La  Bibliothèque  de  la  ShinRa  corp.

 

 

Damnation

 

 

CHAPITRE QUATRE

 

Le néant.

 

Je m’éveillais une fois encore dans la douleur. Et en mouvement. A peine tiré de ma torpeur, je me jetai sur le Raziel qui me faisait face.

- Il n’est pas mort ! Dis-moi que Kain n’est pas mort !

- Je n’en sais pas plus que toi, marmonna l’autre moi-même, las. Oh, mais tu dois être… le nouveau, n’est-ce-pas ? Celui qui vient tout juste d’entrer dans cet enfer !

J’opinais.

- Moi qui suis là depuis un milliard de cycles, dit-il, je puis t’affirmer qu’on n’en sort jamais. A chaque fois, nous faisons tout notre possible… Rien n’arrive. Dans ce purgatoire de ténèbres, le temps même ne compte plus.

- Si nous avons échoué cette fois-ci… lui demandai-je. Tu essaieras encore d’échapper au destin ?

- Encore et encore. Après tout, c’est notre seule chance d’évasion. Epargner Kain.

Une secousse.

- Que se passe-t-il ?

- Mœbius nous transporte, fit l’autre, laconique. Dans l’espace et le temps.

 

Plusieurs personnes discutaient dans la nef de la cathédrale, où serait établie des siècles plus tard la tombe de William le Juste. Mœbius, tenait la Soul Reaver d’où je les observais. Il y avait Neufs personnes… Je remarquai que Mœbius le félon maintenait, par quelque sortilège, de fausses pupilles brunes sur ses yeux vitreux, dans le but de passer pour un être humain normal ; il parlait à Mortanius le Nécromancien, Gardien du Pilier de la Mort, qui avait changé Kain en vampire, et à Malek, le Paladin, l’un des plus puissants frères guerriers Séraféens, qui, à cette époque, n’avait pas encore était damné pour son inefficacité. Mais Malek ne portait pas encore son heaume Séraféen. Je compris que les gens qui parlaient dans la nef étaient les membres du Cercle des Neufs, les Gardiens des Piliers de l’époque.

Mœbius jeta un œil amusé sur l’épée qu’il avait à la main. Ce maudit vieillard savait bien sûr qu’une infinité de Raziels ivres de vengeance étaient enfermés dans la Soul Reaver. Je rugis, en vain, car si le monstre avait bien les doigts refermés sur la garde de l’arme, il serrait dans l’autre main son bâton, coiffé de l’orbe qui maintenait nos flammes furieuses dans la lame. A cet instant, Mortanius dit :

- C’est une bonne idée. Ces satanés vampires deviennent nombreux, trop nombreux. Un ordre qui les chasserait… qui organiserait une purge… Oui, voilà une affaire digne de l’intérêt du Cercle des Neufs.

- Mais quels guerriers seraient assez puissants pour diriger une telle armée ? s’interrogea un vieil homme à barbe blanche que je ne connaissais pas.

Malek se frotta le menton. Je me remémorais le destin de ce guerrier. Dans le futur proche où, juste avant mon enfermement dans la Soul Reaver, j’irai exterminer ses frères, il serait occupé à protéger Mœbius de moi, tandis que six membres du Cercle des Neufs (les rescapés étant, bien entendu, ce même Malek, ce même Mœbius et Mortanius) seraient tués par Vorador, désirant tout comme moi venger le meurtre de Janos Audron. Pour avoir tardé à venir au secours de ses collègues gardiens et de ses collègues et frères Séraféens (Malek se situait en effet à l’intersection des deux organisations, comme Paladin et interprète), et avoir été défait par Vorador, cet homme désagréable et vaniteux fut puni par Mortanius en personne, qui scella son âme à jamais dans son ancienne armure de Séraféen, laquelle avait subi un traitement magique.

- Je crois connaître des combattants d’une grande vaillance, fit Malek. Je pense à mes six frères : Zephon, Dumah, Turel, Raziel, Rahab et Melchiah.

- Mais Dumah… fit Mortanius, est l’un des hommes les plus sadiques que j’aie jamais rencontré. Il circule de drôles de rumeurs sur son compte, Malek. On dit qu’enfant, il écorchait des lapins vivants, et qu’aujourd’hui, il fait subir aux jeunes filles des choses auxquelles nulle femme ne devrait consentir.

- Il est très courageux, plaida Malek. Je vous accorde que mon frère a des habitudes sexuelles… étranges, mais elles ne regardent que lui.

- Et Zephon, dit l’un des Gardiens dont le crâne se mêlait à un globe de cristal vert. Il étudie les insectes avec une telle passion qu’on pourrait croire qu’il désire acquérir des antennes. Cette fixation me semble être d’ordre psychotique… Et vous pouvez me croire, je suis le Mentaliste.

- Ce n’est qu’un intérêt purement scientifique.

- Turel mange les sangliers vivants !

- Quand il a faim, il n’aime pas attendre.

- Melchiah tabasse tous les enfants qui ont le malheur de croiser son chemin !

- Ils doivent le provoquer par tous les moyens.

- Rahab torture tous les vampires qu’il parvient à attraper…

- Noble passion, n’est-ce-pas ?

Une femme vêtue d’un étrange habit de caoutchouc, Gardienne du Pilier de l’Energie, marmonna :

- Et Raziel… Raziel…

- Quoi, Raziel ? demanda Malek, exaspéré. Vous allez me dire que Raziel mange du crottin de cheval, éventre tous les chiens qu’il rencontre, décapite les curés et viole des cadavres ?

- Non, euh…

- Arrêtez de déprécier mes frères ! Le seul tort que l’on puisse reconnaître à Raziel est de courir les filles. Mais nous sommes des êtres humains, non ?

- Ce n’est pas ça qui m’inquiète, dit la femme. Je trouve que Raziel est un peu… fanatique.

Malek ricana.

- Fanatique, fanatique… Madame est une idéaliste. Réveille-toi, ma fille. Nous préparons une sainte croisade ! Les mots tels que « fanatique » ne veulent plus rien dire, et toucheraient même au compliment !

- Soit, admit Mœbius avec un sourire en coin. Malek, toi et tes frères deviendrez les sept frères dirigeant les troupes de cet ordre religieux.

- Quel sera son nom ? s’enquit Mortanius.

- Nous chasserons des démons, dit Malek. Des démons des ténèbres. Nous serons donc les Anges de la Lumière.

- Mmmmh… fit un vieillard. Dans la hiérarchie divine, les Anges de la Lumière sont les Séraphins, apparentés aux Trônes.

- Qu’il en soit ainsi, conclut Mortanius. En ce jour, je déclare la fondation de l’ordre des prêtres-guerriers Séraféens !

Je reculais loin dans les ténèbres de la lame, écœuré. Quelle abominable ironie ! « Les Anges de la Lumière », vraiment ? Un ramassis de fanatiques, de sadiques et d’assassins ! Mais j’étais quelque peu soulagé de voir que mon alter ego humain avait fait figure d’enfant sage comparé à Malek le prétentieux, Turel l’ogre, Melchiah le bourreau d’enfants et Zephon le psychotique. J’avais si longtemps adulé les Séraféens. Dans mon esprit repassèrent certaines de mes paroles passées. « Je n’approuverai pas ta cruelle hérésie ! » avais-je lancé à Kain devant le Chronoplast. « Les Séraféens étaient des saints ! Ils protégeaient Nosgoth contre ceux de notre espèce ! J’ai ouvert les yeux, Kain… Cette non-vie que tu m’as imposée à mon corps défendant n’a rien de noble ! ». Combien l’Empereur de Nosgoth avait été sensé de me répliquer que je connaissais mon passé, mais que je n’y comprenais rien…

 

Nous vîmes ensuite Mœbius déposer la Soul Reaver quelques années plus tard. Je reconnus sans peine l’époque. Je me vis moi-même, vampire traversant passé, présent et futur, descendant en planant du balcon du refuge de Janos Audron, après l’assassinat de mon mentor. Quel invraisemblable, quel tragique paradoxe ! Si ce Raziel occupé à pourchasser sa précédente incarnation, le Raziel Séraféen, avait su qu’une infinité de lui-même désespérés se tenaient à quelques pas, scellés dans la lame de l’épée que brandissait Mœbius, vieillard cruel, manipulateur de mon destin tout entier, quelle aurait été sa réaction ? Serait-il(serais-je) devenu fou dans l’instant ?

Raziel atterrit sur la glace du lac gelé, au pied du refuge de Janos Audron. Une lueur orange… La Soul Reaver spectrale, encore imprégnée de feu, s’extirpa de son bras, et il bondit, courut, vola, à travers champs, collines et forêts, montagnes, vallées et canyons, dans un unique but : retrouver les Séraféens qui venaient d’arracher le cœur palpitant du Dixième Gardien !

Alors qu’à l’horizon des murs de gaz et d’étincelles se formaient(Raziel venait de rencontrer les éclaireurs de la légion de démons destinée à lui barrer la route), Mœbius sortit de sa cachette entre deux pics rocheux et se téléporta sur le lac gelé.

- Admirez mon savoir-faire, myriade de Raziels, gloussa-t-il.

Le vieil homme posa soigneusement la Soul Reaver à plat sur la glace, sortit un de ses engins temporels portables, disparut dans une brume orange.

Nous vîmes accourir un vampire que nous connaissions bien, un acteur parmi d’autres de notre drame sordide. Vorador. Le vieux vampire, dans son costume de tous les jours, laissant ses bras verts à nu, était venu en ressentant le choc de la fin de son créateur… Le seigneur Janos Audron. Alors que j’appréhendais l’un des subtils raffinements du plan réglé comme une horloge, ainsi qu’il convient à un Voyageur du Temps, de Mœbius, Vorador se téléporta dans le refuge du Gardien de la Reaver. Décidément, tout le monde, Mortanius, Kain, Mœbius ou encore Vorador disposait de ce pouvoir de téléportation. Tout le monde… Tout le monde, excepté votre serviteur, ce pauvre et stupide Raziel, qui malgré son statut de Messie, n’avait pas été fichu de rompre une seule des ficelles qui lui avaient été attribuées.

Vorador revint à l’extérieur, sur la glace. Ses yeux exprimaient l’horreur ; sa face de chauve-souris avait la gueule grande ouverte sur ses redoutables crocs, et il était figé, comme en catatonie. Janos Audron, le dernier des Célestes, les anciens vampires, était décédé des serres avides des Séraféens.

Le vieux vampire tenait à la main un objet que je reconnut sans peine. Quelle improbable ironie… Un heaume ailé, doré, le heaume… de Raziel le Séraféen. Même sans cela, Vorador aurait compris quels étaient les coupables. Qui donc avait organisé ce génocide ? Qui donc avait constellé le paysage de vampires enfilés en brochettes sur des pals, ayant rendu leur dernier soupir ou bien encore vivants, agonisants dans la douleur de leurs poitrines perforées ?

Le visage de Vorador recouvra toutes ses couleurs. Des couleurs terribles. Son faciès animal déformé davantage encore par le désir de revanche, ses yeux aux pupilles jaunes et fendues se posèrent sur la Soul Reaver d’où nous l’observions. Je suivis le cours de ses pensées. Soit les Séraféens avaient abandonné l’arme vampirique en se repliant, soit ils ne l’avaient pas trouvé et elle était tombée toute seule sur la glace en même temps que divers débris du refuge de Janos.

Si le vampire avait été dans son état normal, peut-être se serait-il méfié. Mais il était ivre de rage, assommé par l’ire, assoiffé de vengeance. Il saisit la Reaver doublée de sa lame spectrale, l’infinité de Raziels dont je faisais partie. Puis il se téléporta jusqu’à son manoir.

Je regardai par l’extrémité de la lame l’endroit auquel Vorador nous avait amenés ; son manoir au cœur des marais de la forêt de Termagent. Devant lui, dans une réserve secrète, des cartes magiques, symboles des artefacts auxquels elles faisaient appel. « Ecorcheur à Vif », « Fond de la Putrescence ». Vorador sélectionna quelques sortilèges adéquats, se téléporta une fois de plus.

Nous étions devant la Forteresse des Séraféens. Vorador ne fit ni une ni deux : il extermina tous les prêtres-guerriers qui circulaient aux alentours, nous galvanisant, nous les flammes bleues de la Reaver, des âmes perdues de ces serviteurs du Cercle. Puis il bondit par un vitrail, se retrouva à l’intérieur.

Je jetai un dernier regard en arrière. Je vis, sur le lac gelé, un autre moi-même qui arrivait, après avoir détruit une vingtaine de démons. Une fois de plus, je saisis toute l’habileté des manipulations de Mœbius. Il avait réussi à combiner diverses influences pour obtenir un événement de moins d’une heure, au cours duquel la majorité de ses opposants seraient éliminés uns à uns, s’entre-tuant naturellement dans la plupart des cas : Janos Audron, les sept frères commandant les prêtres-guerriers Séraféens, six des membres du Cercle des Neufs, et bien sûr Raziel le Messie de Nosgoth. Ces massacres auraient encore des répercussions maléfiques pour Nosgoth et bénéfiques pour le Gardien du Pilier du Temps : Vorador, par ses actes aveugles, attiserait le brasier de la haine envers les vampires, de même que le Raziel qui se précipitait pour venger Janos, exterminant aux passages les « valeureux croisés ».

Alors que les membres du Cercle des Neufs se concentraient sur la cuvette magique reflétant les actions des Séraféens dans le monde entier, Vorador entra dans la pièce sombre, empalant un laquais des Gardiens au passage. Je reconnus la salle ; c’était celle où Mœbius construirait deux réduits adjacents, contenant ses machines temporelles destinées à mon usage personnel.

Ce fut un massacre. Armé de la Soul Reaver, Vorador mit en pièces les six Gardiens des Colonnes présents. Pendant ce temps, un à un, ils clamaient « Maleeeeeeeeek ! », appelant de leurs vœux désespérés le Séraféen/Paladin/Gardien du Pilier du Conflit qui était à cet instant aux prises avec Raziel et Mœbius, à l’autre bout de la forteresse. Lorsque Malek arriva, Vorador le défit avec la même facilité, le laissant assommé dans la salle obscure, et se téléportant avec un ricanement.

 

 

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