La  Bibliothèque  de  la  ShinRa  corp.

 

 

Damnation

 

 

CHAPITRE CINQ

 

Durant plusieurs centaines d’années, rien de notable ne se passa. Vorador demeurait en son manoir, dégustant le nectar vermillon qui coulait des veines ouvertes de ses victimes humaines. Et puis, un jour, arriva un jeune vampire du nom… de Kain.

Vorador n’interrompit son banquet sanglant que pour se vanter de ses hauts faits passés. Il narra les meurtres de six membres du Cercle qu’il avait perpétré des siècles de cela.

- Après avoir abattu six moutons, jubila le vieux vampire, j’ai vaincu Malek, leur misérable petit berluet. Depuis, notre race ne s’est plus occupée du troupeau, excepté lorsqu’il fallait nous nourrir. Je te conseille de faire de même… Ne nous mêlons pas des affaires des hommes ! Les vendettas des Séraféens sont bien trop ennuyeuses pour susciter notre intérêt. Me suis-je fait comprendre, Kain ?

Kain hocha la tête, adressant à Vorador un regard éloquent. Celui-ci lui remit sa Chevalière, une bague faite d’un mélange de dents broyées, de métal, le tout peint de sang séché.

- Bien, prends cet anneau, dit Vorador à Kain. Lorsque tu auras besoin d’aide, il me le fera savoir. En dépit de ton arrogance juvénile, tu me divertis, Kain. Ce serait bien dommage de te perdre à l’abîme… à présent, va-t-en !

A cette époque, le vieux vampire se dégradait de plus en plus. Se repaissant de mortels jours et nuits, la peau verte de Vorador s’assombrissait, et il s’adonnait à la luxure avec des femmes vampires dont il avait fait ses esclaves en utilisant une magie de contrôle mental. Je me remémorais une ancienne réflexion de Kain « nombre de grands guerriers sont tombés victimes de la décadence ».

Cela ne tarda pas. Je me rendis compte, effaré, que nous étions dans le passé alternatif que Kain avait créé en remontant dans le temps pour assassiner William le Juste des années avant qu’il ne devienne le tyrannique Nemesis. En cette époque, Vorador s’inquiétait de la croisade que Mœbius préparait implacablement, retranché dans la forteresse de l’ordre Séraféen.

Suivant la route éclairée par la lueur de l’Ignis Fatuus, les têtes de mort converties en lampadaires baignant les marais d’une lueur verte, Vorador parcourut les marécages de la forêt de Termagent. Il se rendit à un bâtiment semblable à son manoir, se téléporta jusqu’à un balcon.

Le vieux vampire prit possession de l’esprit de corbeaux et les fit voler à travers les plaines, pour rendre compte de la situation. Ce qu’il vit sur les terres de Nosgoth ne lui plut guère. Dans le pays entier, des battues de vampires s’organisaient. Pendant que les oiseaux que Vorador contrôlait arrivaient à l’ancienne forteresse Séraféenne où il avait perpétré le massacre du Cercle des Neufs voilà si longtemps, et dont la façade usée arborait à présent la bannière de Mœbius, la croisade fut lancée. Des hordes de chasseurs intrépides, armés d’épées, de hallebardes, de pieux, de lances et de fusils déferlèrent sur Nosgoth, en une marée humaine avide de sang et de fureur ! Armés d’une agressivité incommensurable, ils parcoururent tout le pays, frappant, tuant, détruisant tout ce qui avait la peau trop blanche, les ongles trop longs ou les canines trop pointues, tous les êtres vivants, humains, loups, chauve-souris qui ressemblaient de près ou de loin à un vampire à l’état normal ou métamorphosé en animal. Vorador vit ce massacre, et il en fut marri. Ses corbeaux observèrent un être à la peau bleue qui sortait des profondeurs du donjon de Mœbius. Connaissant, de par la bouche de Janos Audron, les anciennes légendes, il reconnut en ce Raziel décrépit le Messie des vampires. Il attendit donc, pourfendant de la Soul Reaver où nous attendions les chasseurs qui s’approchaient trop près du balcon des marais.

Quelques heures plus tard, Raziel arriva dans la forêt de Termagent. Il s’arrêta devant une lourde porte scellée dans un mur antique, l’ouvrit d’un coup de pied. Sentant un regard posé sur sa nuque, il fit volte-face. J’étais là, avec l’infinité d’autres âmes de Raziel, dans l’épée appuyée contre la balustrade du balcon, alors que Vorador, méfiant, se téléportait hors de vue de Raziel. Quand le vampire des âmes se fut éloigné, Vorador prit la Reaver physique, la glissa hors de vue, sous ses vêtements. Il savait que c’était là la Clé du Pacte, l’arme salvatrice, mais il ne voulait pas la remettre à cette créature tant qu’elle ne l’aurait pas convaincu de sa véritable identité.

Le vieux vampire tua le temps en décimant quelque peu les hordes barbares de Mœbius. En observant une lueur bleue sur le balcon, devant la forge de Ténèbres, il s’y téléporta.

- Quel piètre sauveur tu fais ! lança-t-il à Raziel qui sortait de la chapelle, la Reaver spectrale fraîchement imprégnée de l’énergie élémentaire ténébreuse.

- Vorador…

- Je vois que ma réputation m’a précédé, fit Vorador en s’inclinant. J’ose l’espérer bonne…

Il marqua un temps d’arrêt, reprit :

- Je t’observe depuis que tu as surgi de cette maudite forteresse. Comme il est étrange que ton arrivée coïncide avec la déchéance des Colonnes… Néanmoins, je m’interroge : en es-tu le catalyseur ou la solution ?

- J’ai du mal à saisir le sens de tes propos, dit Raziel.

- Je vais être plus explicite, alors. Je ne te fais pas confiance, étranger. Je m’interroge sur les intentions de qui émerge des profondeurs putrides du donjon de Mœbius.

Le vieux vampire se mit à tourner autour de son interlocuteur.

- Quant à ton apparence… Tu n’es à l’évidence pas humain, et tu tiens plus du démon que du vampire. Quant aux Colonnes… Ton arrivée et leur profanation furent simultanées ; je ne crois pas au hasard. Alors je te demande simplement : es-tu l’instrument de la destruction des Piliers ou celui de leur rédemption ?

- Rien de tout cela, rétorqua Raziel.

- Bien, regardons maintenant de l’autre côté du miroir. J’ai suivi ton parcours et je t’ai observé déclore des lieux interdits scellés depuis des millénaires. Tu arpentes une voie réservée à un seul être. Tu ignores ta véritable nature, n’est-ce-pas ?

- Je suis déjà tant de choses… Mais éclaire donc ma candeur.

Vorador pouffa, étouffant un ricanement. Puis il jeta :

- A quelle fin ? Ce monde est condamné. Que le bétail humain se l’approprie !

- J’attendais plus qu’une modeste capitulation de ta part, dit ma précédente incarnation.

L’une des arcades sourcilières grossières de Vorador se tordit sur un œil jaune.

- Des siècles de persécutions m’ont beaucoup appris, grommela le vieux vampire. Il y a de cela cinq cent ans, notre race a failli s’éteindre suite à la croisade des fanatiques Séraféens. Et cette triste histoire se répète. En moins d’une décennie, Mœbius et ses tueurs vulgaires ont presque réussi là où les Séraféens avaient échoué. Des vampires se mêlent des affaires humaines… Vois où cela nous a mené.

- Comment expliquer alors ce que j’ai découvert ? La race ailée, les Colonnes, la Reaver ?

- Des contes de fées, mon enfant… Ce sont là les fantasmes d’une antique civilisation, des rêves de grandeur désormais obsolètes. Leur lignée s’est tari jusqu’à ce qu’un seul des anciens subsistent, maintenu en vie par le devoir et une foi tenace dans les anciennes prophéties.

Le vieux vampire fit volte-face, marcha à grands pas, s’arrêtant devant Raziel.

- Serais-tu même… ce qu’il semble, que cela n’aurait plus d’importance, conclut-il. Il est tout simplement trop tard. Janos Audron, le gardien de la Reaver, le dernier des anciens, mon créateur, fut assassiné par les Séraféens il y a près de cinq cent ans ! Lui seul aurait pu fournir les réponses que tu cherches, mais ses secrets l’ont suivi dans la mort. Je ne sais comment tu as pu parvenir jusqu’ici sans ses conseils, ou sans l’épée. J’ai peur, mon pauvre ami, que nous ayons tous joué de malchance…

A l’instant où il terminait sa phrase, Vorador eut la sensation aiguë d’un appel. Il se téléporta donc hors de vue de Raziel, dans son manoir, et sortit la Soul Reaver dans laquelle nous tournions en rond, affamés pour l’éternité. Il avait déjà localisé l’origine du trouble. La Chevalière de Vorador. L’anneau de dent cassée mêlée de fer et d’acier, barbouillé de runes de sang séché, constituant un artefact magique en lien permanent avec le vieux vampires. La bague qu’il avait offerte à Kain.

Il se téléporta en laissant ses habits de soie sur place, puis, nu, se dirigea vers sa garde-robe. Le plus vite possible, il enfila sa tenue de tous les jours, qui laissait ses bras verts libres de mouvements. Assommés par les multiples téléportations, nous fûmes une fois de plus transportés en même temps que Vorador et la Soul Reaver.

Au milieu d’une terre de lave et de roche ténébreuse, où vivaient des créatures horriblement dénaturée, un véritable Pays de Mordor, se dressait une tour de thaumaturgie. Car le nom de cet endroit était l’Eden Noir, et la tour crachait un globe d’énergie magique maléfique qui transformait l’environnement, demi-sphère corruptrice qui s’étendait lentement sur Nosgoth telle un cancer. Et dans les tréfonds du bâtiment maudit, un drame se déroulait. Une voix hurlait :

- Ne sois pas ridicule, Malek, viens nous aider !

Malek, le Séraféen maudit, âme invisible et frappée d’un sortilège scellée à jamais dans son armure par Mortanius, pour avoir laissé Vorador massacrer six membres du Cercle des Neufs tandis qu’il était aux prises avec Raziel, se matérialisa entre Kain et ses trois proies.

- Va au diable, alchimiste ! s’exclama Kain, alors qu’Anachrothe l’Alchimiste, Gardien du Pilier des Etats, se téléportait. Je ne suis pas venu jusqu’ici pour laisser échapper ma proie !

Les deux membres du Cercle des Neufs Gardiens de Colonnes restants, Bane le Druide, Gardien du Pilier de la Nature, et Dejoule l’Energiste, Gardienne du Pilier de l’Energie, reculèrent devant Kain, le jeune vampire qui brandissait son Epée de Feu, toujours vêtu de son armure noire et rouge. Malek brandit sa hallebarde, et Kain répliqua en levant haut la Chevalière de Vorador.

Vorador, armé de la Soul Reaver, apparut devant Kain. Voyant son ancien ennemi, le vampire responsable de sa damnation, Malek leva un bras d’armure étincelant et parfaitement vide.

- Vengeaaaaaaaaance ! clama-t-il. Vengeance pour l’éternité de ma souffrance !

- Petit morveux, rugit Vorador en sortant de l’ombre. Comme si tu savais ce qu’était l’éternité ! Couche-toi aux pieds de ton maître !

- Jaaaaaaaamais ! Je te découperaaaaaaai en mille morceaux et servirrrrai tes restes à tes femmes !

Le combat commença. Vorador donna un grand coup de Soul Reaver, la lame serpentine, d’où surgissaient les flammes bleues et affamées de nos êtres, fonça vers le heaume vide de Malek… Son métallique. La hallebarde du Séraféen damné avait paré la Reaver.

Kain, voyant Bane et Dejoule s’enfuir, se précipita à leur poursuite.

La bataille se poursuivait, terrible. Vorador et Malek utilisaient de nombreux sortilèges à la puissance démesurée. Dans leur fureur de vaincre, ils ne prenaient pas garde à leurs blessures. A un coup particulièrement dévastateur du Paladin, Vorador répliqua en se métamorphosant en loup, et en bondissant sur son adversaire. L’ennemi spectral tomba à la renverse, mais dans l’acier de l’armure magique et la chair immatérielle du fantôme, le canidé ne put trouver de prises pour ses crocs. Il se téléporta donc à nouveau, récupéra la Reaver, se transforma en brume ; au milieu de ces fumerolles blanches flottait l’arme vampirique, où nous attendions.

Malek fonça dans le brouillard, jouant vainement de sa hallebarde. Impossible d’atteindre l’impalpable. Alors Vorador matérialisa les trois griffes de sa main gauche, resserra sa prise sur la Soul Reaver et la fit pénétrer par une anfractuosité de l’armure. Enfin, il fit remonter la lame serpentine jusqu’au heaume de Malek. Le Séraféen se débattit, mais c’était trop tard. Les langues de feu bleu que nous étions se répandirent dans le revenant, emplissant totalement l’armure, se muant en tentacules parasites qui colonisaient toujours davantage d’espace. Vorador venait à bout de son vieil adversaire. L’acier de l’armure magique se déforma, sous la pression intérieure. L’esprit torturé de Malek, envahi par une infinité de Raziel, poussa un seul et pitoyable hurlement avant d’imploser, de se muer en un jus spectral que nous aspirâmes avec avidité ; l’âme du Paladin flotta un bref instant avant que nous ne la dévorions dans notre faim insatiable.

Vorador sortit la Soul Reaver des débris épars de l’armure, et poussa un rugissement de victoire. Il était venu à bout de son vieil adversaire.

- Malheureux Malek, dit une voix ironique.

Le vieux vampire sursauta, brandit la Reaver et se tourna vers… Mœbius, le Gardien du Pilier du Temps. Je remarquai que les habits du vieillard s’étaient usés au point de blanchir, et qu’il devenait bedonnant. En outre, le Voyageur du Temps s’était recroquevillé, paraissant plus petit. Mais il avait un sourire diabolique aux lèvres.

Vorador tenta de se téléporter.

- Ca ne marche pas, lança Mœbius. Vois-tu le bâton que je tiens dans ma main ?

J’observai l’objet, qui semblait plus petit, comme un sceptre… et la sphère bleue qui le coiffait avait la taille d’une noix.

- L’orbe a rétréci, fit le Voyageur du Temps. Pour toi, Vorador, il ne s’est écoulé que quelques jours depuis le début de la croisade. Pour moi, Mœbius, quarante ans sont passés. Comme tu le vois, j’ai pris du poids. Et j’ai tant utilisé mon bâton que l’orbe s’est vidée de sa puissance… Pourtant, il reste encore assez de pouvoir dans cet artefact pour neutraliser tous tes talents magiques, vampire !

Vorador bondit. Il fut arrêté par cinq croisés de Mœbius qui avaient fait irruption dans la pièce.

 - Pas de ça, mon ami, fit le vieillard. Mais tu vivras encore un peu. J’ai besoin de toi… pour une exécution publique ! Tu vas goûter à la lame de la guillotine !

Mœbius arracha la Soul Reaver des mains de Vorador, qui restait muet.

 - Imbécile… Croyais-tu vraiment que tu avais trouvé l’arme salvatrice par hasard ? Je l’ai déposée sur ta route, pour que tu tues pour moi les membres du Cercle des Neufs qui me gênaient. Tu l’as gardée bien trop longtemps, pantin. J’en ai besoin à présent.

- Tu crois avoir gagné ? fit Vorador. Mœbius, tu seras pris au piège par tes propres tours. Souviens-toi de ce que je dis ! Le destin est une chose terrible. Et le tien est de mourir de la main de Kain… Je lis en toi comme dans un livre ouvert, Voyageur du Temps. Ta retraite dans la Montagne de l’Oracle… Tu y conserve plusieurs fenêtres temporelles, outre ton fameux chaudron de voyance qui montre ce que tu veux montrer.

- Tais-toi ! cria Mœbius. Ce n’est pas vrai ! C’était un rêve… Je n’ai pas vraiment vu ça !

- Oh que si. Cette nuit-là, déjà corrompu en ton cœur, tu es sorti de ta couche et tu as dérogé à ta règle, Mœbius. Inquiet pour ta survie, tu as fait ce que tu t’étais promis de ne jamais faire. Et tu as utilisé une de tes fenêtres pour visionner ton propre destin.

- Je n’ai jamais fait ça ! C’était un rêve !

Vorador croisa les bras. Il était condamné, mais encore capable d’humour. Son sourire était gouailleur.

- Tu sais que c’est vrai, Mœbius, reprit-il implacablement. Ton existence nuisible arrive à son terme… Tu as fait beaucoup de mal, tu as voyagé entre les siècles.

Je compris enfin ce qui déroutait tant Mœbius. Comme la Soul Reaver était dans cette pièce, elle influait sur les chemins du destin. Vorador avait pu lire dans l’esprit du Voyageur du Temps, qui n’avait pu prévoir cette réaction.

- Tu es même allé à une époque située après ta mort, dit Vorador. Mœbius, je suis dépravé et décadent… Mais clairvoyant. Et je sais que ma tête sera séparé de mes épaules par ta guillotine, au pays de William le Juste. Le bourreau, un de tes suppôts, brandira ma gueule grimaçante devant la populace en liesse. Certes, je serai décapité. Mais toi, Mœbius, tu finiras de même. Tu l’as vu dans la fenêtre temporelle, et je le vois dans ton esprit. Kain te coupera la tête, et tu n’y pourras rien.

- Tais-toi ! Tu mens !

Mœbius, démoralisé, leva son bras tenant la Reaver vers l’un des croisés.

- Emmenez-le à l’échafaud, à l’est d’ici, avant que Kain ne revienne pour se saisir du heaume de Malek. Moi, j’ai une autre besogne à exécuter.

Alors que Vorador arborait un sourire glacial, il se téléporta à l’extérieur de la tour de thaumaturgie, puis utilisa une de ses machines temporelles.

 

 

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