La  Bibliothèque  de  la  ShinRa  corp.

 

 

L'écume des dieux

 

 

Chapitre 2 :

 

Le vent sur mon visage me procurait une nouvelle force tandis que je m'éloignais du temple . Pourtant , je me surprenais de temps en temps à me retourner pour voir l'austère bâtisse dressée sur un miniscule monticule . Malgré l'immensité des colonnes de pierres à l'extérieur soutenant le toit , on trouvait le bâtiment bien petit dans l'étendue de la plaine environnante . Il était l'heure de la première prière de la journée devant la statue de Terra pour lui rendre hommage . Une fois de plus , je n'y serai pas . Mais cette fois-ci , je n'arriverai pas à la fin essouflée sous le regard réprimandeur de la haute prêtresse .

Mon regard s'attarda une dernière fois puis je repris mon pas rapide , bien décidée à quitter cet endroit pour retrouver cet humain , Atany . Ce ne savait pas encore ce que je ferai une fois trouvé . Il fallait que je fasse quelque chose et non pas rester cachée derrière des murs en se répétant que ce n'était pas de sa faute . Au contraire , je savais que j'avais commis des fautes et je devais les réparer , pour Iria et Lan .

Et peut-être au fond , j'avais une plus noble résolution encore : Montrer à Terra que je n'avais pas besoin de son pardon en ce qui concernait mes fautes pour ne plus me sentir coupable . Je ne voulais pas prendre la voie de cette déesse qui était de demander pardon à ses victimes pour les crimes perpétrés par ses propres enfants . Je voulais montrer que mon âme et mon corps s'en sortiraient seuls avec pour seule force ma volonté .

Atany était un humain et il devait donc se trouver dans les réalités dominées par les dieux vénérés par les siens . Je n'avais donc qu'une seule solution . M'engager dans les forces ailées habilitées par la reine à se servir des cristaux pour voyager dans les différentes réalités . Pour cela , je devais aller vers la capitale . Là-bas , on saurait me renseigner pour devenir soldat .

Je n’étais jamais allée à la capitale . C’était le moment où jamais . Mes pas m’emportaient et mon seul compagnon était cette pluie fine qui s’était levée . En effet , en m’éloignant , je quittais les terres bénies de Terra .

- La route est par là .

J’avais revêtu une cape noire pour me protéger de la pluie et , grâce à son imperméabilité , ma progression était moins fastidieuse . Je marchais ainsi durant toute la journée . Le pays béni de Terra avait un paysage qui ne changeait guère et une succesion de petits vallons perdus au milieu de cette immense plaine verdoyante donnait une certaine lassitude aux voyageurs . Car beaucoup de visiteurs se rendaient en ces lieux de pélerinage , surtout en cette période de guerre où plus d’un foyer avait connu le malheur . En effet , cette région de paisibles villages agriculteurs se démarquait des autres par ces monuments . La prière était un moyen comme un autres de se rassurer pour les moins cultivés . Pour d’autres , visiter les nombreux lieux de cultes liés à la déesse gardienne des étoiles étaient aussi une initiation vers de nouveaux espoirs de vivre en paix . Le temple principal de Terra en faisait parti car malgré son austérité , on était toujours assuré d’être accueilli tel un roi par les terranes qui ne vivaient que pour la paix . Il y avait également beaucoup plus de demeures des étoiles dans cette région que dans les autres coins de notre réalité . Celle près de notre temple n’était que l’une des plus modestes et bien souvent par commodité , chaque village avait sa propre demeure . Il y avait bien d’autres lieux encore que je n’avais jamais visités .

A la fin de la journée , j’étais arrivée au dernier village avant la frontière pour le pays d’Enis et , par nostalgie et supertistion , mes jambes ne me portèrent plus loin . Je devais par conséquent m’arrêter pour la nuit dans un lieu de repos . Je n’eus pas à chercher longtemps car , en explorant le village endormi, je pus ainsi découvrir une grange à l’abandon et cela suffisait amplement pour la voyageuse qui repartait le lendemain à l’aube . Heureusement la pluie avait cessé et en m’allongeant dans la grange , je découvrais de nouvelles sensations comme cette odeur de paille humide bien plus agréable que l’odeur récurrente des parfums utilisés frénétiquement au temple . Même le charme d’une nuit à la belle étoile était une découverte car un trou dans le toit de la grange laissait filtrer la faible lueur des étoiles . La pire crainte d’un cristallien était que la nuit ne lui tombe sur la tête car cela aurait signifié la fin du royaume accueuillant de Terra . L’éclat de deux étoiles au-dessus de ma tête me laissait espérer que depuis leur nouvelle demeure , Iria et la grande prêtresse me guideraient sur cette nouvelle voie .

Sentant le sommeil les prendre , mes yeux se fermèrent pour sombrer dans l’obscurité mais un éclair orange transperçant deux corps me les fit rouvrir plus tard en sursautant . La nuit était déjà bien avancée car je ne pouvais plus distinguer les deux étoiles au-dessus de ma tête . Me levant pour m’avancer vers le seuil de la grange , je constatait que le jour ne m’avait pas attendu puisqu’il se levait déjà dans le lointain . Un soupir s’échappa de ma gorge en constatant que les lanternes s’allumaient une à une dans les maisons . C’était si tentant la bonne odeur d’un foyer et la douceur d’une famille . Mais j’étais déjà trop engagée sur cette route .

- Pourquoi tu fais ça , Lan ? Pourquoi ? Elles sont mortes et les connaissants , elles n’auraient pas voulu que tu leur sois redevable de quelque chose .

Mais des yeux me fixant comme pour affirmer mon propre échec me hantaient encore . Allons , cela ne servait à rien de s’apitoyer sur son sort . Il fallait au contraire avancer et agir et non pas imiter cette déesse qui ne daignait pas accorder de miracles à ses servantes . L’instant d’après , je remettais ma besace sur mon épaule et grignotant tout de même les fruits que j’avais ramassé la veille le long de la route . Je préférais économiser ignorant parfaitement le temps que durerait mon voyage jusqu’à destination : La capitale .

Auparavant , il me fallait réussir une épreuve qu’il me fut plus facile que je ne le pensais : Passer la limite de cette région . Ça y était . J’avais fait un pas en dehors de la région de Terra où aucun poste frontalier ne s’élevait . Par contre , 100 bras plus loin , je me retrouvais face à trois soldats en uniforme noire : Des soldats des forces terrestres facilement reconnaissables par l’épée dans le fourreau derrière leur dos . Ces hommes avaient pour but d’assurer l’arrière-garde de nos territoires , de nos conquêtes seraient plus justes . Or , assurer la surveillance de la frontière du pays d’Enis était l’exemple même de leur mission de protection des cristalliens .

- Où allez-vous ainsi ?

- A la capitale comme beaucoup d’autres je présume .

- Oui mais les autres sont en général plus nombreux , fit-il en m’examinant des pieds à la tête. D’ailleurs , il faut se méfier car il y a quatre jours , on nous a prévenu que des humains trainaient dans le coin .

Il était vrai qu’une jeune fille de une année et trois unités à peine vétue d’une simple toge blanche et emmitouflée dans la cape noire traditionnelle des terranes avec pour seul chargement une besace n’était pas la personne que l’on rencontrait le plus souvent .

- Qu’allez-vous faire là-bas ?

- M’engager dans les forces ailées , fis-je en regardant mon interlocuteur droit dans les yeux.

Les rires de ses deux comparses se firent méprisants mais il cessèrent aussitôt lorsque leur chef leva la main d’un air sévère . Je ne pouvais m’empêcher de constater que malgré sa forte carrure pour un âge avançé , il ne se dressait devant moi que de manière bancale , ne prenant appui que sur une seule jambe et cela ne le vieillisait que plus .

- Ecoutes , petite , fit-il prévenante , en mettant une main ferme sur mon épaule , vous êtes beaucoup à quitter traverser cette frontière pour vous engager . Mais ces personnes sont souvent dans leur deuxième année ce qui fait plus que la majorité pour un humain et ils ont une arme avec eux . Ils sont prêts à l’utiliser pour servir notre reine et nos semblables . Mon coeur de vétéran se sert à l’idée de ce qu’ils vont endurer mais mon orgueil est malgré tout fier de pouvoir compter sur des gaillards qui feront de grands soldats . Mais , vous , ce que vous avez de commun avec eux , ce n’est que votre détermination et c’est bien peu face à l’ennemi .

Je n’avais pas prévu une telle réaction et malgré qu’il prenait des gants avec moi , cela ne faisait que m’irriter . La veille , j’avais hésité car j’étais alors dans des terres amies mais aujourd’hui , il en était autrement puique j’avais franchi l’épreuve d’aller au-delà de ces terres

- Je ne veux ni ne peux revenir en arrière , rétorquai-je en ôtant la main de mon épaule.

- Savez-vous au moins vous battre , reprit la voix plus indécise que jamais .

- Je ne serai pas là sinon , affirmai-je .

J’espérais que cet homme ne me mettrait pas à l’épreuve par un duel quelconque car il aurait tôt fait de découvrir que la seule arme que je détenais était ma détermination , c’est-à-dire rien qui ne pouvait arrêter le tranchant d’une épée . Je subissais un examen silencieux et , à la façon de pencher sa tête dans une mimique d’hésitation , je sus que j’avais triomphé même de cette épreuve .

- Soit je vous laisse passer mais je prierai pour que les dieux vous soient propices .

- Je suis du genre à ne compter que sur moi-même .

Ce soldat me fit un signe d’adieu en regardant cette aventurière s’enfoncer dans cette direction que prenait tellement de guerrier . Pourtant , ces paroles m’avait fait réfléchir car elles n’étaient pas dénuées de sens . Mais cette sensation d’inquiétude me quitta très vite en repensant à ce soldat . Tellement de sollicitude de la part d’un étranger me touchait tout de même . C’était si rare et cela redonnait du baume aux coeurs trop lourds .

J’étais enfin au royaume d’Enis , la souffleuse de querelle . L’excitation de la découverte me faisait avancer d’un pas léger sur les routes de pierre . C’était la première fois que je marchais sur des routes pavés en cristal et cela me poussait à presser encore plus le pas . Je fus très surprise en constatant que la route traversait une épaisse fôrét à quelques kilomètres de la frontière . C’était comme si on avait changé de végétation avec le pays . Elle avait un côté désordonnée plus sauvage mais à la fois plus accueuillante avec l’ombre des grands arbres qui donnaient une certaine fraîcheur . Ici , la terre ne subissait pas la bénédiction ordonnée de Terra et on pouvait trouver une fleur sauvage coincée entre deux pavés de cristal de la route comme pour montrer qu’elle reprenait ses droits . J’avais même entendu dire qu’au milieu du royaume s’élevait de gigantesques massifs de montagnes défiant le ciel et les minuscules vallons de Terra .

Soudain , je sursautai en entendant le bruit de la chute d’un arbre au coeur de la fôret . Pour satisfaire ma curiosité , je m’enfonçai dans la fôret pour aller voir ce qu’il en était . L’instant d’après quelqu’un m’interpella .

- Courez , vite .

Je vis alors agiter des mains dans tous les sens pour me prévenir d’un quelconque danger . Un autre arbre fut abattu , plus proche , cette fois . Je sentis la terre trembler lègrement sous mes pieds et pas seulement à cause de la simple chute d’un arbre . Au loin , l’écho d’un grognement fut étouffé par la végétation de l’espèce fôret et je ne pus en définir l’origine . Un autre cri suivit immédiatement après . Je regardai dans tous les sens et je pus voir une femme piégées par l’épaisse végétation et ses traits déformées par la peur . La fôret s’était soudainement réveillée et je maudissais intérieurement la hauteur des arbres et la trop luxuriante végétation qui ne permettait pas de distinguer ce qui fut la cause de tant d’agitation.

Un homme me cogna si soudainement dans moi que je me retrouvais par terre , ma tête heurtant violemment un tronc d’arbre . Et là , dans un trou de la fôret faisant passer le soleil , je fis ce long cou écaillé de couleur sombre . Il s’élevait tel un serpent pour mieux défier le ciel et dominer ses proies qui s’agitaient en tout sens . Je dûs m’y reprendre à deux fois avant de me lever pour faire comme tout le monde et m’enfuir devant cette chose qui avait dix bras de haut peut-être . Mais aucun tracé régulier n’aparaissait dans la fôret et je me retrouvais l’instant d’après , essouflée au milieu d’épais buissons de ronces me barrant le passage . Je fis seulement ce que toute personne soucieuse de sa personne aurait fait en me cachant derrière un arbre plus épais que les autres , les genoux entourant mes bras pour poser ma tête doucement . Je croyais réentendre les voix d’outre-tombes et le cri de ce monstre n’était peut-être que la venue des humains . Em me terrant ici , j’allais m’en sortir , se cacher , se faire toute petite . Ne plus respirer . Les corps d’Iria et de la grande prêtresse ne respiraient plus . Mais c’était plus fort que tout , mes jambes refusant de repartir pour m’éloigner du danger et je me rappelles encore avoir mis mes mains sur mes oreilles pour ne plus entendre ce fracas d’arbres .

Un autre hurlement me parvint plus distinctement que les précédents cris et l’intonation enfantine me fit reprendre mes esprits . Un enfant tout jeune était en danger . Je me rappelais ces yeux qui m’avaient jugés et qui me jugeaient . Et telle une injonction venue des étoiles , ils me commandaient de revenir en arrière , pour mon propre bien . Je ne devais pas et je ne devais plus m’enfuir . Il y avait trois jours , je maudissais moi et les dieux de n’avoir pu intervenir . Peut-être que cette fois-ci , Iria m’accorderait ce miracle qu’elle m’avait refusé déjà si je priais de toute mes forces . Mais justement , n’étais-je pas là pour me prouver que je n’avais pas besoin de cette déesse ? Je ne devais pas , je ne devais plus , je ne devais jamais compter sur quelqu’un d’autres que moi-même . Et avant même que je leur commande , mes jambes me souleveaient tremblotante pour faire demi-tour et pour me porter rapidement dans la direction de l’objet de tant de peur .

Au passage , la femme qui avait réussi à se sortir de la broussaille me prévint de ne pas m’enfoncer dans cette direction . Mais cela était plus fort que moi . Il fallait que j’y ailles.

Un homme avait bien tenté de me barrer la route mais en le bousculant violemment pour continuer ma course bien qu’incertaine de ce que je faisais , il cria à qui pouvait l’entendre que s’il m’arrivait quelque chose , cela ne serait pas de sa faute . Mais je ne lui avais rien demandé , moi . L’épaisse végétation ne me facilitait guère la tâche et je ne pouvais que me fier à mes maigres estimations sur la provenance du cri . Une branche me fouetta le visage pour m’empêcher d’aller plus loin . Tout le monde pouvait être contre moi , cela m’importait peu . Et là , ma course cessa aussitôt lorsque mon regard tomba sur une toute jeune fille qui n’avait pas encore une année . Elle se tenait dans la position que j’avais adopté quelques secondes plus tôt , recroquevillée sur elle-même . J’eus l’impression de me revoir dans la demeure des étoiles , me terrant derrière ce pilier qui était remplacé par un arbre ici . Ma course s’arrêta devant cette vision qui m’immobilisa aussi bien les jambes que les pensées . Toujours ces regards . Toujours cette voix tremblotante ne sachant que faire . C’était du passé pourtant . Iria ne pouvait mourir deux fois puisqu’elle était déjà morte . Un craquement tout proche m’arracha de cette vision et du sol car mes jambes me soulevèrent dans un long saut pour récupérer au passage la petite fille . Nous roulâmes toutes les deux dans l’herbe environnante et nous eûmes le reflexe de fermer les yeux en entendant le bruit du craquement du bois se fracasser contre la terre . Maintenant , l’arbre révélait le dragon ainsi que son long cou que j’avais réussi à distinguer tout à l’heure et je pouvais très nettement sentir une odeur de brûlé . Face à ce monstre protégé d’épaisses écailles orangés et animé des flammes de la colère dans son regard , je tirai le bras de la petite fille à l’en décrocher pour qu’elle me suive dans ma fuite . Il avait abattu l’arbre grâce à ses énormes pattes surmontées de longues griffes. La créature poussa un long grognement et je pouvais très nettement sentir son souffle dans son dos . Je n’osais pas me retourner pour voir si j’avais réussi à mettre suffisamment de distance entre lui et moi et préférais ignorer la vérité en m’enfuyant toujours plus vite . Une larme coula sur mon visage en entendant le fracas des branches brisées dangereusement proche . Je ne voyais aucune autre issue que la fuite . C’était étrange cette sensation d’impuissance alors que je voulais prouver à celles parties que je pouvais me débrouiller toute seule . Mais là encore , je m’étais terrée puis je m’étais enfuie . Les pas de la petite fille ne faisaient que confirmer cette impression oppressante de bête traquée .

Puis , notre fuite cessa brusquement au pied des rochers tandis que l’on avait atteint l’orée de la fôret . Je n’aurais jamais pu escalader avec ce poids sur les épaules . La pensée de lâcher ce poids qu’était cette fille pour grimper me parcourut .

- Ne penses pas à ça . Ne penses pas à ça .

Penser à quoi ? Lâcher ma compagne ou réciter la prière de Terra comme dernier espoir . Car j’attendais bien un miracle au fond de moi-même bien que je ne voulais pas l’affirmer de manière consciente .

Une faille ... notre dernier refuge entre deux parois mal dessinées . Elle était suffisamment large pour que les fuyardes puissent s’y cacher l’une derrière l’autre . La petite s’y glissa la première , poussée par moi-même qui avait hâte d’être à l’abri .

En tournant une dernière fois la tête avant de m’engouffrer à mon tour dans la faille , je vis le regard d’un animal brûlant de satisfaction à la constatation de voir ses proies prises au piéges. Bien que la faille ne fut pas large , un demi-bras tout au plus , elle se prolongaient en longueur jusqu’à ce que le mince boyau ne me permette plus d’avancer . Par l’ouverture , je vis un oeil scruter notre abri . L’instant d’après , en un effort que j’espérais inutile , je vis les pattes écailleuses tentant d’élargir le passage et quelques pierres tombaient par çi par là . La petite fille ne réagissait plus aux mensonges d’encouragements que je lui prodiguer , aveuglée par ses larmes , recroquevillée et immobile . A moi-même , les encouragements ne faisaient rien puisque je sentais ma voix sonner trop faussement . Il devait donc être dit quelque part que je devais bien mourir . Cela n’avait pas été dans la demeure des étoiles , destination finale des cristalliens en temps normal .

Cela serait dans cette faille , blessée mortellement par la chute d’une pierre ou étouffant sous les décombres . Ma seule consolation et pensée égoiste fut de me dire que je ne mourrerai pas toute seule . La colère du dragon s’intenfisiait en même temps que ses grognements et la faille qui m’avait parue si sûre se refermait .

- Je vais vous sortir de là , avait percé une voix .

Ma voisine n’avait pas entendu ses paroles si calmes et encourageantes malgré la situation et j’eus la curiosité de vouloir m’approcher de l’entrée pour mettre un visage sur cette voix faussement autoritaire . Je pouvais remarquer que l’attention du dragon s’était détournée de la faille pour se consacrer à sa nouvelle proie ou à son nouvel ennemi . . Malgré le danger , j’étais maintenant au seuil de mon refuge pour voir si mon sauveur providentiel réussirait sa mission mais l’imposante masse entre nous de l’adversaire m’empêchait de distinguer ce qui se passait . Un éclair de lumière m’aveugla quelques secondes et au bruit , je crus reconnaître celui d’une épée sortant de son fourreau . Chacun avait maintenant une arme et pour montrer sa confiance en ses capacités , l’animal émit un rugissement à l’intention du guerrier . Je me l’imaginais ne cillant pas devant le danger et l’incompréhension du dragon .

Je pouvais maintenant remarquer que le dragon avait une longue queue surmontée de piques . Sa queue fit un demi-cercle horizontale pour tenter d’atteindre l’inconnu . Cependant , la lumière du soleil se refléta de nouveau dans la lame levée vers le ciel . Elle fut abaissée et le dragon poussa un hurlement de douleur pour reculer dangereusement en direction de la faille . Mais il se ressaisit très vite , se replaçant dans une autre position et l’inconnu suivit son mouvement . Face à face , je les distinguais parfaintement maintenant puisqu’ils avaient effectué un mouvement de 45 ° Je vis que ce que j’avais pris pour le reflet du soleil était l’éclat de la forme énergétique qu’avait pris le guerrier . Ainsi , il transférait sa propré énergie pour la transférer de son bras à son épée qui semblait faite de pure lumière . J’eus le souffle coupé , admirative devant les blessures qu’avait infligés la lame . Elle avait tranché nette la queue du dragon , ignorant jusqu’à l’armure naturelle des épaisses écailles . C’était la première fois que je voyais un cristallien prendre sa véritable forme d’énergie .

"Enis , plus avide de pouvoir que ses frères et soeurs , déroba la pierre divine de ses parents et grâce à l'essence du cristal ultime , elle donna vie à une race supérieure aux humains faite de l’énergie divine de la pierre ."

Ce jour-là , je compris le bien-fondé des légendes et ce qui nous différenciait tellement des humains , créatures de chair et de sang . Le dragon le comprit lui aussi puisqu’il se jetta la gueule grande ouverte sur son minuscule adversaire qui n’eut aucun mal à l’éviter avec souplesse . Mon imagination le vit s’envoler alors qu’il ne faisait que sauter les deux mains sur son épée pour planter la lame dans le cou de l’adversaire . Alors que je tremblais pour lui , le guerrier restait de marbre tandis que son épée tranchait dans une ligne parfaitement droite le cou du dragon .

Je fis un recul en voyant que le corps décapité s’agitait en de lourds soubre-sauts pour défier l’autorité de son dompteur une dernière fois . Ce dernier ignorait superbement les efforts désespérés s’inquiétant plus pour son épée qu’il nettoyait comme il pouvait avec la végétation . J’étais à l’image de cette végétation admirative et dégoutée devant une telle puissance et froideur .

- Mam .

Ma compagne tapie jusqu’alors dans la faille en bondit tel un diable de sa boite pour trouver refuge dans les bras de sa mère , plus rassurants et plus doux que la pierre de cette grotte .

- Merci , monsieur avais-je murmuré à cet homme qui me tournait le dos .

Il se retourna avec un merveilleux sourire que je devinais charmer bien plus qu’une petite fille .

- Pas de quoi .

Grâce au combat , je lui avais décelé une souplesse inégalable dans ses mouvements vifs et légers . Mais je l’aurais imaginé moins imposant car malgré mon bras et 1/3 , je ne lui arrivais qu’à la taille , me sentant bien minuscule . Ses cheveux blonds retombant sur ses épaules étaient de la même couleur que la barbe naissante encadrant ses lèvres lui donnaient la chaleur qui sied à la jeunesse . Cette impression ne se vérifiait pas à cause des petites rides entourant ses yeux couleur des chataignes de la fôret . Même son habit avec une toge marron à manche courte et un corsaire était simple . Son seul ornement et pas des moindre était son épée de style très humaine .

La petite fille à qui mes jambes avaient accordée un sursis s’éloignait dans les bras de sa mère consolatrice . J’eus le réflexe de lever la main en signe d’adieu . On avait partagé que quelques minutes de nos vies . Juste quelques minutes qui avaient alterné le désespoir et l’espoir . Juste quelques minutes qui auraient pu couter nos vies . Elle m’ignora trop rassurée de revoir celle qui lui avait donné le jour . Notre sauveur remettait déjà son épée dans son fourreau qu’il portait dans son dos et ramassait un sac qu’il avait laissé tomber pour se précipiter à notre secours . Puis , interloqué , il se retourna en constatant que j’étais toujours là , l’observant avec curiosité .

- Et si tu rentrais chez toi ? Fit-il d’une voix prévenante avec une pointe d’agacement . Cette forêt à cette époque du calendrier n’est pas très sûre . Tu as de la chance de n’être tombée que sur un dragon croisé entre l’élément terre et l’élèment feu .

- Je n’ai plus de chez moi fis-je simplement .

J’étais déçue qu’il parte aussitôt après m’avoir sauvée , comme si cela n’avait été qu’une simple formalité . Je voulais en apprendre plus sur ce guerrier que j’avais vu en pleine action . - Eh bien , vas dans un temple alors . Les prêtres pourront t’aider . Moi , j’ai à faire à la capitale . Je ne me suis que trop attardé .

Il mit son sac sur son dos prêt à reprendre la route .De ses réflexions , je n’avais retenu qu’une seule chose . Nous avions la même destination .

- Puis-je faire le chemin avec vous ? Je mis rends également criai-je en le voyant s’éloigner rapidement .

Le dragon m’avait fait rencontrer un tel homme . Il pourrait me protéger des autres dangers et apprendre à me battre . Je m’imaginer déjà faire briller une épée à mon tour pour être suffisamment autonome pour ne plus avoir à prier Terra . La capitale . Il s’y rendait aussi . Coincidence ou signe du destin ?

Je le vis reposer son sac pour s’abaisser à ma hauteur tandis que j’accourais vers lui . Visiblement , il faisait preuve d’une indulgence qu’il n’avait pas eu avec le dragon .

- Je ne suis pas du genre à m’emcombrer d’une petite fille qui me retardera que plus . D’ailleurs tu ne me connais pas et je te connais pas . On ne t’a jamais dit qu’il fallait se fier à personne lorsque tu voyagais ? Et pourquoi tu voudrais te rendre là-bas .?

- Je peux me fier à quelqu’un qui m’a sauvée d’un dragon . Et si je veux aller à la capitale , c’est pour m’engager dans les forces ailées avais-je répondu d’une voix qui ne laissait aucun doute quant à ma détermination .

Mais je fus déçue en le voyant se tenir son ventre pour rire à gorge déployée . Des oiseaux s’envolèrent de leur branche en entendant ce rire si soudain . Il riait encore lorsqu’il reprit sa route .

J’hésitais à rester sur place . Sa réaction m’avait vexée . Même le garde de la frontière s’était montré respectueux alors lui se moquait ouvertement de moi . Au fond , peut-être avait-il raison ? Je n’avais pas ma place . Cette rencontre avec le dragon avait bien montré mon fossé avec ce guerrier . Pour s’engager dans les forces ailées , il fallait savoir se battre et jusqu’à ce jour , je n’avais jamais tenu une seule arme . Je me demandais même si des deux mains , je pouvais tenir une épée imposante comme celle de cette inconnu . C’était perdu d’avance . Je pouvais encore faire demi-tour .Car après tout , j’avais eu encore l’irrésistible envie de réciter la prière . On ne va se battre avec pour seule arme des prières . Et pourquoi me battais-je ? Pour me prouver que je n’étais pas une lâche . Pourtant , je m’étais encore cachée . La faille miraculeuse avait remplacé le pilier du temple . De toute façon , l’inconnu avait déjà disparu et le temple des terranes n’était qu’à quelques jours de marche d’ici . C’était peut-être ma dernière chance de retourner sur mes pas , de retourner à cette vie , avant tout ça . Un flash de lumière orangée traversa mon esprit et tout de suite , j’eus le reflexe de secouer la tête pour chasser cette obsédante vision .

Voilà pourquoi je ne pouvais pas revenir . Mon esprit s’était impregnée de la mort et le royaume de sécurité qu’était la demeure des terranes s’était brisé tel un rêve par mon réveil .

Ma cape noire flottant au vent me parut bien lourde . J’allais au devant d’un monde où seule la guerre était reine . Je sortis de ma besace cette plume grise . Elle ne m’avait apportée que malheur mais je la gardais comme témoin de mes actes futures .

- Bon sang , tu vas arrêter de me suivre .

- Désolé d’abuser de votre impatience mais il se trouve que je vais dans la même direction que vous .

Je pressais volontairement le pas et je n’eus aucun regard vers lui lorsque je le dépassais . Après tout , je pouvais très bien m’en sortir toute seule . Et puis qui me disait qu’il n’était pas un envoyé de Terra pour me prouver que je ne pourrais jamais m’en sortir toute seule ?

- Mais bon sang , si j’avais su , je t’aurai laissée aux griffes du dragon . Au moins , j’aurais eu la paix .

- Et la conscience tranquille ? Fis-je s’en même me retourner .

- Tu veux rentrer dans les forces ailées ? Sais-tu seulement qu’il y a toute une procédure avant d’en devenir membre ? Il faut une lettre motivée par un membre de la haute classe . Et toi , une orpheline , je doute que tu réussisse sans aucune relation .

- Je me passerai de lettre alors avais-je répondu d’un air aussi agacé que le sien .

- La seule façon d’y arriver serait que tu deviennes une apprentie de l’un des soldats , ce que je doutes . Là bas , il n’y a pas de place pour les faibles . Personne ne te fera de traitement de faveur .

Je me suis enfin retournée dans sa direction , immobile au milieu de la route et cela le surprit visiblement .

- Je ne m’attends à aucun traitement . Je veux que l’on me traite comme les autres pour me prouver mes mérites

- Si tu n’as pas peur des difficultés , crains au moins la plus inéluctable d’entre toutes qu’est la mort .

- La mort n’a pas voulu pas de moi . Et même si je passais moi aussi , car nul ne peut prévoir cette heure incertaine , alors j’aurais montré à ces dieux auxquels tout le monde rend des comptes que je ne les ai pas priés pour obtenir un sursis de ma vie . Si je dois passer sur un champ de bataille , alors j’aurai au moins la satisfaction de savoir que j’ai fait ce que je voulais du temps qu’il m’était imparti et sans qu’aucun dieu n’intervienne .

Je m’étais attendue à n’importe quelle réaction mais pas à son rire tonitruant car cela voulait dire qu’il ne prenait pas au sérieux . Mais il cessa de rire lorsqu’il vit que je reprenais ma route et ce fut l’adulte cette fois-ci qui rattrapa l’enfant . Puis il s’agenouilla pour être à ma hauteur une de ses mains immenses sur mon épaule .

- Excuses ma réaction mais cela me fait plaisir de voir une cristallienne penser par elle-même. De toute façon , je n’aurais pas l’esprit tranquille en te sachant seule sur les routes et , par conséquent , voudras-tu de mon humble compagnie , fit-il sacarstique .

Et avant que je donne ma réponse , il avait pris ma besace et regardais à l’intérieur , comme s’il avait reçu ma permission . Cela m’indigna encore plus . C’était un fossé de plus entre mes manières héritées de mon éducation de terrane où tout était demandé .

- Alors , gamine , tu te dépêches . On doit arriver à l’auberge avant la nuit si tu veux éviter les mauvaises rencontres .

- Cela ne fait rien puisque j’en ai déjà fait une , répliquai-je devant autant de familiarité de la part d’un inconnu .
Bon . C’était vrai , j’avais voulu l’accompagner car la région m’était inconnue . Mais autant d’impertinence , de moquerie et de sarcasme venant d’un inconnu m’irritait .

- Je ne vais pas t’attendre fit-il dix bras devant moi , agitant en un dernier signe de défi ma besace .

Finalement , m’enveloppant dans les pans de ma cape et soupirant , je m’en fus sur les pas de cet homme en courant , lui donnant ordre de m’attendre .

 

- Là , il était temps sans mauvais jeu de mot , fit le plus sérieusement du monde mon compagnon de route .

J’étais essouflée et trempée par la pluie qui nous avait surpris tous les deux tandis que le soleil était déjà couché depuis longtemps . Je m’étais imaginée les pires scénarios en constatant que je me retrouvais avec un compagnon dont j’ignorais tout du nom et qui m’ordonnait d’accélérer car les alentours n’étaient pas sains la nuit . Et comble de tout , la pluie s’était ajoutée à l’obscurité de la nuit et ma cape n’était plus d’aucune protection au bout de quelques instants de course dans la boue .

- Là-bas , fit la voix en désignant la lumière d’une fenêtre au milieu de la pénombre .

Et soudain , le martelement de la pluie à mes oreilles et son écoulement en petit rigole sur mon visage fit place à un silence pesant qui avait suivi le claquement de la porte . Un nuage de fumée dans la salle s’amusait à voleter autours des bougies et à brouiller ma vue . Les bougies éclairaient la salle commune de l’auberge en dessinant des ombres sur les murs faits de simples bois . Les gens isolés d’une table à une autre avaient pourtant leur regard convergé vers la porte d’entrée . C’était un étrange rassemblement de personnes qui ne ressemblaient en rien à celles que j’avais cotoyées jusqu’alors .

- Ghar , c’est toi , chéri , fit une voie féminine qui montait trop facilement dans les aigues et donc tout à fait insupportable pour mes oreilles .

Je fus surprise par cette femme s’adressant au dénommé Ghar qui n’était que mon compagnon . Celui-ci me poussa vers le comptoir et je remarquais que l’intervention de la femme avait réveillé tout le monde qui vacquait de nouveau à ses occupations . Les passages entre les tables rondes étaient étroits et je pus inspecter à volonté la salle le temps que Ghar cherche un passage de l’entrée jusqu’au comptoir . Un borgne jouait à un jeu de carte avec d’autres personnages et je fus surprise de voir qu’ils jouaient avec de l’argent , des cristals d’or , la plus forte valeur monétaire de notre réalité . A une table plus isolée , un homme un peu plus distingué que les autres de part ses manières faisait la conversation à une jeune fille dont la tenue très légère aurait fait rougir n’importe quelle terrane . Je me demandais même comment elle pouvait ne pas avoir froid avec une tenue aussi ouverte et en se tenant si éloignée de la cheminée . Mes yeux enregistraient des découvertes mais la sagesse m’intima de me taire , plus pour ne pas paraître ridicule et ignorante du monde que pour ne pas avoir d’ennui . Nous arrivâmes enfin au comptoir . Traverser la fôret m’avait semblé chose bien plus abordable que cette traversée . Ghar avait commandé de la nourriture et de la boisson mais je n’y faisais pas attention , trop attentive à mon examen de la salle . Il était navrant de voir que les cristalliens qui connaissaient le secret du voyage entre les réalités en étaient encore au feu de cheminée . Visiblement , nos dieux nous trouvaient trop irresponsables pour nous confier le secret du feu éternel . Un homme s’amusait à faire des ronds de fumée dans un angle tandis qu’il me dévisageait d’un étrange regard .

- Et toi , celle-là est pas pour toi , hurla la femme du comptoir à l’intention de l’homme qui revint à une préoccupation moins dangereuse qu’était les ronds de fumée . Tu es bien jeune d’ailleurs , chérie pour parcourir les routes toute seule . Fais attention , acheva-t-elle tandis qu’elle me servait un grand verre de ce que je reconnus avec sourire comme du jus d’orange .

Cette femme m’intriguait . Elle avait dépassé l’age de la pleine beauté et cela se voyait par sa chevelure grisonnante . Malgré une tenue que la grande prêtresse aurait qualifiée d’outrageusement ouverte , cette femme entretenait sa beauté par trop de maquillages masquant sa chaleur communicative . Ce qui m’intrigua le plus en elle était la couleur dorée de ses yeux qui lui donnait l’impression d’un éternel rayon de soleil dans ses yeux . Cela devait etre cet apparat qui devait faire son charme auprès des autres .

- C’est pour ça que je fais dans le baby-sitting fit Ghar très sérieusement . Elle veut rentrer dans les forces ailées .

Il parlait de moi avec ironie mordante comme si je n’étais pas là tandis que la femme lui servait un verre bien plus grand que le mien et que je devinais ne pas être du jus d’orange .

- Tu as oublié les bonnes manières , répliqua faussement vexée l’inconnue , un gentleman tel que toi .

Ghar s’excusa en exécutant une sorte de révérence .

- Dharly , je te présente ... Tiens , c’est vrai , soudain perdant ainsi tous les effets de sa mise en scène . Tu as bien un nom .

J’avais celui de la grande pretresse . C’était étrange que la grande prétresse ait été mon homonyme .

- Lan fis-je tandis que mon regard se perdait sur le miroir en face de moi .

Nom bien banal qui ne donnait aucun sentiment d’orgueil à son propriétaire et qui aurait pu désigner n’importe qui d’autre , y compris moi .

- Lan , fit Ghar en riant . C’est trop courant ça . C’est les surnoms que l’on donne à quelqu’un comme Dharly par exemple ou comme la jeune fille très occupée là-bas .

Mon regard suivit la direction indiquée par Ghar . C’était la jeune fille que j’avais déjà remarquée , se laissant faire sur les genoux d’un homme qu’elle ne devait connaître que depuis ce soir .

- Je vois fis-je simplement et comprenant que trop bien le sous-entendu . Pourtant , c’est aussi le nom de certaines religieuses fis-je d’un ton froid et volontairement détaché .

Ghar riait encore de ma comparaison entre les religieuses et les filles de l’auberge . C’était vrai . Je n’avais que treize ans et jusqu’à maintenant , je n’avais connu que l’univers des terranes . Mais je n’en étais pas pour autant naïve , comme ce dernier se l’imaginait . Combien de fois , des jeunes filles victimes des hasards de la vie et de la guerre avaient trouvé la paix de l’âme dans notre temple ? Certaines d’entres elles étaient plus jeunes que moi et la grande prêtresse les confiaient à Iria . Elle savaient très bien s’y prendre avec sa douceur naturelle en priant Terra pour lui demander de guider une âme perdue victime des aléas de la guerre . Quant à moi , j’écoutais et ne comprenais ces filles qui vendaient leur corps . Mais c’était un devoir de charité et l’on devait leur recommander de prier Terra qui pardonnait nos erreurs . Encore une chose contre laquelle je n’adhérais pas . Un jour , une terrane m’avait surprise en train de recommander à l’une de ces étoiles perdues de réagir par elle-même plutôt que de se plaindre et de prier pour rentrer de nouveau dans les grâces de Terra .

Cette journée dans un pays étranger m’avait déjà tellement appris . Le souvenir des griffes du dragon n’était déjà qu’un sombre souvenir . Mais l’amertume que j’avais ressenti lorsque

l’enfant s’était precipitée vers sa mère était encore bien présente . Lorsque’un enfant avait une famille , il n’avait pas besoin de jouer le hasard des rencontres aux abords des routes . En effet , à quoi bon parcourir les routes lorsqu’un enfant était choyé , protégé par ses parents . Et moi , j’avais choisi l’égarement des voyages . Un enfant ne devait pas avoir besoin d’un compagnon de route .

- Alors , Lan , tu as pas l’habitude de fréquenter ce genre d’endroits , pas vrai ?

- C’est vrai .

C’était vrai . Que connaissais-je donc de cet étrange monde chaleureux de vulgarité . Oui , ces personnes m’apparaissaient vulgaires et peu cultivées dans leur manière et dans leur façon de parler et surtout de se comporter . Mais c’était cette convivialité qui m’avait toujours manqué dans la famille qu’avait été les terranes , une communauté accueillante mais trop restreignante dans ses rapports avec les uns et les autres . En effet , les terranes avaient sans cesse le regard porté sur le ciel au point qu’elles étaient aveugles à ceux et à celles qui les entouraient . Apres tout , lorsque je m’enfuyais , n’etait-ce pas ma façon de montrer que j’étais là , quelque part ? Iria se distinguait des autres par ses manières douces et par sa dévotion et moi par mon attitude irrespectueuse . Je voulais me distinguer . Après tout , ce que j’appelle encore aujourd’hui ma fuite de l’univers des terranes était un désir longtemps inavoué et secret . La mort n’avait fait que précipiter cette recherche de découverte du monde en la justifiant à mes yeux .

- Ces deux-là sont partis pour une fusion des âmes , m’avait fait remarquer Ghar en me désignant la fille isolée avec un inconnu dans un angle de la grande salle si animée .

- Hein , fis-je , n’ayant rien compris du pourquoi et du comment .

Devant cette simple réponse , j’eus droit de nouveau à un éclat de rire de Ghar qui avait d’ailleurs failli s’étouffer : Ce n’était pas très facile de rire tandis que l’on ingurgitait une boisson quelconque .

Puis , il se calma et son visage changea d’expression lorsqu’il m’observa avec le plus profond sérieux . Sa capacité à passer des rires à un air très inquisiteur me surprenait . Il passait d’un extrême à l’autre le temps de claquer les doigts .

- Oui , c’est vrai que tu es un peu jeune pour savoir ça . Quel est ton âge ?

- Un an et trois mois .

- Ce qui fait treize ans en âge humain fit-il comptant mentalement . Ce n’est sûrement pas moi la personne la mieux placée pour t’expliquer ça . En fait , les humains appellent cela faire l’amour mais cela reste purement physique . Car ils ne sont que des créatures de chair . Nous , nous sommes faits de lumière si on veut . Cette lumière est l’âme pour certains théologues et lorsque deux personnes qui s’aiment s’unient , alors il se produit la fusion des âmes . Les deux êtres ne deviennent qu’une seule et même lumière , leur âme fusionnant pour ne faire qu’une , chacun sentant les émotions , les souvenirs de l’autre . C’est une sorte de télépathie entre les esprits le temps que deux corps s’unissent . Les humains ont la malchance d’ignorer ce phénomène qu’ils transposent par des métaphores dans des poésies par exemple . Sa voix avait pris une intonation transportée et exaltée au simple énoncé de ce phénomène que je tentais d’imaginer . A son simple regard perdu dans le reve de ses pensées , je pouvais deviner qu’il savait de quoi il parlait .

- Ghar , tu n’as pas honte . Cette petite a bien le temps encore avant d’expérimenter ce à quoi tu faisais allusion à l’instant , sourit Dharly qui se frayait un chemin entre les tables .

L’aisance avec laquelle elle se mouvait dans les étroits passages entre les tables montrait une longue pratique de ce qui aurait pu passer pour un art chez cette femme .

- Au fait , pourquoi tiens-tu absolument à rentrer dans les forces ailées fit Ghar scrutant l’air réprimandeur de la dame de ces lieux .

Mon premier reflexe fut de soupirer . Moi-même , je pensais être sûre de mon choix . Mais une autre part de moi-même ne voulait pas aller à la capitale car ma vie était de devenir une terrane . Là-bas , au moins , j’étais choyée et protégée . Mais alors , pourquoi je voulais toujours aller plus loin et ne pas me retourner pour être prise au piège de la nostalgie .

- Pour trouver ma place peut-etre .

Mais mon interlocuteur avait l’esprit fin et savait reconnaître celui qui ne lui disait qu’une parcelle de la vérité . Je ne mentais pas mais je préférais me taire sur le véritable motif et peu louable qu’était la vengeance .

- T’es pas bavarde , trancha enfin Ghar en soupirant .

Il indiqua la fin du dialogue genant en criant qu’il désirait un autre verre .

Finalement , il but beaucoup mais étrangement son esprit gardait toute sa lucidité que je pouvais lui deviner . Dharly vint quelques instants plus tard à notre table . Elle me conseilla de monter dans la chambre que l’on m’avait attribué car un long voyage nous attendait jusqu’à la capitale . Je suivait doncson conseil . La chambre était simple dans son ameublement draconien mais elle était la plus éloignée à l’étage de la salle principale de l’auberge . Le lit moelleux à souhait ne trouvait pourtant pas grâce à mes yeux , trop longtemps habituée aux couchettes plus dures aux temples des terranes . La journée avait été longue en émotion et j’aurais pu ne pas en voir le bout si Ghar n’était pas intervenu contre le dragon . Mais étrangement , je n’étais pas prête à me laisser aller au sommeil et restait allongée en travers du lit , le regard perdu si les détails peu intéressant du plafond , les bras repliés derrière ma tête. Cela faisait combien de jours qu’Iria était morte ? Cela faisait déjà si longtemps dans mon esprit . Entretemps , je m’étais éloignée d’une vie paisible . J’eus pourtant un sourire amer à la simple pensée qu’une personne aussi distinguée et généreuse que la grande prêtresse avait un nom digne d’une simple prostituée . Après tout , beaucoup des terranes ignoraient les chemins que leur défunte supérieure avait traversée avant de rentrer au service de Terra . Après tout , peu de gens se doutaient par quels chemins était passée une future recrue des forces ailées .

 

 

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