La Bibliothèque de la ShinRa corp.
Le Chaos qui est en Moi
Chapitre X : Vivre et Espérer
Je n’ai pas pu les arrêter… Les professeurs Gast et Hojo… Et Lucrécia… Tout ce que j’ai pu faire, c’est les regarder. Je n’ai pas pu empêcher l’exécution du Projet… C’est mon péché… Voici ma punition…
Vincent se releva de la table d’opération sur laquelle il était allongé, chancela, perdit l’équilibre pour de bon et se retrouva agenouillé à terre. Il se prit la tête des deux mains et cria de douleur. Que lui avait fait Hojo ?! Il sentait qu’il perdait le contrôle de lui-même et de sa propre enveloppe corporelle. Sa vision se déforma, les couleurs environnantes changèrent, et il ne fut plus conscient de ses actes…
Lorsqu’il se réveilla finalement, le laboratoire était dévasté : les éprouvettes brisées jonchaient le sol de leurs débris de verre, et des planches de bois – qui avaient été des pièces de mobilier auparavant – offraient le spectacle désolant de leur carcasse carbonisée, comme brûlée par un feu d’une immense intensité. Au milieu de ces "ruines", Vincent dégagea le bureau de Hojo qui semblait avoir été plus ou moins épargné par les flammes. Il ouvrit l’un des tiroirs, en sortit une feuille de papier qui portait l’écriture du professeur Gast, relut cette lettre pour s’assurer que c’était bien le papier qu’il recherchait – qu’il recherchait sans trop bien savoir pourquoi d’ailleurs, et mit la missive dans la poche intérieure de sa veste.
Toujours chancelant, il sortit du manoir et gagna l’hôtel Phénix. Tout cela devait être un cauchemar… Il devait se réveiller… Il allait entrer dans la chambre d’hôtel de Lucrécia, et elle serait là pour l’accueillir… Oui, elle serait toujours bien en vie, aussi joyeuse qu’auparavant… Tout cela était un horrible cauchemar, et il allait se réveiller lorsqu’il reverrait Lucrécia…
« - Comment a t-il pu se réveiller aussi vite !
- Professeur… c’est lui, l’assassin ?
- Oui, oui ! Arrêtez-le, ramenez-le au laboratoire ! »
A peine entré dans la chambre, Vincent fut saisi par plusieurs soldats. On le ramena manu militari dans la Demeure Shin-Ra, les menottes aux poignets.
« - Ne devrait-on pas plutôt le ramener à Midgar ? Il devrait passer devant la cour martiale…
- Ne discute pas les ordres, le nouveau ! Son QG a décidé de livrer ce traître au professeur Hojo, pour ses expériences… Officiellement, il est porté "disparu au combat" – mais il ne manquera à personne : d’après son dossier chez les Turks, il n’a plus aucune famille.
- Le pauvre…
- … On n’est pas payé pour faire du sentiment. Tu t’y habitueras ! »
Ces soldats parlaient de lui comme s’il n’était pas là, alors qu’il se trouvait juste à côté d’eux !
« Je ne suis pas un traître, ni un assassin… » murmura Vincent.
Ses gardes ne prêtèrent pas attention à ses paroles, soit parce que Vincent avait parlé trop bas, soit parce qu’ils se contrefichaient de ses protestations d’innocence. Sur ce, Hojo réapparut. Venant du laboratoire souterrain, il était en état de choc, il venait de découvrir que la majeure partie de ses précieux travaux de recherche était réduite soit en miettes, soit en cendres. Mais il ne se laissa pas sombrer dans le désespoir pour autant. Il avait confiance en ses propres capacités, tous les résultats de ses recherches se trouvaient en lieu sûr ; peu importait que les traces écrites aient été détruites, ce maudit Turk n’avait rien gagné à les détruire, car tous les points importants étaient à jamais gravés dans sa formidable mémoire de scientifique !
Les soldats convoqués par Hojo furent relégués au rang de "techniciens de surface" : deux d’entre eux – les plus chanceux – continuèrent à monter la garde auprès de leur prisonnier, et les autres prirent des balais et remirent de l’ordre dans le laboratoire du manoir. Quand tout fut prêt, Hojo se fit expédier de nouveaux équipements, fit mettre Vincent dans l’un des caissons d’isolement et renvoya tous les soldats – hormis deux – à leur occupation principale : la garde de Jenova sur le Mont Nibel…
Vincent ne se rendait compte des mois qui passaient qu’en voyant Séphiroth grandir : le bébé marchait à quatre pattes et essayait déjà de faire ses premiers pas, encouragé par Hojo. Ce dernier ne contenait plus son enthousiasme devant la précocité de celui qu’il appelait avec fierté "mon fils". Il n’arrêta pas pour autant d’effectuer diverses expériences sur le petit garçon, des expériences impliquant toujours les rayonnements au Mako. Vincent subissait en parallèle le même traitement, peut-être à un degré différent, et se demandait ce que Hojo avait bien pu trafiquer pour modifier à ce point son code génétique. Le scientifique avançait apparemment à l’aveuglette et ne connaissait pas le secret de Vincent – il ignorait que l’ex-Turk avait acquis ce pouvoir de transformation. Et Vincent se dit que c’était peut-être cela qui lui permettrait de s’évader enfin de ce laboratoire.
Un jour vint, où Hojo tenta pour la première fois l’expérience d’une greffe de Jenova sur un humain – sur Vincent. Il avait prélevé de l’ADN sur l’entité, avait réussit à obtenir par clonage et mise en culture une sorte de tentacule monstrueuse – un "bras d’Ancien" selon lui – et tenait absolument à voir les opportunités qu’offrirait un humain à trois bras…
Ce fut la pire journée dans la vie de Vincent : drogué, incapable de résister ou de se défendre, il ne put que subir la greffe de Jenova sur son bras gauche. Finalement, lorsque le petit Séphiroth réussit à gambader debout, Vincent – partagé entre d’atroces souffrances et une peur viscérale que la greffe ne soit acceptée par son corps – perdit, à son grand soulagement, son bras, qui fut remplacé par une prothèse par les bons soins du cher et attentionné professeur Hojo…
*****
Séphiroth courait déjà partout, faisait des bêtises comme tous les enfants de son âge, réussissait haut la main tous les tests d’éveil et de coordination que Hojo lui faisait faire ; mais il ne disait pas un mot, pas un seul gazouillement, aucun babillage ressemblant de près ou de loin à un mot, et pas un seul rire.
Un matin, Vincent vit l’enfant grimper sur une étagère du laboratoire et attraper le pistolet dont Hojo s’était servi pour "l’abattre comme un chien". Vincent cria et tapa de toutes ses forces sur la paroi du caisson où il était enfermé. Bien qu’étouffés, ses cris effrayèrent Séphiroth, qui lâcha l’arme ; elle tomba et glissa sous le bureau de Hojo. Vincent poussa un soupir de soulagement en pensant à l’accident que le petit aurait pu avoir en jouant avec cette arme à feu. Séphiroth, devant se rendre compte qu’il venait de commettre une bêtise, se dépêcha de descendre de l’étagère et de sortir du laboratoire. Vincent remarqua alors que par un heureux hasard, le pistolet se trouvait dans un recoin de telle sorte qu’il était à la fois dissimulé à la vue de ceux qui ne le recherchaient pas intentionnellement, et aussi facile d’accès pour ceux qui auraient besoin d’une telle arme…
L’après-midi qui suivit, Vincent eut un malaise et s’évanouit. Le professeur Hojo, paniqué à l’idée de perdre un "précieux spécimen", appela les deux soldats restés à Nibelheim. Il n’aimait pas avoir ces gêneurs près de lui, d’autant plus que ses expériences devaient rester secrètes, c’est pourquoi les gardes restaient toujours parqués à l’hôtel Phénix. Ils accoururent donc en recevant le coup de téléphone de Hojo et l’aidèrent à sortir Vincent de son caisson. A leur grande surprise, le corps inerte reprit tout à coup ses réflexes de membre des Turks. Les deux soldats furent envoyés valdinguer au loin, Vincent effectua une roulade vers le bureau de Hojo, attrapa le pistolet et tira deux balles – une dans la tête de chacun des deux gardes. Rapide, efficace, impitoyable…
Hojo était pétrifié de peur dans un coin de la pièce, et Vincent s’approchait de lui inexorablement.
« - P-pitié, ne fais pas ça…
- Où préfères-tu que je tire ? Je suggère la tête, la mort est sans douleur et instantanée. Qu’en dis-tu, Hojo… »
Hojo ne répondit pas, il s’était déjà évanoui. Vincent en fut déconcerté, il n’avait pas l’habitude qu’on lui montre aussi peu de résistance…
Maintenant que Hojo se trouvait à terre, Vincent ne put se résoudre à le tuer, comme il en avait eu l’intention en simulant ce malaise. Pourtant, ce scientifique représentait une grande menace pour l’avenir… Vincent décida de s’en remettre au sort, au destin, ou au hasard – quel que fût le nom qu’on pouvait donner à cette force qui faisait basculer les vies humaines. Il restait deux balles dans le chargeur… une pour Lucrécia, et une autre pour le petit Séphiroth… Vincent fit tourner le barillet, puis pointa le pistolet en direction de Hojo – qui ne s’en sortait pas trop mal, après tout : il avait deux chances sur trois de rester en vie… Vincent appuya sur la détente, un clic sonore se fit entendre. Le pistolet avait décidé pour lui, Hojo vivrait donc… Il laissa le scientifique inconscient (dans tous les sens du terme) à terre, fit précipitamment ses bagages et quitta Nibelheim, portant d’un bras le petit Séphiroth qui était en pleine sieste.
*****
Lorsque Séphiroth s’éveilla, il n’était plus dans son lit. Il était installé sur sa couverture de laine posée à même le sol. Le petit garçon jeta des regards étonnés autour de lui : une immense plaine rocheuse à perte de vue… L’homme qu’il avait souvent vu dans le laboratoire de son père était assis à côté de lui, il ouvrait et refermait sa main gauche tout en la fixant intensément comme pour l’étudier. En fait, ce n’était pas une main, on eût plutôt dit cinq longs couteaux qui s’agitaient en émettant un léger grincement métallique. Le petit garçon n’avait jamais connu la peur, ce sentiment lui était étranger ; et à cet instant-là, il fut dévoré de curiosité à la vue de cette main mécanique qu’il n’avait pas remarquée auparavant. Sans un seul mot, il s’installa sur les genoux de l’homme et voulut attraper cette curieuse main.
« Ce n’est pas un jouet, Séphiroth… Tu as bien dormi ? Tu veux ton biberon ? »
L’enfant fit oui de la tête, en levant les yeux vers celui qui venait de lui parler.
« Je suis désolé, mais tu devras te contenter de lait froid… J’ai oublié d’emporter un réchaud, ça ira quand même ? »
Encore un mouvement affirmatif de la tête.
« Tu ne parles pas beaucoup, hein… On s’entendra bien tous les deux, alors… Je m’appelle Vincent, c’est moi qui vais m’occuper de toi à partir de maintenant. »
Lorsque Séphiroth eut fini son biberon, Vincent l’installa sur ses épaules et il se remit en route. Dans cette région, il y avait un village appelé Cosmo, réputé pour son hospitalité, mais les deux voyageurs ne s’y arrêtèrent pas car dans ce village, se trouvait un certain professeur Gast que Vincent préférait éviter à tout prix – du moins pour l’instant.
Vincent marcha toute la nuit, portant dans ses bras le précieux fardeau d’un enfant endormi, et au petit matin, il arriva au village de Gongaga. Il loua une chambre dans l’auberge du coin – qui n’était en fait que la chambre d’ami d’un des habitants qui avait transformé sa maison en auberge d’appoint – et l’aubergiste remarqua la figure pâle et mâtinée de sueur du voyageur.
« - Vous allez bien ? Vous avez besoin d’un médecin ?
- J’ai… été mordu par un serpent dans le bois près d’ici… Vous… vendez des antidotes ? haleta t-il
- Allongez-vous ! Je vais aller en acheter pour vous.
- …merci… »
Vincent déposa Séphiroth sur l’un des lits de la chambre et s’écroula sur l’autre lit. Il défit sa cravate et la jeta à terre, il n’était plus un Turk, il n’avait plus aucun lien avec la Shin-Ra à présent. Il entendit le petit garçon bouger dans le lit adjacent et tourna la tête pour le surveiller, mais sa vue se brouillait et des paroles se bousculaient dans sa tête sans qu’il en comprenne le sens. Il avait la tête qui tournait et il était au bord de l’écœurement.
Ce flux de paroles, à l’intérieur de sa tête… Rien à faire, il ne pouvait pas les comprendre.
*****
Toutes ces voix dans ma tête… Laissez-moi tranquille, vous ne pouvez rien contre moi ! Cessez de parler dans mon crâne, je ne veux pas entendre, je ne veux pas comprendre ! Ma force de volonté est supérieure à la vôtre, à vous tous réunis. Je contrôle ces flots, contentez-vous de suivre le cours de la Rivière, Humains ! Bugenhagen, sois maudit ! Je ne te crois pas, je ne te croirai jamais. Je suis le fils de Jenova et je la vengerai, je nettoierai cette Planète de la vermine qui y grouille. La Grande Crue est pour bientôt… Oui, pour bientôt !
*****
Le propriétaire de l’auberge de Gongaga revint avec l’antidote et l’administra à Vincent évanoui. Séphiroth connaissait bien ça, les piqûres ; son père lui en faisait souvent au bras…
L’aubergiste donna plusieurs petites gifles à son hôte et l’obligea à se lever.
« - Marchez, marchez ! Il faut faire circuler le sérum dans votre sang !
- Je… je pensais qu’il ne fallait pas… bouger quand on était empoisonné…
- Et vous pensez bien, mais apparemment vous n’avez pas mis vos connaissances en pratique ! Alors secouez-vous maintenant, le sérum doit circuler dans le sang, tout comme le poison l’a fait. Allez, allez ! »
Séphiroth suivait des yeux le manège des adultes, qui tournaient en rond dans la pièce. C’était plutôt amusant ! Et pour la première fois depuis bien longtemps, il sourit.
« - C’est votre fils ? demanda l’aubergiste, avec un sourire bienveillant.
- …Oui…
- Il est adorable, et il vous ressemble beaucoup !
- …merci… »
Séphiroth se demandait pourquoi ce Vincent avait menti, mais comme il ne parlait pas, il ne dit rien à ce propos…
Quelques jours plus tard, deux voyageurs arrivèrent dans la ville portuaire de Costa del Sol – un jeune homme et son petit garçon, semblait-il. La ville, qui était très prisée des touristes pour son chaleureux climat, était sens dessus-dessous ce jour-là : l’Unité Spéciale du Maintien de la Paix était présente à Costa, ou plutôt trois agents de l’équipe Alpha – l’équipe d’élite des Turks – étaient là. Les Turks étaient à la recherche d’un opposant à la Shin-Ra qui avait détruit l’un des entrepôts de la firme, et ils avaient retrouvé sa trace à Costa.
Un attroupement s’était formé près de la plage : après une course-poursuite qui resterait dans les mémoires, les Turks avaient rattrapé le fugitif et ce dernier, encadré par deux agents, fut emmené à bord d’un hélicoptère en direction de Midgar, tandis que le dernier agent Turk de l’équipe – une jeune femme – resta à Costa del Sol pour procéder à de plus amples investigations sur le groupe anti-Shin-Ra dont le terroriste faisait partie. Après le départ de l’hélicoptère, elle resta un instant sur la plage, entourée des quelques soldats qui l’accompagnaient ; comme absorbée par le spectacle de la mer déroulant ses vagues, elle fixait la ligne d’horizon en soupirant. Finalement, elle revint en ville et, arrivée sur la Grand’ Place, elle crut reconnaître un visage à travers une vitrine : un grand homme brun était dans une boutique de vêtements en train de faire des achats. Izanami, car tel était le prénom de la Turk, ordonna à ses soldats d’aller l’attendre à l’hôtel, entra dans la boutique et se jeta sans retenue au cou de celui qu’elle avait reconnu. Ce dernier faillit en tomber à la renverse, au sens propre comme au sens figuré…
« - Oh, Vincent… Ils nous ont dit que tu étais mort en mission !
- Iza ! … je… Heureux de te revoir.
- … Mais, qu’est-il arrivé à ton bras gauche ? Et qu’est-ce que tu fais là ?! Pourquoi n’es-tu pas revenu au QG…
- …
- Oh, j’ai compris ! fit tout à coup Izanami en se reculant.
- Qu’as-tu compris ?
- L’année dernière, on a entendu parler d’un Turk traître… qui s’était rebellé contre la Shin-Ra… Je pensais que c’était juste une rumeur… Mais c’était de toi qu’il s’agissait, n’est-ce pas !
- Je suppose, oui… Ha ha ha ! Imagine : un Turk de l’équipe Alpha, ayant trahi la Shin-Ra – impensable ! C’est pour ça qu’ils m’ont fait passer pour mort…
- Qui est cet enfant avec toi ? demanda t-elle en désignant Séphiroth.
- …
- Tu sais que mon devoir est de… te mettre en état d’arrestation…
- Si tu veux m’arrêter, il faudra d’abord piétiner mon cadavre ! »
Vincent baissa les yeux, vit Séphiroth se tenant à côté de lui ; il le poussa derrière lui pour le protéger. Izanami remarqua la cape rouge que Vincent s’apprêtait à acheter, et songea qu’il avait toujours eu un très mauvais goût vestimentaire.
« - Ce n’est pas la tenue de camouflage idéale, Vince…
- Merci de ton conseil vestimentaire, ma chère. Ahem… Que comptes-tu faire maintenant… à mon sujet ? Un combat n’est pas très indiqué à l’intérieur, mais si tu y tiens…
- De quoi parles-tu ? Je ne t’ai jamais vu ici, aujourd’hui. On ne s’est pas parlé, et je sais seulement que tu es porté disparu en mission ! Adieu, mon ami… Pars loin d’ici ! »
Et elle sortit de la boutique sans se retourner.
« Adieu, Izanami… Merci. » murmura Vincent pour lui-même.
Le jour-même, Vincent et Séphiroth embarquèrent pour le premier cargo en partance de Costa del Sol. La destination importait peu à Vincent, du moment qu’ils s’éloignaient le plus possible de la Shin-Ra. Quelques heures plus tard, ils arrivèrent sur l’île de Mideel, où une nouvelle vie les attendait à la ville d’eau du même nom…
*****
Bien qu’il n’eût aucune référence, Vincent obtint un emploi à la station thermale de Mideel. Le travail était certes ingrat : Vincent était "homme à tout faire" – il portait les valises des clients venus en cure à Mideel, faisait diverses courses pour eux ou pour les dirigeants de l’hôtel mitoyen à la station thermale, servait le café et nettoyait les sols – mais grâce aux pourboires, il gagnait bien sa vie et pouvait sans peine élever correctement un enfant. Il louait une petite maison, à l’est de Mideel, appartenant à un homme d’à peu près son âge qui possédait aussi un commerce florissant en ville. Et Séphiroth avait même une nounou qui s’occupait bien de lui et qu’il adorait. Le petit garçon, au bout de deux ans de cette vie paisible, apprit à rire – à rire souvent – et à parler ; une fois qu’il était lancé dans une conversation, on ne pouvait plus l’arrêter ! Et comme Vincent, lui, parlait peu, l’enfant lui en demanda un beau jour la raison.
« - Séphiroth, lui répondit Vincent, dans ta vie future, les gens te jugeront à tes actes – et ne se souviendront de tes belles paroles que si tes actions sont en accord avec elles. Tu peux faire de grandes déclarations si tu en as envie… mais souviens-toi : suis ton cœur, accomplis ce que tu crois être juste et… reste dans le droit chemin. Mais je te parle de tout ça, alors que tu es si jeune ! … Je ne sais pas si tu arrives seulement à comprendre ce que je veux dire…
- J’ai - j’ai compris, Papa… Et je te promets que je ferai toujours ce qui est juste ! »
Lorsque le garçonnet eut quatre ans, Mai – sa nounou – s’aperçut qu’il avait appris seul à lire, grâce aux livres de contes pour enfants qu’elle lui lisait chaque soir. A la fois agréablement surprise et fière, elle en fit part au père de l’enfant, voulant l’inciter à inscrire Séphiroth dès maintenant en classe préparatoire. C’était une chance, une très belle opportunité pour Séphiroth, lui dit-elle. Vincent tiqua lorsqu’elle utilisa le terme "opportunité" – cela lui rappelait de mauvais souvenirs – mais il lui répondit qu’il allait y réfléchir. En fait, tout ce qu’il désirait pour Séphiroth, c’était une vie "normale" – et certainement pas une précocité intellectuelle ! Il en discuta tout de même avec le principal intéressé, le petit Séphiroth. Celui-ci fut angoissé à l’idée d’être éloigné de sa maison toute la journée, et il refusa d’aller à l’école de la ville. Vincent n’était guère enchanté par la perspective de le laisser entrer à l’école si tôt, mais il refusait de voir Séphiroth se refermer sur lui-même au lieu d’aller à la rencontre des autres, il décida donc de lui accorder un an de délai, et de l’inscrire pour la rentrée des classes suivante.
Ce même jour, comme tous les mois, le propriétaire de la maison que Vincent louait arriva pour percevoir le loyer – et, surtout, pour jouer avec Séphiroth dont il s’était entiché. Toujours, il lui apportait un petit cadeau : un livre d’histoires le plus souvent, histoires que Mai lisait à l’enfant le soir venu. Le sympathique homme avait décidé de doter sa maison de campagne – celle que Vincent louait, justement – d’un piano à queue, et le fit livrer ce jour-là. Il ajouta que, bien sûr, Vincent pouvait se servir du piano pour – qui sait ? – transmettre l’amour de la musique à Séphiroth. Vincent avait, en effet, joué une petite sérénade au piano lors d’une réception donnée à la station thermale et avait eu beaucoup de succès.
« - C’est très gentil, M. Brunaël ; mais c’est un cadeau de trop grande valeur, je ne peux pas – nous ne pouvons pas accepter ! protesta Vincent.
- Depuis le temps que nous nous connaissons, Vincent, cessez donc de m’appeler "Monsieur" !
- … Yannick, je ne peux vraiment pas accepter !
- Eh, qui vous dit que ce piano est un cadeau ?! C’est pour moi, pour ma maison de campagne, que je l’ai acheté ! fit Yannick Brunaël à Vincent, tout en adressant un clin d’œil complice à l’intention de Séphiroth. Mais je vous le prête de bon cœur – d’ailleurs, c’est un ordre : vous devez en jouer, ce serait trop bête de laisser cet instrument prendre la poussière… Vous savez que j’habite en ville plus souvent qu’ici.
- … Merci, je-j’en prendrai soin alors…
- En ce qui concerne LE CADEAU… »
Yannick sortit un petit paquet dissimulé dans le piano et le tendit à Séphiroth. Le garçon déchira vite le papier d’emballage et poussa un petit cri de joie en découvrant un livre de contes et une partition de musique pour débutants.
« - Merci, Oncle Yannick !
- Eh, tu es mon neveu préféré, Champion !
- J’suis aussi ton seul neveu, hi hi hi ! Papa, tu m’apprendras le piano ? S’te plait, dis oui !
- … C’est d’accord, Séphiroth…
- Chouette-chouette-chouette-chouette-chouette !!! chanta l’enfant en courant vers sa chambre.
- Yannick, vous le gâtez trop ; mais merci de tout cœur.
- Vous avez là un fils adorable !
- J’en suis conscient, j’en suis conscient… »
*****
Do, Ré, Mi, Si, La… Do, Ré, Mi, Sol, Fa… Do, Ré…
Impossible de me rappeler la suite. Mais je me souviens d’un piano, oui… et quelqu’un m’apprenait à jouer du piano… Je ne me souviens que d’une vague impression de douceur dans sa voix, d’un sentiment de… de tendresse, je crois… Mais que sais-je de l’amour et de la tendresse ?! Personne n’éprouve cela pour moi, et je n’éprouve cela pour personne – pas même pour ma mère, Jenova !
*****
… Et cette année-là, la guerre refit rage… Personne ne sut exactement qui avait déclenché les hostilités : l’état de Midgar, soutenu par la puissante compagnie Shin-Ra et presque tout le continent Ouest, déclarait qu’Utai avait commencé, tandis que dans l’autre camp, on affirmait qu’en attaquant l’île de Mideel – l’un des alliés d’Utai – c’était Midgar qui avait décidé de la reprise du conflit armé.
La région de Junon, territoire neutre mais stratégique, devint l’enjeu le plus important de la guerre, malgré la pauvreté économique de cette région qui subsistait de l’artisanat et de la pêche. Il n’y avait d’ailleurs qu’un seul village dans cette région de Junon, un village de pêcheurs qui fut bientôt investi par l’armée d’Utai. Par cette victoire symbolique, le moral d’acier des troupes de samouraïs d’Utai fut renforcé, et ces fiers guerriers arrivèrent ensuite aux portes de Midgar. Cela eut lieu par un matin d’hiver, près d’une décennie après le début de la guerre et le siège de la capitale de Midgar débuta.
Midgar sentait que la capitulation était proche, leur situation était critique. Ils avaient commencé la guerre en surnombre par rapport à Utai, et maintenant, il ne leur restait plus qu’une centaine de soldats apeurés et dégoûtés de ce conflit persistant.
Le maire de la capitale faillit avoir une attaque cardiaque lorsque l’élégant président de la Shin-Ra Corp. lui annonça qu’il connaissait un homme capable de gagner la guerre pour eux. Le maire rit nerveusement. « Un homme ? demanda t-il avec sarcasme. Que voulez-vous que je fasse d’un seul homme ! Il m’en faudrait des milliers, j’aurais besoin d’un million d’hommes ! »
M. Shin-Ra eut un sourire en coin : « Même au nombre d’un million, des vers de terre restent des vers de terre gluants ! Un homme suffira… »
« Mais, vous les enrôlez au berceau ! » s’exclama le maire lorsque le sauveur de Midgar dont il était question arriva. A la tête de la troupe de soldats qu’il leur restait, il leva le siège de Midgar et en une année, il renversa complètement la situation ; les soldats sous ses ordres reprenaient confiance en eux-même et obéissaient aveuglément à leur chef respecté. Cet officier n’était pourtant encore qu’un jeune homme – un jeune garçon, en fait : il était beaucoup plus jeune que la majorité des soldats auxquels il commandait. Il n’avait que quatorze ans lorsque la guerre prit fin, et on ne connaissait rien de lui, mis à part son étrange tatouage (le chiffre 1) à la main et son prénom. Il s’appelait Séphiroth.
Homme ou démon, Séphiroth semait la terreur parmi les rangs ennemis. Le maire de Midgar, tenu informé par ses messagers, pensait que Séphiroth était une sorte de robot : on lui avait rapporté que le jeune garçon ne craignait ni le feu des appareils à lance-flammes utilisés par les soldats d’Utai, ni le froid des glaciers du continent Nord ; on lui disait maintenant que l’officier Séphiroth dormait peu et mangeait rarement, et que, touché par les rafales de balles, il se relevait d’entre les morts pour accomplir sa vengeance ! Bien sûr, le maire se persuada que tous ces propos étaient exagérés, car même un robot n’aurait pas résisté à un tel traitement…
Utai dut finalement accepter une reddition sans condition, dut payer un lourd tribut de guerre qui appauvrit considérablement le petit pays et enrichit par la même occasion la Shin-Ra, et Utai n’obtint que la promesse d’une paix durable. Mais c’était déjà beaucoup…
A la fin de la guerre, Séphiroth disparut comme il était venu – sans trace. Seuls la Shin-Ra et le maire de Midgar connaissaient son existence, mais seule la Compagnie savait où se trouvait le mystérieux sauveur de Midgar. Quant au maire, trop attaché à la vie, il suivit les conseils de la Shin-Ra et niait avoir vu ce jeune inconnu. La Shin-Ra craignait en effet que la divulgation de l’existence d’un garçon encore si jeune – et pourtant si fort – aurait pu éveiller des questions auxquelles il aurait été embarrassant, pour l’image de marque de la firme, de répondre avec franchise. Bien sûr, des rumeurs, propagées par des vétérans de la guerre contre Utai, circulèrent à propos d’un surhomme. Mais elles furent étouffées.
Les journaux ne commencèrent à parler du grand Officier Supérieur Séphiroth que lorsque celui-ci intégra, officiellement du moins, le corps armé SOLDAT que la Shin-Ra venait de créer. Et à ce moment-là, la Shin-Ra Corp. était devenue la Shin-Ra Inc., un groupe industriel spécialisé dans le pompage et le traitement d’une nouvelle énergie révolutionnaire, l’énergie Mako.
La carrière de Séphiroth suscita de nombreuses vocations parmi les jeunes garçons du monde entier ; l’un d’eux était Clad Strife de Nibelheim qui décida, à quatorze ans, d’aller rejoindre le SOLDAT… Mais ceci est une autre histoire.
*****
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