La  Bibliothèque  de  la  ShinRa  corp.

 

 

Damnation

 

 

 

CHAPITRE SIX

 

 

Mœbius et la Soul Reaver abritant une infinité de Raziels fous de rage se matérialisèrent dans une construction de pierre blanche et froide.

Devant nous se tenait un être fantomatique, un esprit émergeant à demi dans le monde physique. Il avait une armure de Paladin, tout comme Malek.

-         Vous l’avez ! s’exclama-t-il en voyant la Soul Reaver.

-         Bien sûr que je l’ai, répondit Mœbius. Prenez soin de la Soul Reaver ; c’est une arme infiniment destructrice. Je veux que vous la gardiez pour les siècles des siècles ici, dans les entrailles de la Cathédrale d’Avernus.

 

Et nous restâmes là, dans la lame, durant des milliers d’années. Notre faim grandissait toujours davantage, tandis que nous ne voyions aucun être vivant aux alentours. Nous restâmes dans les mains d’une statue d’ange aux ailes dorées, au centre d’une salle aux murs miroitants, avec une magnifique carte peinte de Nosgoth sous la surface du sol de cristal.

Des millénaires plus tard, l’un des deux téléporteurs de la salle s’activa. Nous vîmes la dalle hexagonale bordée d’or s’illuminer. Et arriva un vampire que nous ne connaissions que trop bien. Dans une combinaison de cuir rouge qui moulait ses muscles immortels, brandissant l’Epée de Feu dont la lame était baignée de flammes oranges, la face blanche comme de la craie et la chevelure longue et grise, Kain arrivait.

Bien entendu, il se saisit de la Soul Reaver où nous demeurions. Nous entendîmes son commentaire, alors qu’il brassait l’air avec la lame serpentine, d’un noir d’encre.

-         Je n’en avais pas beaucoup entendu parler… La légende de la Soul Reaver est perdue depuis longtemps.

Kain brandit la lame vampirique, autour de laquelle nous circulions en tentacules de lumière bleutée.

-         Elle se nourrirait de l’âme de toutes les créatures qu’elle abat. Epée… ma semblable.

Une fois sorti de la grande pièce où nous avions passé tant de siècles, Kain semblait hésitant. Alors il vit, dissimulée dans un relief de la paroi, une petite porte qu’il s’empressa d’emprunter.

Il déboucha sur un rude balcon de pierre, relié à une passerelle de bois qui menait à un autre balcon, et s’y engagea sans hésitation. Je vis que nous n’étions pas à l’extérieur de la cathédrale d’Avernus, mais dans une faille de l’écorce terrestre, un gouffre éclairé par la lueur de la lave en fusion au fond de la fissure, où s’entrecroisaient d’autres passerelles de bois et balcons de pierre, éléments d’un complexe souterrain doté de cheminées d’aération, des catacombes qui avaient été creusées sous l’édifice, s’organisaient autour de cette ouverture titanesque. Kain, à l’évidence, avait déjà parcouru cet endroit, peut-être juste avant de trouver la Soul Reaver, mais ne savait rien du passage où il marchait actuellement, et s’y engageait avec curiosité.

Nous le vîmes émerger dans une galerie souterraine menant à des escaliers taillés dans le roc, s’enfonçant dans l’obscurité, les entrailles de la terre. Sur son chemin, il vit des flaques de sang vampirique, et les utilisa pour charger encore un peu plus le Cœur des Ténèbres de Janos Audron, qui lui fournissait une immense réserve d’énergie et la résurrection garantie en cas de mort atroce… à condition toutefois qu’il veille à conserver un certain niveau de sang dans le macabre artefact. Alors que je m’interrogeais sur la manière donc Kain en avait pris possession, il glissa à nouveau l’organe noir et palpitant dans son armure de Chaos, poursuivit sa descente.

C’était une pièce éclairée de quelque manière occulte, emplie d’un souffle sépulcral. Nous nous rendîmes compte que Kain marchait sur une passerelle de pierre, et vîmes que ce support était posé sur des ossements humains. Incrédule, j’observais la cavité pratiquée sous nos pieds, emplie de centaines de tibias, de fémurs et de crânes jaunis. Qui avait bien pu accumuler tant de morts ?

La passerelle menait à un escalier. Lorsque Kain arriva en haut, il vit qu’à gauche et à droite était établi un tombeau bardé de chaînes. Et au fond de la pièce, devant lui, dans une alcôve bordée de crânes humains, il y avait un autel satanique. Une fois de plus, nous y vîmes une tête de mort, ce qui ne nous toucha pas particulièrement après tous ces sourires osseux, ainsi qu’un cierge gris éteint et un grimoire ouvert.

-         Regarde, me dit le Raziel du précédent cycle.

Il désignait le sol. De nombreuses taches de sang séché y étaient répandues, mais surtout, il y avait là une peinture représentant un démon sinistre, au sourire immonde. Sous ses cornes, une paire de cruels yeux rouges nous fixaient.

Je haussais les épaules et reportais mon attention sur le grimoire. Il était ouvert à une page fatidique… Kain lut cette page, couverte de taches de sang dessinant des paumes (des mains ensanglantées avaient tenté de s’agripper à l’ouvrage) qui rendaient certaines lignes illisibles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Et Hash’ak’gik parla au monde, et tous ceux qui l’entendirent tremblèrent.

« Donnez-moi vos premiers-nés, et

répandez leur sang

du monde, afin

me nourrir d’eux. »

Faites cela sans questions, ou subissez ma colère pour l’éternité. »

Et cela fut fait.

 

 

Je me détournais, écœuré. Un rituel d’invocation. Cette créature, ce Hash’ak’gik, était sans doute l’entité démoniaque représentée sur le sol. Qu’était-elle devenue ? Il était fort à parier qu’elle était en liberté, à présent. Mais qui l’avait invoquée ?

-         Mortanius, me chuchota le Raziel du troisième cycle. Le Nécromancien, le Gardien du Pilier de la Mort.

-         C’est lui qui a invoqué le démon ? demandai-je.

-         Non. Il était venu mettre un terme aux activités du culte d’Hash’ak’gik. Par malheur, cela ne s’est pas déroulé comme il l’avait prévu. Au moment même où Mortanius lançait ses légions de morts-vivants sur les membres de la secte, ceux-ci invoquaient la Ténébreuse Entité, qui prit possession du malheureux Gardien de la Mort. Cela se déroula bien avant qu’Ariel ne soit assassinée…

-         Il y a fort à parier que Hash’ak’gik a joué un grand rôle dans ce complot.

Kain considéra un moment l’autel, interloqué, puis repartit.

 

La suite des événements est narrée dans les Mémoires de Kain. Tout bon vampire les a lues, je ne reviendrai donc que brièvement dessus. Kain, armé de la Soul Reaver, défit Azimut, la Planeuse, Gardienne du Pilier du Plan Spectral, au cours d’un combat épique. Les entrailles de la Matrone de la cathédrale d’Avernus jaillirent hors de son corps alors que nous lui dévorions l’âme, son sang éclaboussa les murs, et ses membres furent projetés aux quatre coins de la pièce. Parmi les organes épars, Kain ramassa le Troisième Œil d’Azimut, qui était incrusté dans le front de la Planeuse ; c’était le présent que le Pilier du Plan Spectral avait délivré à la jeune femme. Il découvrit également une machine à remonter le temps derrière la salle du combat ; Azimut l’avait dérobé à Mœbius afin de réunir les créatures d’autres temps.

Après s’être métamorphosé en chauve-souris, le jeune vampire plana jusqu’aux Colonnes de Nosgoth. Il déposa devant le Pilier du Plan Spectral l’Œil d’Azimut. Le Pilier accepta cette offrande ; il fut alors restauré.

-         Tu dois arrêter les légions du Nemesis qui déferlent du nord, lui dit le spectre d’Ariel. Il n’y a pas si longtemps, le Nemesis était connue sous le nom de William le Juste, un souverain bon et noble. Cependant, alors que sa puissance et celle de son armée augmentaient, le voile de la tyrannie tomba. Un royaume ne suffisait plus… Tant de cités, tant de morts…

-         Comment peut-on, seul, arrêter une armée ? lui demanda Kain, circonspect.

Ariel s’envola, passant à travers la Colonne de l’Equilibre. Elle désigna un point situé bien au-delà des Piliers de Nosgoth, au sud-est.

-         Demande l’aide du roi Ottmar, Kain. Willendorf, la cité du lion, pourrait t’accorder ses bataillons.

Kain se transforma en loup et partit donc, à travers vallons et forêts. Tandis qu’il galopait, un sac contenant son équipement attaché par un harnais à son dos canin et poilu, la Soul Reaver était ballottée de gauche à droite.

-         Quelque chose sonnait faux dans le discours d’Ariel, dis-je.

-         Bien sûr, répondirent en cœur dix Raziels. Mœbius nous avait transporté des milliers d’années avant cette époque. Nous sommes dans la probabilité où Kain n’a pas assassiné Ottmar.

-         Un monde parallèle…

-         Nous reviendrons à la ligne temporelle « normale » dès que Kain aura remonté le temps, m’expliqua le Raziel du précédent cycle, mon mentor dans la lame de l’épée. Ne te soucie pas trop des détails, Raziel.

Dans la nuit même, le jeune Kain découvrit, au cœur d’une caverne où avait été creusée la crypte de la famille royale de Willendorf, une fontaine de sang. Les fontaines de sang étaient réparties dans tout le monde de Nosgoth ; c’était les équivalents vampiriques des forges de la Reaver, d’anciennes constructions des Célestes, qui avaient érigé tant de merveilles au cours de la lutte contre les Hyldens. En aspirant par télékinésie le sang magique qui coulait dans cet endroit, Kain acquit le don de l’Illusion Noble, qui lui permettait, par un sortilège complexe, de tromper les yeux des êtres humains, revêtant à leur regard la forme élégante d’un grand seigneur.

Il entra donc dans la puissante et majestueuse cité de Willendorf, Kain, Gardien sans le savoir du Pilier de l’Equilibre. Derrière les murs d’enceinte blancs comme neige, il y avait des centaines de maisons grandes et magnifiques. Déambulant sous son apparence de vampire, il marcha parmi les humains sans être inquiété. Tous voyaient en lui un noble aux riches atours. Après un passage dans une cour lumineuse, Kain entra enfin dans le palais d’Ottmar. Nous percevions faiblement ses pensées :

La cour du roi Ottmar… Cela me rappelle mon ancienne existence… fière et égocentrique, ses chevaliers entourés de toutes les splendeurs du royaume, baignant dans l’ignorance béate. En me promenant parmi eux, je ne peux m’empêcher de sourire à l’idée du carnage qu’ils vont vivre aux mains des légions de la Nemesis… Les flammes triomphantes, le pillage, le viol inévitables…

Son armure cliquetait alors qu’il avançait fièrement parmi les colonnes de marbre. Sur le sol miroitant était déroulé un tapis rouge.

Un courtisan outrageusement fardé se dressa sur la route de Kain.

-         Hors de ma vue, paysan ! s’exclama Kain, en prenant des mimiques de grand seigneur. La puanteur des champs t’entoure telle un voile !

-         Le roi ne reçoit personne, dit le petit homme. Il pleure la princesse…

Kain l’attrapa par le cou et le souleva de terre. Sa force herculéenne surprit le courtisan, qui entrevit peut-être un bref instant sa véritable apparence. Brandissant la Soul Reaver, Kain rugit :

-         Il pleurera son royaume bientôt, et il te pleurera encore plus tôt si tu ne me laisse pas passer !

Sans se préoccuper des réactions de la garde, il envoya valser le petit homme par-dessus son épaule et pénétra dans la salle du trône ; c’est ainsi qu’il obtint son audience avec le roi Ottmar.

Peu importaient au souverain les armées qui déferlaient du nord. Il ne pensait qu’au malheur de sa fille. Je vis alors Ottmar affaissé sur son trône d’or, le crâne dégarni, le visage usé, une barbe grise pendant de son menton. Des larmes coulaient dans les rides de ses joues. Devant lui, sur une couche de pierre, était étendue la fille du roi.

Kain demanda au roi Ottmar la raison de son chagrin.

-         Un cadeau d’anniversaire… soupira le roi. Pour célébrer son anniversaire, j’ai organisé un concours. Celui qui fabriquerait la plus belle poupée du royaume obtiendrait une faveur royale. Des centaines de poupées furent apportées… mais il ne pouvait y avoir qu’un seul lauréat.

Le vieillard leva les yeux au ciel.

-         Elzevir, le fabriquant de poupées, créa un jouet d’une telle beauté que tous en furent captivés. En retour, tout ce qu’il demandait, c’était une mèche des cheveux de ma fille. Peu après, elle devint ce qu’elle est maintenant, une marionnette inanimée. Quiconque lui rendra la vie héritera de ce royaume.

Kain ne dit rien et tourna le dos au roi. Il savait ce qu’il lui restait à faire. Sorti du palais, puis de la cité de Willendorf, il brisa le sortilège d’illusion, brandit la Soul Reaver et utilisa un artefact magique d’une puissance redoutable, un Sablier, qui accéléra incroyablement son métabolisme. Alors Kain courut à travers tout le pays de Nosgoth, brisant les moindres obstacles à l’aide de moi-même et des autres Raziels, dont les flammes émanaient de la lame de la Reaver. Il trouva rapidement la maison d’Elzevir, le fabriquant de poupées, un bâtiments aux murs jaunes, empli d’ours en peluche et de marionnettes. Dès lors, l’assassinat du petit homme aux cheveux roux qui avait ensorcelé la fille d’Ottmar ne relevait plus que de la simple formalité. Miraculeusement, alors que le corps d’Elzevir explosait sous notre influence néfaste, sa tête indemne vola en l’air ; Kain sauta en l’air, étendit le bras, l’attrapa au vol comme un frisbee. Il rattacha la Soul Reaver sur son dos avant de fouiller minutieusement la chambre du fabriquant de poupées. Dans un tiroir de la table de nuit, il trouva une poupée de chiffon, et perçut une palpitation, comme une étincelle de vie à l’intérieur de ce petit objet. Le petit homme dont la tête blanchâtre, affublée de trois mèches rousses-oranges, et tenue pour l’heure par ces cheveux que les doigts de Kain avaient saisi, évoquait tant celle d’un clown, avait enfermé l’âme de la fille du roi de Willendorf dans cet ensemble de tissu.

En sortant de la demeure d’Elzevir, Kain observa que plus au nord se dressaient les tentes rouges et noirs de l’armée du Nemesis. Quelques soldats patrouillaient là, de simples humains, en fait, mais revêtus d’armures à piques, et tenant des armes à la lame tordue. Je reconnus le style de ces épées, de ces haches, de ces masses et de ces dagues. Des armes vampiriques, aspirant le sang de ceux qu’elles assaillaient. Comme la Soul Reaver, ces objets étaient sortis des forges des armuriers Célestes. Ils étaient cependant bien moins puissants, à peine imprégnés d’énergie vampirique, mais assez pour corrompre le cœur de ces malheureux hommes. Cela me rappela un lointain souvenir… Mœbius avait empli de ténèbres l’esprit de William le Juste en lui fournissant la Soul Reaver. Il avait donc aussi livré au futur tyran des armes qui convertiraient son armée loyale en bataillons de tueurs impitoyables. Les légions du Nemesis, qui avaient écumé le pays avant d’établir un campement ici, près de l’habitation d’Elzevir, à quelques dizaines de kilomètres à peine de Willendorf.

Le temps pressait. En hâte, Kain revint à la cité du lion. Il évoqua le sortilège d’Illusion Noble, devenant aux yeux des humains un grand seigneur. Courant dans les rues, il entendit un homme obèse dire à l’un des soldats d’Ottmar :

-         Où est donc le lion de Willendorf ? Qui nous protégera du Nemesis ?

Sans attendre la réponse, le jeune vampire se précipita dans le palais. Il pénétra dans la salle du trône, la Soul Reaver attachée sur son dos, la tête d’Elzevir dans une main, la poupée contenant l’âme de la princesse dans l’autre.

-         Je ne saurais jamais assez te remercier, chevalier… déclara Ottmar, de nouvelles larmes, mais de soulagement, cette fois, apparaissant dans ses yeux humides. Mon royaume n’est qu’un petit prix à payer pour la vie de ma fille.

-         Ce n’est pas ton royaume qui m’intéresse, répondit Kain, mais ton armée, Ottmar. J’ai besoin d’hommes pour repousser les innombrables bataillons du Nemesis !

-          Très bien. Gardes, apportez-moi ma massue. La guerre nous attend.

 

 

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