?

- Non ! Non !

- Cette cruauté prendra-t-elle fin ?

- Oui ! Oui !

- Avez-vous la foi ?

- Oui ! Oui !

Devant la ferveur populaire, Mœbius arborait un horrible sourire.

- Alors, dit-il, emmenez-moi chez votre roi, et je vous préparerai à l’attaque !

 

Kain parcourut le pays vers le nord. Plus loin, il y avait un village qu’il avait vu voici peu de temps dévasté, ses habitants humains empalés sur des piques comme les vampires lors de la croisade des Séraféens, voici quelques siècles. C’était à nouveau une ville académique, pleine d’écoles et de bibliothèques. Il se promena dans ses rues, incrédule, revêtu du sort d’Illusion Noble.

- Où suis-je ? demanda le vampire, incrédule, à un passant vêtu de bleu.

- Bienvenue, étranger. Bienvenue dans la région la plus prospère de Nosgoth !

En effet, le pays était prospère. Sorti de la ville, Kain vit des champs à perte de vue, des arbres fruitiers, des troupeaux de bovins.

- Qui gouverne ce royaume ? s’enquit-il auprès d’un paysan.

- William le Juste règne sur cette terre, étranger.

Il perçut une discussion entre deux hommes :

- Les impôts diminuent… Le morale remonte !

- Ouais, notre roi est bon et juste. Nous sommes des citoyens comblés.

Et cette phrase effrayante :

- Quand trouverons-nous la paix ? Quand partiront les vampires ?

Ainsi Mœbius avait tourné la tête de William et de ses sujets, les remontant contre l’espèce de Kain. Décidé à détruire le Gardien de la Colonne du Temps et ses ombres manigances, le jeune vampire reprit sa route.

 

Au sortir d’un canyon dont le lit était rempli d’herbe verte, Kain leva les yeux. Une statue noire monumentale se dressait. Elle n’était pas achevée ; le torse était en cours de construction, et elle n’avait ni bras, ni poitrine, ni épaules, ni tête. Mais les jambes, écartées, faisaient à elles seules dix mètres de haut.

La statue de William, encore en construction, impressionna d’autant plus Kain qu’il avait vu dans le futur, son présent, cette statue achevée, mais coiffée d’un heaume garni de cornes et de pointes, et tenant entre les mains une épée tordue. Une épée tordue ? A l’époque, il n’avait pas fait le lien, mais…

Kain examina la Soul Reaver. Oui… Cette lame avait la même ondulation serpentine, la même rondeur sur les bords, la même raie courant en plein milieu, de la pointe à la garde, laquelle était un crâne pourvu d’énormes canines et de cornes. Le Nemesis avait lui aussi une Reaver ? Curieux, Kain avança. Il tomba bientôt sur un campement de soldats revêtus de ces armures rouges qu’il abhorrait. Il les massacra jusqu’au dernier.

Il semblait donc que Kain soit au pays de William le Juste, plusieurs dizaines d’années avant qu’il ravage Nosgoth sous l’identité du Nemesis.

- Nous arrivons bientôt à un croisement fatidique dans l’Histoire, me prévint le Raziel du précédent cycle. Regarde et apprends.

Le jeune vampire eut rapidement une idée qui lui sembla très sage… Assassiner William le Juste avant qu’il ne dévaste le monde. Le Nemesis ne deviendrait jamais le Nemesis. Son avènement n’aurait pas lieu.

Kain pénétra facilement dans le château de William le Juste. Je constatais que j’avais vu juste en le regardant croiser le fer avec les gardes… équipés d’épées serpentines. Des armes vampiriques fournies par Mœbius, mais cependant bien moins puissantes que la Reaver salvatrice.

Kain entra finalement dans la salle du trône, superbe dans son armure noire couvrant une cotte de mailles rouge. Il eut un sourire faussement joyeux en apercevant William, le jeune roi assis sur son trône, ayant revêtu l’armure couverte de piques qui allait bientôt inspirer la terreur dans le cœur de tous les habitants de Nosgoth. Je revoyais une fois de plus cette confrontation au sommet entre Kain et William ; et je me rendis compte que dans la Soul Reaver tenu par le futur Nemesis, il y avait un autre moi-même, celui d’un passé lointain, qui, lui aussi accompagné d’une infinité d’autres Raziels, observait la scène !

Alors que le jeune Kain avançait vers William, lequel se leva de son trône, je ressentis le poids mental de l’autre Reaver. Elle était chargée d’âmes, elle aussi doublée d’une lame spectrale, une lame de Raziels.

- Ah oui… fit William le Juste. Le vampire ! Mœbius m’a dit que tu viendrais… Hé, hé, hé !

Le combat commença. William donna un coup d’épée dans le torse de Kain, qui fut envoyé à l’autre bout de la pièce. Je ressentis dans mon esprit la douleur du jeune vampire. Alors que William s’approchait pour donner le coup de grâce, Kain posa la Soul Reaver et matérialisa des projectiles lumineux. Ecorcheur à Vif, Fond de la Putrescence, Eclair d’Energie… Ces sorts et artefacts filèrent vers le jeune roi, une trentaine d’artefacts. Ils ne purent pénétrer l’armure à pointe, et s’évaporèrent ; Kain s’était relevé et se métamorphosa en dix chauve-souris (trois d’entre elles portaient la Reaver). William battit l’air de son fer, essayant en vain d’anéantir la vermine volante.

Le vampire reprit sa forme véritable dans le dos de William, se changea en brume pour éviter un coup, recula jusqu’au mur du fond et se rematérialisa. Les Soul Reavers se croisèrent dans une pluie d’étincelles ; l’impact m’expulsa dans l’océan d’obscurité qui m’entourait, l’infinité de Raziels avec moi hurlèrent. Nous avions ressenti la présence des autres Raziels dans l’autre Soul Reaver physique. Deux infinités de Raziel : paradoxal mais vrai. Les lames se croisèrent à nouveau. William recula, subissant un troisième coup de Soul Reaver. Kain se protégea avec le sort Bouclier d’Energie ; tous les coups que put lui assener son adversaire restèrent lettre morte. Le vampire ne perdit pas son temps, utilisant un précieux objet ensorcelé, la Banque d’Energie, pour ramener de l’énergie magique dans son corps épuisé. Revigoré, il donna un énorme coup de Soul Reaver. William le para tant bien que mal, mais les lames se rencontrèrent avec tant de force que les lois de la physique ne résistèrent pas au paradoxe temporel. L’arme dans laquelle nous étions, moi et les autres Raziels, résista, passa à travers l’autre. Nous serrions les dents, tandis que l’autre Reaver se brisait, se cassait en deux. Brièvement, nous aperçûmes une fissure blanche dans l’océan de ténèbres de la seconde épée, celle dans laquelle nos nous-mêmes du passé subissaient à cet instant mille tourments. Nous criâmes, mais nous nous reprîmes, tandis que notre Soul Reaver atteignait William et faisait exploser son corps à l’intérieur de son armure intacte. L’âme du jeune roi, à peine corrompue, vola hors de cette bouillie, déjà retenue et envahie par nos tentacules de feu bleu ; nous la brûlâmes. Une fois que l’esprit torturé fut englouti, nous ressentîmes une certaine satisfaction. Nous sentions aussi que dans l’autre Reaver, à la lame brisée, la seconde infinité de Raziels était inconsciente.

Kain poussa un rugissement de victoire. La garde de William le Juste se précipita dans la salle du trône, trop tard, beaucoup trop tard.

Les pauvres imbéciles viennent secourir leur maître… pensa Kain. Amusons-nous donc !

Et il s’amusa, en effet, un massacre des plus jouissifs, tandis que les soldats se débattaient, éprouvés par tant de cruauté. Avec une curiosité digne d’éloges, le jeune vampire testa tous les sorts et artefacts de son répertoire, jusqu’à ce qu’un seul des gardes aie survécu.

- Ma Soul Reaver a déjà eu un festin, lui dit Kain. Mais toi, tu seras le pompon ! La cerise sur le gâteau ! Le couronnement parfait de l’extermination !

Kain brandit la Reaver, où couraient nos flammes triomphantes, la plongea en plein cœur du malheureux. Revigorés, nous utilisâmes toute notre force pour offrir à l’homme sa récompense, une fin atroce et magnifique, un feu d’artifice. L’explosion monumentale fit reculer Kain, et la victime, réduite à l’état de bouillie rouge, ne fut plus qu’un torrent de sang, qui aspergea les murs. La pièce était devenue entièrement rouge. Alors même que les dernières gouttes d’hémoglobine atteignaient la pierre froide, Kain utilisa ses attitudes télékinésiques pour se saisir en même temps de tout cela, et ces flots écarlates se décollèrent des murs, du sol et du plafond, pour venir emplir sa bouche, sa gorge et tout son être.

Rassasiés, Kain et nous quittâmes la salle ; il avait un temps caressé l’idée de se saisir de la Reaver de William, mais, peste de tout cela !, elle ne ferait que l’encombrer ; quel serait l’intérêt de posséder deux épées capables de détruire n’importe quel organisme en un seul tir ? Puissance absolue + puissance absolue = puissance absolue ; aucun gain. Et peut-être même cela provoquerait-il une perte d’efficacité, car la Soul Reaver était une grande arme, et en avoir une à chaque main ne serait guère commode... Le vampire découvrit en en sortant un second engin temporel, arborant cette fois un unique interrupteur. Il l’actionna, étonné de cette coïncidence, et revint à son époque d’origine.

Le château de William le Juste était désert. Kain en sortit, découvrant que des équipes de chasseurs de vampires parcouraient tout le pays. Je les reconnus sans peine ; des hommes armés d’épées légères et de tromblons ; des femmes brandissant des hallebardes… C’était les croisés de Mœbius, l’armée rageuse qui s’était élancée de l’ancienne forteresse de l’ordre Séraféen, que j’avais combattu sous ma forme de vampire des âmes quelques jours avant de succomber. Mais à présent, ils étaient incroyablement nombreux, et les vampires empalés, par contre, se faisaient rares.

Nous étions trente ans après que je sois arrivé devant Mœbius, à la fin de mon premier voyage temporel. La croisade acharnée était presque terminée, les vampires pour ainsi dire rayés de la surface de Nosgoth.

 

 

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