La  Bibliothèque  de  la  ShinRa  corp.

 

 

Damnation

 

 

CHAPITRE DEUX

 

Le Raziel du précédent cycle m’amena loin dans l’obscurité, vers une paroi grise qui se détachait faiblement de l’encre de la nuit.

- Tu vas apprendre à connaître cet endroit, dit-il. C’est la pointe de la Soul Reaver physique, la gueule par laquelle elle aspire les âmes. Et c’est également là que nous pouvons voir ce qui se trame dehors.

Je regardai attentivement la surface métallique, elle s’ouvrit sur une salle que je ne connaissais que trop bien : le futur mausolée des Séraféens. Là où j’avais tué le Raziel Séraféen.

- Regarde attentivement, me conseilla le Raziel.

Je pus alors voir qu’à côté du miroir menant à la réalité était établie une autre fenêtre donnant sur cette même réalité, mais dans la sphère spectrale. Parmi les colonnes déformées du monde des ombres volait une âme.

- Elle va errer pendant longtemps, marmonnais-je. Mon âme libérée ne sera recueillie par Kain que dans plusieurs siècles.

Mon autre moi-même hocha la tête, désigna à nouveau l’ouverture sur le monde physique. Quelqu’un entrait dans la pièce.

- Lui…

Mœbius, le Gardien du Pilier du temps, fit quelques pas, vit avec satisfaction le cadavre du Raziel Séraféen. Il récupéra l’arme depuis laquelle moi et les autres Raziels l’observions. Je tentais de me débattre, de pousser l’épée à détruire ce satané vieillard dont j’avais été le pantin pendant si longtemps. Mœbius hocha la tête.

- Tes efforts sont futiles, pitoyable petit vampire. Tu es bel et bien prisonnier. Et tu vas me servir plus que tu ne l’imagines…

Il leva la Soul Reaver haut au-dessus de sa tête.

- Pourquoi l’arme ne le corrompt-elle pas ? demandai-je au précédent Raziel.

- Il est déjà dépravé plus que tu ne pourrais l’imaginer. Lorsque Mortanius, le Gardien du Pilier de la Mort, sera possédé par une sombre entité, Mœbius sera déjà depuis des lustres hanté par les ténèbres. Car dans le futur, quand Nupraptor, le Mentaliste, découvrira la dépouille de sa bien-aimée Ariel, il s’aliénera, contaminant tous les Gardiens de ses états malsains. Et Mœbius, qui voyage dans le temps, fut infecté avant même l’époque où nous nous situons, en recevant du Pilier du Temps le symbole de leur lien, le Sablier occulte. Cet artefact lui conféra la vie éternelle, le savoir nécessaire pour concevoir des machines temporelles, mais également une conscience immédiate, voyant passé, présent et futur. Son esprit était donc déjà relié au futur où le Cercle des Neufs sombre dans la démence, et Mœbius fut corrompu dans son cœur et dans sa chair, inextricablement lié au tragique destin de Nosgoth. La Soul Reaver, conçue pour nous, le Messie de Nosgoth, et non pour de faibles humains, est capable de déchoir même l’homme le plus pur, mais ce fruit-là est tellement pourri qu’il est hors de portée de la pestilence.

Je regardai, songeur, le tatouage en 8 que Mœbius portait sur le front. L’union du 8 couché, image de l’infini, et du troisième œil, symbolisant l’omniscience. Les globes oculaires vitreux du Voyageur du Temps remuèrent, se fixant sur la porte de la salle, derrière laquelle retentissaient des bruits de pas.

- Oh, oh, dit Mœbius. Raziel a été phagocyté par la Soul Reaver ; si les Séraféens me trouvent seul, trop proche des corps de leurs chefs, je risque d’avoir des problèmes.

- Il paraît inquiet, mais il ne l’est pas, m’apprit mon autre moi-même. C’est le Maître du Temps, et il sait déjà tout ce qui arrivera.

Je compris pourquoi Mœbius avait paru si inquiet à notre seconde rencontre, quand je l’avais menacé des Reavers spectrale et physique. Il savait que ces lames, à l’origine du paradoxe temporel, pouvaient changer l’histoire, et que le futur pouvait dévier. Mais pendant le reste de sa vie, il était resté dans une douce quiétude, connaissant déjà l’issue de toutes choses.

Je remarquai autre chose. Voilà pourquoi nous n’avions pu pousser la Soul Reaver à attaquer le Gardien du Pilier du Temps ; il tenait dans l’autre main son bâton démoniaque. Mais l’orbe qui le couronnait était recroquevillée en une petite sphère d’un bleu sombre, et aucun serpent n’était enroulé là.

Mœbius posa un instant la Soul Reaver où moi et les autres Raziel étions captifs, sortit une petite machine de son costume. Le module ressemblait à un modèle réduit des mécanismes que j’avais utilisé pour traverser les siècles. Mais il portait divers interrupteurs, semblait plus complexe d’utilisation. Je me remémorais ce qui était arrivé à Kain dans sa jeunesse vampirique : il avait trouvé sur son chemin deux machines temporelles, mais portables, et qui se désagrégeaient une fois leur unique voyage achevé. Apparemment, la science de Mœbius donnait naissance à des outils divers, aux destinations variées et d’usage adapté aux buts du sorcier.

Le vieillard déposa précautionneusement l’engin temporel sur le sol de pierre, l’activa. Alors qu’une douce lumière l’enveloppait, il reprit la Soul Reaver et partit, la lame vampirique dans une main, son bâton ensorcelé dans l’autre. J’espérai un instant que le flux produit par la machine me laisserait, moi et tous les autres Raziels, tandis que Mœbius, l’arme et son bâton partiraient pour l’Hadès. Il n’en fut rien.

 

Mœbius tendit la Soul Reaver au jeune homme qui se tenait devant lui. Après un instant d’hésitation, celui-ci la prit. J’entrevis l’endroit où le Voyageur du Temps s’était transporté ; un château rustique, à la pierre.

- Oui… Les armes que tu nous as fourni veilleront à cela… Dis-moi, Mœbius, à quel jeu joues-tu ?

Je compris la situation, reconnus l’homme qui s’était emparé de la Soul Reaver. William le Juste. Le jeune roi aimé de son peuple, connu pour son sens de la justice, de l’équité.

- A aucun, seigneur ! dit Mœbius, dans une attitude de soumission abjecte. Et les armes ne sont qu’un gage de ma bonne volonté.

- Et les nouvelles que tu m’apportes… poursuivit William le Juste. Un vampire envoyé pour m’assassiner… Où as-tu obtenu cette information ?

- Cela n’a pas d’importance, seigneur. Je ne l’ai fait que par souci pour ta vie.

- Peut-être, Mœbius, peut-être… Laisse-moi, à présent. Et si je voulais te parler…

- Je le saurai, seigneur, et j’accourrai.

Alors que le vieillard appuyait sur un interrupteur de sa machine, se propulsant dans une autre époque, je compris, épouvanté, que ce malheureux jeune homme allait être corrompu lentement par l’épée, pour au cours des années, se faire connaître sous le nom de Nemesis.

Nous tentâmes, sans effet, de rugir et de crier… William emporta la Soul Reaver au cœur de son château, et ne la quitta plus. Nous le vîmes, au fil des heures, nourrir des projets de plus en plus sombres. L’influence néfaste de l’énergie vampirique se ressentait dans l’âme du pauvre jeune homme. Et puis… Il arriva autre chose. William le Juste se retira dans la salle du trône, réfléchissant. Il venait de revêtir l’armure couverte de piques qui allait bientôt inspirer la terreur dans le cœur de tous les habitants de Nosgoth.

- Que fait-il ? demandai-je au Raziel du précédent cycle, mon mentor dans la Soul Reaver, qui demeurait songeur.

- Il attend, répondit-il.

J’allais quitter mon poste à la pointe de l’épée pour parler avec la foule de Raziel que j’apercevais en contrebas dans l’obscurité enveloppant toutes choses. Cependant, à cet instant, se passa quelque chose qui me retint. La porte de la salle du trône s’ouvrit. Je vis alors entrer, dans une armure noire couvrant une cotte de mailles rouge, une créature à l’air mauvais. Son visage était blanc comme de la craie, ses cheveux étaient du gris de la poussière, mais elle avait en fin de compte l’air plutôt jeune. Elle arbora un rictus, parodie de joie, en voyant William, j’aperçus ses canines pointues. Un vampire. Mais pas n’importe quel vampire. Ces arcades sourcilières proéminentes, ce menton anguleux, ces traits arrogants… Kain, Gardien du Pilier de l’Equilibre, ayant presque achevé sa croisade contre le Cercle des Neufs, propulsé dans le passé par une machine temporelle de Mœbius qui s’était bien sûr brisée à l’arrivée. Et dans sa main encore de forme humaine, gantée de rouge, ce Kain tout juste métamorphosé en vampire par Mortanius, le Nécromancien, tenait une arme à la lame tordue. La Soul Reaver. Cette même Soul Reaver dans laquelle j’étais enfermé. Je compris que c’était encore là un des tours de Mœbius, qui par quelque paradoxe temporel, avait réussi à armer et William et Kain de la Soul Reaver. Dans quel but ? Le Kain du futur me l’avait expliqué. Pour provoquer une modification de l’histoire. Alors que ce jeune Kain s’avançait vers William, lequel se leva de son trône, je ressentis le poids mental de l’autre Soul Reaver. Elle était chargée d’âmes, elle aussi doublée d’une lame spectrale, une lame de Raziels.

- Ah oui… fit William le Juste. Le vampire ! Mœbius m’a dit que tu viendrais… Hé, hé, hé !

Le combat commença. Kain reçut dans le poitrail un coup de l’arme de William, qui l’expulsa à l’autre bout de la pièce. Seule l’armure noire et rouge avait évité au vampire la désintégration. Alors que William s’approchait pour donner le coup de grâce, son adversaire posa un instant la Soul Reaver, et matérialisa des projectiles lumineux. Ecorcheur à Vif, Fond de la Putrescence, Eclair d’Energie… Ces sorts et artefacts filèrent vers le jeune roi, une trentaine d’artefacts. Ils ne trouvèrent pas prise sur l’armure, se dissipant rapidement. Kain avait eu le temps de se reprendre ; il se changea en dix chauve-souris qui tournèrent autour de William, lequel battit l’air de la lame de sa Soul Reaver, tentant de détruire cette vermine volante. Mais déjà le vampire se reconstituait dans le dos de William, se changeait en brume pour éviter un coup, reculait jusqu’au mur du fond et se rematérialisait. Les Soul Reavers se croisèrent dans une pluie d’étincelles. Le choc me rejeta dans l’océan d’obscurité, et l’infinité de Raziels qui étaient avec moi hurlèrent… Car cet entrechoquement de lames était aussi de lames spectrales, William et Kain ignorant que les flammes bleues dévorantes qui baignaient leurs armes étaient des milliards d’âmes entrelacées… Et nous avions ressenti la présence des autres Raziels dans l’autre Soul Reaver physique. Deux infinités de Raziel : paradoxal mais vrai. Et déjà les lames se croisaient à nouveau. William recula, essuyant un troisième coup de Soul Reaver. Kain en profita pour lancer sur lui le sort Bouclier d’Energie, qui forma comme une cloche de verre ; tous les coups que put lui assener son adversaire restèrent lettre morte. Le vampire ne perdit pas son temps, utilisant un précieux objet ensorcelé, la Banque d’Energie, pour ramener de l’énergie magique dans son corps épuisé. Revigoré, il donna un gigantesque coup de Soul Reaver. William le para tant bien que mal, mais les lames se rencontrèrent avec tant de force que les lois de la physique ne résistèrent pas au paradoxe temporel. L’arme dans laquelle nous étions, moi et les autres Raziel, se brisa, se cassa en deux. Une fissure blanche apparut dans l’océan de ténèbres, j’entendis tous les autres Raziels crier, le Raziel qui m’avait guidé disparut dans l’autre extrémité de la lame cassée, et alors que l’autre Soul Reaver atteignait enfin William et faisait exploser son corps à l’intérieur de son armure intacte avant de dévorer son âme, je sombrais dans l’inconscience.

 

Lorsque je sortis de mon sommeil, des années s’étaient écoulées. Je reconnus aisément le visage penché sur le mien : peau bleue, cheveux noirs, yeux totalement blancs et partie inférieure du faciès dissimulée sous une étoffe marquée du signe de mon clan, c’était moi-même. Raziel.

- Ainsi, tout cela n’est pas un cauchemar, soupirais-je.

- Ne te plains pas, Raziel, me dit le Raziel qui m’avait réveillé. Pour toi, ce n’est que le commencement du cauchemar. Moi, j’ai déjà vécu cet enfer mille quatre cent dix fois.

- Fichtre ! Raziel, tu as vraiment compté ? !

- Je n’avais rien de mieux à faire, Raziel. Encore quatre-vingt-dix cercles vicieux et je serai le 1500.

- N’y-a-t-il aucun moyen d’en sortir ? Enfin, c’est absurde !

- Tu dis ça parce que c’est la première fois. Nous y avons beaucoup réfléchi. Notre âme, c’est notre personnalité. Elle se modifie avec le temps, car elle existe en fonction de notre mémoire. Il y a déjà un Raziel qui a fait mille cinq cent tours, en ce moment. Lorsque je serai arrivé au même nombre de tours que lui, j’aurai autant de souvenirs de cycles que lui, donc je deviendrai lui.

Je réfléchis.

- Mais alors, dis-je, ça veut dire que le Raziel qui m’a conseillé tout à l’heure, en disant qu’il était celui du précédent cycle, ce sera moi dans le prochain cycle ? Et que je conseillerai de la même façon le prochain moi ? ! Il y a de quoi s’arracher les cheveux, ça me donne la migraine.

- Une autre théorie veut que nous soyons toujours les mêmes, reprit le Raziel qui m’avait réveillé, implacable. Vois-tu, si le Raziel qui a fait tel nombre de cycles reste toujours le même, et que ce cercle vicieux n’a jamais vraiment commencé (c’est logique pour une boucle temporelle), ça veut dire que notre conscience disparaît simplement arrivée en bout de cycle, et nous reprenons avec les mêmes rôles. Je répéterai ainsi toujours la même chose…

- Arrête, Raziel, gémis-je. Je vais devenir fou !

 

 

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