La  Bibliothèque  de  la  ShinRa  corp.

 

 

Tchik, Tchak

par Shadow1109

 

 

Tchik, tchak, faisait l'horloge dans son accent lointain.

 

Situé au-dessus de la cheminée, simplement entourée par trois photos. L'une est ma mère, l'autre ma femme, la dernière ma fille. Un appartement comme les autres.

Je suis ni vieux ni jeune, j'ai malgré tout vécu assez pour pouvoir raconter ma vie.

 

Mon père était déjà mort quand je suis né. Un problème de cœur, paraît-il. Je n'ai jamais vu une seule photographie de lui, je n'ai entendu parler de lui qu'au travers de ma mère. Paraît-il qu'il était ivrogne, grognon et idiot. Paraît-il que ma mère ne l'avait épousé que pour son argent. Mais elle me disait aussi qu'il était pauvre, que chaque fois qu'il gagnait un peu d'argent, il le dépensait aux jeux. D'après elle, il n'était pas un modèle de vertu.

D'après elle, elle était un modèle de vertu, car elle me laissait vivre sous son toit, car elle me laissait manger la même nourriture qu'elle. Elle prétendait que quand elle me frappait, c'était parce que j'avais été méchant, paraît-il que je ne faisais que des choses mal, que j'étais la pire vermine sur terre qui n'est jamais existé, depuis ma naissance et jusqu'à ma mort ; je pleurais au mauvais moment, je respirais au mauvais moment, je parlais pour ne rien dire et ne parlais pas quand il le fallait, paraît-il; ma vie n'était qu'une pauvre bouse de vache, ou même était-elle la mouche à merde qui passait par dessus la dite bouse de vache, à la croire. Tout ce que je faisais était mal, elle devait donc me frapper, me punir. Elle rentrait du travail, grognant, me voyait installé sur le canapé à faire mes devoirs, car je n'avais aucun bureau, puis elle attrapait ce qui lui passait sous la main, parfois un vase, des fois une chaise, souvent le porte manteau, me frappait avec car j'avais mal agi, me frappait, et chaque fois que je la suppliais de s'arrêter, elle me frappait encore plus, puis me laissait allongé sur le sol, saignant et si j'avais le malheur de gémir, elle revenait me frapper, et si elle avait cassé quelque chose dans son agitation, c'était de ma faute, je le réparerais, je le repayerai, je le nettoierai et je prendrai des coups pour la peine, parce que j'avais été un vilain garçon, un garçon cruel, un garçon horrible. Puis elle me criait dessus que le repas était prêt, que j'avais intérêt à débarquer avant une minute, alors je me relevais péniblement, me traînais jusqu'à la cuisine, et si j'avais le malheur d'avoir mis plus de la minute autorisé, je ne mangeais pas, je devais me traîner jusqu'à ma chambre, m'endormir sans pleurer, ne pas protester, sinon des coups, des coups et encore des coups. J'allais à l'école, je rentrais à 5 heures, elle rentrait à 7 heures. Pendant ces deux heures, je devais nettoyer l'appartement, tout l'appartement, il n'était pas bien grand, ma mère n'était pas riche, mais il y avait malgré tout du travail, beaucoup de travail ; et si il y avait un soupçon de saleté, un oubli, des coups, encore des coups et toujours des coups. Et de plus, si mes résultats scolaires descendaient une seule fois au-dessous de douze sur vingt, encore et toujours des coups.

Et par miracle, ou par malheur dépend, jamais je n'eus de blessures trop grave qui aurait mérité de m'emmener à l'hôpital, mais de toutes manières elle ne m'y aurait jamais emmené.

Je grandissais bien sûr, heureusement même, mais je demeurais malgré tout chétif; surtout comparé à l'imposante forme qu'avait le corps de ma mère. Avec le temps, je devenais par contre de plus en plus résistant, mais je ne le montrais néanmoins pas, car si elle avait vu que je ne souffrais pas, elle aurait tapé plus fort, pour que je ne sois plus un vilain garçon, alors je me pliais de douleur sur le sol et feignait de gémir, même si la douleur était beaucoup plus moindre qu'avant.

Puis un jour, cela aurait bientôt fait vingt-trois ans qu'elle me couvait, il y eu un ennui. Elle était rentrée comme d'ordinaire, elle attrapa une lampe pour me frapper, la brandit par dessus ma tête, mais elle ne l'abattit pas comme il se devait. Elle resta figée. Son regard vide, son visage soudainement pâle. La lampe lui glissa lentement des mains et tomba sur le sol en bris quasi silencieux, mais elle, elle regardait toujours d'une manière vide et pâle, toujours fixant ce point lointain, peut-être la lumière au fond du tunnel. Puis, elle plaça sa main sur sa poitrine, sur son cœur, et demeura définitivement immobile. Je me suis glissé vers le téléphone, et, ne connaissant pas le numéro du SAMU, je composai un numéro au hasard et demandai à celui qui était au bout du fil de me dire rapidement ( mais je n'insistais pas sur le "rapidement"… ) le numéro, ensuite je le composai.

Peu après, deux heures environ, le docteur venait me dire qu'ils avaient fait tout ce qui étaient en mesure de leur possible, mais que malheureusement il n'avait rien pu faire, elle était morte d'un problème de cœur, une sorte de crise cardiaque, je crois, un nom compliqué comme seuls les docteurs les inventent, mais je ne m'en souviens plus très bien, trop absorbé que j'étais par la nouvelle. Ma mère était morte. Ma mère était morte…

A ma grande surprise, j'héritais d'elle. Elle me laissait la maison, l'argent, son souvenir, elle qui était saine de corps et d'esprit, paraît-il. Il y eut une infinité de papiers à lire et à approuver, mais ces petits tracas juridique ne me faisait rien, j'étais si content. Libre, j'étais libre alors, j'allais pouvoir faire ce qui me plaisait.

Elle était morte.

 

Tchik, tchak, continue l'horloge dans son accent.

Je ne sais pas pourquoi, mais je n'avais jamais remarqué comment cette horloge marquait les secondes, et c'est malgré tout une horloge que j'ai acheté moi-même. C'est étrange, ce n'est qu'une horloge après tout, mais c'est tout ce que j'entends maintenant, et son rythme qui compte les secondes avec un cheveu sur la langue me paraît être une sorte de douce symphonie, mais tranchante aussi, comme les lames d'un couteau.

 

Ma vie avait changé alors avec sa mort, comme si la voiture qui avançait difficilement mais toujours parfaitement droit avait brusquement tournée. Mais la route n'était pas si bonne…

Le tournant avait été brutal, et bien que je fus heureux, je ne pus m'empêcher de percuter un poteau sur la route. En effet, ma mère, c'est étrange sûrement, me manquait. Il y a la force de l'habitude, et cette habitude est dure à rompre. A chaque fois que j'entendais des bruits dans le couloir, j'étais persuadé que c'était elle qui rentrerait, qu'elle me dirait que j'avais encore été méchant, très méchant comme le vilain que j'étais. Mais à chaque fois, les pas passaient la porte sans s'arrêter, et moi, toujours à cette heure-là assis sur le canapé, restait à fixer la poignée de la porte, les bras ballants ou immobilement posé sur la petite table, persuadé qu'elle était allé faire quelque chose, quoique ce soit, et que la poignée s'abaisserait et qu'elle rentrerait. Mais comme elle ne rentrait pas, comme aucun bruit de pas ne se faisait entendre, je quittais la porte des yeux puis me replongeais à mes affaires, tout en ayant néanmoins pas la même concentration, tout en prêtant l'oreille au couloir pour voir si elle ne rentrerait pas. Mais bien entendu elle ne rentrait pas.

Tandis que j'étais à regarder l'état de ma voiture qui avait percuté le poteau, je me sentais capable de monter dans n'importe quel voiture qui m'apporterait son aide, et bien entendu, c'est ce que je fis.

C'est une fille qui vient me prendre. Je n'avais jamais tellement réalisé que je pouvais être mignon, que je pouvais intéressé une femme, je ne m'y connaissais absolument pas, ayant préféré me concentrer sur mes études, car c'était tout ce qui m'était permis.

J'allais chaque soir à un bar, peu après avoir réalisé que ma mère ne rentrerait pas, pour boire un verre d'alcool, après tout, ma mère ne serait pas là pour me frapper, et pour rester au bar à fixer le teint marron du mur. Je ne l'avais pas remarqué, mais elle m'avait remarqué. Quand elle comprit que je ne me présenterai pas à elle, elle se présenta à moi.

Je ne sais quel était son but réel. Voulait-elle un flirt ou avait-elle juste un pari à tenir ? Car cette femme ne pouvait pas tomber amoureuse. Elle se présenta simplement à moi, en s'asseyant au plus près possible de moi et en fixant de même le mur comme pour comprendre ce qui pouvait tant me fasciner dedans. Je sentis immédiatement qu'un nouveau regard se fixait sur le mur, bien que moi je regardai plutôt le vide. Je ne pus naturellement m'empêcher de regarder qui pouvait bien avoir le même sujet de contemplation, et glissai donc un regard vers elle. Elle l'attrapa au vol et me demanda :

"Toi, pourquoi tu le regardes ce mur ?" Ca lui était sans doute venu naturellement de me tutoyer ainsi, mais néanmoins ca m'attira. Seul ma mère avait pu me tutoyer auparavant, ça avait toujours été ainsi. Mais je ne trouvais à répondre que de regarder mon verre vide. Elle continuait à observer mes moindres mouvements, et sûrement alors pensa-t-elle que je serais une proie beaucoup plus facile que prévu.

"Oh, à ce point ?" fit-elle mine de s'étonner, avec un magnifique ton d'acteur de série B, et tandis que je hochais la tête en seule réponse, elle rajoutai :

"Lorsqu'on ne va pas bien, il faut parler. C'est ce que l'on dit, ca doit marcher…" C'est idiot, stupide, totalement stupide, mais les incroyables faits de la vie sont tous stupides, si bien que cette phrase finit de m'attraper. De fil en aiguille, on se retrouvait chez moi, et déjà dans le lit. Cela aurait dû s'arrêter là. Le lendemain, au réveil, je me trouvais seul dans mon lit sans aucune explication.

Plusieurs jours passèrent, des semaines même. Et c'est là que le sentiment que je ressentais pour elle s'agrandit, quand je regarde la chose de loin, je me dis que si elle était resté au lieu de partir, je ne l'aurais plus aimé. Mais là, durant ses journées où chaque pas dans le couloir était les siens, où chaque bruit était d'elle, je l'aimais de plus en plus, jusqu'à la folie même.

J'aurais pu demeurer à l'attendre sans qu'elle ne vienne, mais elle dût revenir. Elle rentra comme si de rien n'était dans l'appartement. Moi, me relevant brusquement du canapé, ne savait que dire, cela tombait bien, elle parla :

"Ecoutes, mes parents sont très strict, et à cause de toi maintenant je suis enceinte, alors il faut que nous nous marions." Je l'aimais, je n'allais pas dire non.

Si bien que un mois après nous étions fiancés, six mois plus tard mariés, évitant de peu que l'enfant ne naquisse avant que nous n'ayons été mariés.

Elle rentrait toujours tard le soir, ne rentrait pas du tout parfois, souvent, et ne daignait pas s'occuper de son enfant, une fille du nom de Mélanie. Elle prétextait à chaque fois que je la questionnais qu'elle avait soit rencontré un(e) vieil(le) ami(e), soit avait eu un problème de voiture, soit qu'elle avait du faire des heures supplémentaires à son travail au magasin, soit qu'elle…, toujours est-il qu'elle avait toujours une excuse à répliquer, toujours des excuses valables une fois et qui ne le sont plus dès la dixième fois, mais que je devais néanmoins continuer à la croire, et je la croyais, encore et toujours, parce qu'après tout je l'aimais si bien que son excuse pouvait être la plus nulle possible que jamais je ne l'aurai remarqué, elle était belle, elle était parfaite, elle ne pouvait faire quoique ce soit de mauvais, elle était gentille, gentille, gentille, gentille, gentille, parfaite…

Et cela dura, dura, dura… Je ne sais plus trop combien de temps cela dura… Et moi, en attendant à chaque fois son retour, je m'occupais de Mélanie qui au fur et à mesure grandissait.

Puis, la voiture freina brusquement, de manière tout à fait anodine et étrange. J'étais simplement en train de regarder la télévision, les informations de midi défilaient, et lorsqu'on annonça, je ne sais pas si cela déclencha le déclic, mais néanmoins je m'en souviens bien, qu'un cambriolage avait fait trois morts parmi les passants, tandis que les voleurs s'enfuyaient avec près de cent milles euros. Et je sentis que j'étais parmi les trois morts, et que les voleurs s'enfuyaient avec des années de ma vie, que j'étais la victime.

Mais je sentis aussi que ce n'était pas "LA" révélation, celle qui changeait tout dans ma vie. Car, il me faut bien admettre que dès le début je l'avais su, je l'avais senti. Il ne fallait pas être dupe, elle me trompait, sûrement jamais avec le même homme de plus. Je ne pouvais plus me voiler la face, soudainement, sans raison apparente, maintenant que le fait s'était imposé en bloc dans mon esprit, je ne pouvais plus trouver d'excuse, essayer de faire disparaître cette idée en faisant comme si elle était stupide, je n'avais plus cette possibilité alors.

Mais je l'aimais. Je l'aimais comme on peut aimer à en devenir fou. Je savais, j'avais compris, qu'elle me trahissait, mais peu importe je l'aimais…

C'est sûrement ça "l'Amour". Ou est-ce juste une expression. Je l'aimais tellement, je la haïssais tellement. Elle me mentait toujours, encore heureux.

Elle me trompait. Mais je n'avais que des soupçons, des morceaux de preuve… Donc elle ne me trompait pas. Il y a savoir et admettre. Je savais, j'admettais, et pourtant… C'est idiot.

On n'a aucun moyen de réagir. Il n'y a strictement aucune solution. Sauf la mort, peut-être.

Pendant quinze ans, ça dura, ainsi à douter et à savoir, à refuser, et à admettre… Puis il y eut le choc.

La mort bien sûr.

Un accident de voiture, elles avaient été renversé par un camion. Elles. Ma femme, et ma fille.

Mortes sur le coup. Elles n'avaient pas souffert. Elles auraient juste dues s'arrêter au stop. Elle ne s'était pas arrêté au stop, elle était morte, sans avoir souffert.

C'était fini.

 

Terminé. Ma femme, ma mère, ma fille.

Maintenant, il n'y a plus que moi, ce vieil appartement, et cette horloge.

Et je regrette. Ma fille, mon enfant. Je la regrette.

Les autres, je ne sais pas, peut-être ? Mais ma fille, pour ma fille, je sais que je la regrette, j'en suis sûr même.

 

Mélanie était magnifiquement belle. Douce, aussi.

Elle était toujours toute petite. Minuscule. Mignonne.

Elle était gentille avec moi. C'était moi qu'elle réclamait quand elle avait faim, parce que c'était moi qu'elle aimait. Elle m'attrapait mon doigt avec ses toutes petites menottes. Puis, elle me prenait la main et me demandait un bonbon à la confiserie d'en bas. Elle ne me demandait jamais pourquoi sa mère n'était jamais à la maison, pourquoi elle ne s'occupait jamais d'elle, parce qu'elle s'en désintéressait, c'était moi qu'elle aimait. Moi seul. J'étais son père, elle était ma petite fille…

Même quand elle était plus grande. Elle aimait bien être avec moi. Elle m'aimait bien. Elle m'aimait.

Le soir, j'allais la voir. Je lui demandais de me raconter sa journée. Elle me demandait ma journée. Je lui racontais, elle me racontait, elle était si mignonne, jamais contraignante.

C'était ma fille. A moi seul. Mon confort, mon réconfort, ma petite fille, mon enfant.

Elle était si gentille. Si mignonne, si douce, si généreuse. Elle ne se plaignait jamais ; elle ne disait jamais rien de travers.

A chaque fois que je comprenais que ma femme ne rentrerait pas pour des "heures supplémentaires", j'allais la voir dans son lit. Je lui parlais, c'était mon plaisir.

Finalement, c'était ma fille, mon enfant. Et c'est ma femme qui l'a tuée. Elle l'a tuée.

Elle a tué ma fille, que j'aimais tant. Elle qui jamais ne s'en occupait, il a fallu que ce jour-là, elle l'emporte avec elle… définitivement. Le mal est, était, fait.

C'était il y a cinq jours.

 

Bientôt, on parlera de moi au passé, aussi. Après tout, il ne me reste rien d'autre à faire…

Je vais me lever, j'irais chercher un couteau dans la cuisine, passerait la lame sur mes veines. Ca sera peut-être rapide… Je ne sais pas exactement ce que ça fera ; peut-être comme cette horloge.

Tchik. Puis tchak. Et le sang qui se déverse.

 

 

Retour