La Bibliothèque de la ShinRa corp.
Point de Vue
Conclusion : L’éternité et douze ans.
Scène 1 : Ai to Namida.
La lumière dorée brillait de plus en plus dans sa main, se reflétant en feu d’artifice dans les larmes qui roulaient sur ses joues… autant de gouttes de pluie dans ces yeux couleur de ciel sans nuage que celles pleurées par le ciel au dehors.
Il en avait coûté à Thephys de prendre cette décision déchirante, mais il ne pouvait faire autrement. En fait, la décision s’était imposée d’elle-même ; plutôt que d’être prise par Thephys, c’était la décision elle-même qui l’avait empoigné par le poignet pour obliger Thephys à la suivre. Laekh voulait se lancer dans une quête insensée : détruire l’un des Cristaux des Rêves se trouvant sur l’un des mondes-nés dont les Gardiens comme eux avaient pour mission de protéger. Laekh menaçait l’Equilibre de l’Univers tout entier car il voulait apporter, comme il l’avait lui-même dit à Thephys, "la victoire à l’une des deux Forces Fondamentales". Or pour le bien-être de l’Univers, l’Ombre et la Lumière devaient rester en parfait Equilibre sur la Balance de la Vie et de la Mort, aucune des deux Forces ne pouvait – ne devait – prendre le dessus sur l’autre. Il était tout à fait inconcevable de laisser plus longtemps la garde de l’Ombre au dangereux Laekh, il fallait donc que Thephys la lui ôte… même si ôter à un Gardien la Force qu’il détenait, revenait à le condamner à mort à courte, très courte échéance… Même s’il aurait voulu garder Laekh à ses côtés pour toujours, lui reprendre l’Ombre était la seule décision à prendre, la seule chose valable à faire. La seule…
Mais ça faisait mal…
Thephys avait l’impression que c’était son cœur-même qu’il était en train de pleurer, de déverser au dehors, et non simplement des larmes.
La lumière dorée brillait de plus en plus dans sa main, se reflétant en feu d’artifice dans les larmes qui roulaient sur ses joues… autant de gouttes de pluie dans ces yeux couleur de ciel sans nuage que celles pleurées par le ciel au dehors.
A ce moment-là, Laekh attrapa son compagnon par les épaules et approcha son visage du sien pour déclarer avec conviction :
« Je te le jure : je te prouverai que j’ai raison. Un jour, tu comprendras enfin ! »
La balle de lumière dans la main droite de Thephys éclairait à présent tous les alentours, une lumière majestueuse comme un soleil implacable, un glaive justicier qui allait trancher sans pitié les liens existant entre le Gardien de l’Ombre et sa Force.
« Mon devoir…, répéta le brun, plus pour se convaincre lui-même qu’autre chose. T’empêcher de nuire… en te tuant… »
Thephys était sur le point de relâcher le sort sur Laekh, mais ce dernier empoigna soudain son poignet droit, passa un bras autour de sa taille et l’attira violemment vers lui, pressant ses lèvres contre les siennes pour lui prodiguer un baiser passionné, fougueux, électrisant. Les yeux tout d’abord agrandis par la surprise, Thephys se laissa faire sans bouger, avant d’entrouvrir la bouche, de fermer les paupières, et finalement de rendre le baiser. A mesure que celui-ci se prolongeait, la lumière dans la main de Thephys se mit à vaciller, puis s’affaiblit avant de s’éteindre définitivement.
Incapable de réfléchir… il n’était plus capable de réfléchir correctement... Thephys se contenta alors de poser sa main droite, à présent inoffensive, sur l’épaule de Laekh pour le retenir contre lui. Si seulement… si seulement ce baiser pouvait durer à jamais… Plus de soucis à se faire pour l’Univers, plus de décision atrocement douloureuse, plus rien d’important… mis à part se perdre pour l’éternité dans ce baiser. L’éternité et un jour…
Mais soudain, l’éternité s’acheva douloureusement.
Frappé de stupeur, Thephys rouvrit brusquement les yeux, jetant un regard de totale incompréhension vers son bien-aimé. Laekh lui rendit un regard sans aucune émotion, en abaissant sa main gauche dans laquelle une lueur noire finissait de s’éteindre.
En chutant doucement vers le sol, Thephys continua à fixer Laekh. Ce ne fut qu’au dernier moment, au moment de se laisser envahir par la nuit, qu’il comprit : le blond avait profité du baiser pour pouvoir préparer un sort et le lui jeter. C’était la fin.
Lorsque sa tempe cogna contre le sol de la grotte, Thephys ferma les yeux avec résignation et perdit connaissance.
Scène 2 : Final.
Laekh s’accroupit près de Thephys et lui caressa doucement la joue. Même s’il aurait largement eu le temps d’en finir de cette façon, Laekh ne pouvait se résigner à tuer Thephys.
Quelle utilité sa mort aurait-elle constitué de toute manière ? Laekh visait avant tout l’utilité de chaque action, et tuer Thephys n’aurait guère été utile. De ça, il en était persuadé.
Du pouce, il suivit la traînée de larmes sur les joues de Thephys, essuyant ces larmes qu’il ne supportait pas de voir sur le visage de son ami. Les doigts de Laekh se prirent l’espace d’un court instant dans ces mèches d’un noir d’ébène, s’enroulèrent tendrement dans leurs filets tentateurs, et ne les quittèrent qu’à regret.
« C’est la dernière fois que je te fais pleurer, mon Cœur... » Laekh chuchota t-il au jeune homme qui semblait maintenant n’être qu’endormi.
Il embrassa doucement ses lèvres closes, se releva et lui lança un dernier regard par-dessus son épaule.
« …Parce que j’espère ne plus jamais te revoir. »
Laissant derrière lui Thephys simplement évanoui, Laekh s’avança, la main tendue vers le portail apparu depuis tout à l’heure. Celui-ci prit consistance, il ondula et scintilla comme un lac sous un ciel d’été, puis un passage se créa pour le détenteur du Cristal de Voyage. D’un pas décidé, Laekh s’engagea dans le passage, tournant le dos à son passé, à sa vie, à son seul amour.
Les effets du sort d’engourdissement se dissipant rapidement chez un Gardien de la puissance de Thephys, ce dernier se réveilla plus tôt que prévu, mais avec cependant un mal de tête atroce. Encore groggy, il se remis assis, en se frottant les yeux avec la paume de la main.
« Laekh ? appela t-il avant même d’ouvrir les yeux, incertain de savoir s’il avait rêvé tout ce qu’il venait de se passer. Laekh… Où es-tu… ? »
Après un instant nécessaire pour remettre de l’ordre dans ses idées, il tourna frénétiquement la tête de tous côtés, cherchant du regard le disparu, mais tout ce qu’il vit, fut un vague reflet de lumière tamisée à quelques pas de là. Il se releva d’un bond, s’approcha de la source de lumière d’un pas plus prudent, puis il s’arrêta devant ce portail dimensionnel qui était déjà en train de se refermer.
C’était comme s’il se trouvait devant un miroir qui reflèterait autre chose que sa propre image. Dans ce miroir, un grand blond semblait s’éloigner, le dos tourné vers lui, et avancer vers l’intérieur du miroir.
« Laekh ! Non ! » s’écria t-il en reconnaissant enfin la silhouette de celui qui était montré par l’étrange miroir.
Thephys voulut entrer dans le miroir pour rattraper Laekh. Malheureusement, le portail s’étant déjà fermé, il ne pouvait que rester coincé de ce côté du miroir, à regarder, impuissant, son ami partir pour accomplir le noir dessein qu’il lui avait confié tout à l’heure.
« Laekh ! »
En l’appelant, Thephys frappa du poing contre la glace du miroir, mais en vain. Et finalement, l’image de Laekh s’effaça en même temps que le portail se dissipait. Une fois celui-ci totalement disparu, le jeune brun se laissa doucement glisser à terre, sa joue posée contre la paroi de la grotte. Il baissa la tête.
Anéanti.
Scène 3 : Le Sablier du Temps.
Le jeune homme chuta et atterrit durement sur le sol.
« Argh !! … Keurf, keurf !! »
Il toussa en recrachant le sable qu’il avait avalé lorsqu’il était tombé la tête la première. Quand il releva finalement le visage, une superbe vision s’offrit à ses yeux surpris : trois magnifiques jeunes femmes d’une vingtaine d’années se tenaient devant lui. Une blonde-platine dont la pâleur des cheveux, courts et ondulés, contrastait joliment avec le violet profond de ses yeux. Une rousse aux yeux d’émeraude et aux cheveux lisses, ramenés en un lourd chignon et ornés de pierreries qui accentuaient le flamboiement de sa chevelure. Enfin une brune aux prunelles dorées comme le métal précieux, dont les longs cheveux bouclés et lâchés touchaient presque terre.
Malgré leurs grandes différences physiques, elles avaient comme un air de famille entre elles, sûrement dû à leur façon semblable de sourire : en plissant les yeux mais en relevant simplement le coin des lèvres, sans découvrir les dents. De plus, elles portaient toutes trois le même style d’habits, déclinés en différentes versions : une toge d’un blanc immaculé et si fine qu’elle laissait transparaître par endroit la carnation rosée de leur peau qui irradiait de perfection, un voile translucide comme la brume du matin drapé sur leurs épaules, une chaîne de cheville pour toute parure sur leurs pieds nus, et un diadème richement ouvragé posé comme une caresse sur leur front.
« Wow… » souffla le nouveau venu, resté assis à l’endroit où il avait atterri, comme figé sur place devant ce spectacle fascinant.
Les trois femmes lui adressèrent le même sourire mystérieux.
« Oh… mon Dieu…, murmura t-il la bouche bée.
- Dans mon cas, ce serait plutôt : Oh, ma Déesse ! plaisanta la brune en s’approchant de lui.
- Qui êtes-vous ? demanda t-il en déglutissant, incertain s’il fallait prendre sa plaisanterie comme telle ou non.
- Atropos. Atropos Moira, prononça t-elle en roulant le R de son patronyme.
- Nous te laissons t’occuper de ce cas, Grande Soeur, fit la rousse en commençant à partir. Au revoir, M. Traumen, ajouta t-elle avec un léger mouvement de la tête pour le saluer.
- Au… Au revoir, répondit-il, trop déstabilisé pour remarquer qu’elle connaissait déjà son nom à lui alors qu’il ne s’était pas encore présenté.
- A bientôt, Laekh ! conclut la blonde avec cette fois un sourire éclatant qui découvrit ses dents de nacre. A TRES bientôt, j’espère !
- Arrête de taquiner les invités, Lachésis, la réprimanda sa sœur la rousse.
- Maieuh !! fit-elle en courant à la suite de cette dernière. Il est drôlement mignon, cet humain ! C’est dommage qu’on ne le prenne pas tout de suite avec nous…
- C’est à Atropos de décider, nous en avons déjà parlé.
- A…attends-moi, Cloclo !! appela la blonde en pressant le pas derrière sa sœur.
- Ne m’appelle pas par ce diminutif ridicule ! Je n’arrive pas encore à croire que de nous deux, ce soit TOI la plus âgée…
- Maieuh ! Juste deux minutes de plus, ça compte pas !
- En minutes universelles, ça compte BEAUCOUP. Et tu te conduis comme une gamine ! Rappelle-moi quel âge tu as !?
- …Maieuh !! »
Tout en s’éloignant, les deux jeunes femmes continuèrent leur intéressante conversation d’ordre familial, leurs deux voix résonnant dans le couloir qu’elles empruntaient pour s’éloigner et regagner leur chambre.
« Veuillez excuser mes petites sœurs, ces jumelles se disputent constamment ! » dit Atropos en riant, une main gracieuse placée devant ses lèvres ourlées de rouge.
En se demandant où il avait bien pu tomber, Laekh regarda autour de lui. Tout comme ses trois habitantes, leur demeure était splendide : grande et élégante, entièrement faite de marbre blanc sculpté et de vitraux de couleur qui reflétaient la lumière en une gamme harmonique de rouges et d’orangés. Quelques colonnes de marbres qui s’élevaient jusqu’au plafond se dressaient fièrement dans le hall d’entrée, pièce dans laquelle Laekh se trouvait en ce moment et qui était, fait étrange, remplie de sable. On s’enfonçait jusqu’à la cheville dans ce sable fin et lumineux comme de la poussière d’étoile, agréablement tiède au toucher… on aurait dit qu’il était presque vivant…
Atropos s’éclaircit la voix pour attirer l’attention du jeune homme vers sa direction. Ce fut sans mal qu’elle parvint à accrocher son regard admiratif dès qu’il tourna à nouveau les yeux vers elle.
« Je suppose que vous vous demandez ce que vous faites ici…
- Je suis ici uniquement pour vous contempler, divine créature, répondit-il d’une voix enjôleuse.
- Eh bien, vous ne perdez pas vos moyens, vous ! » dit-elle en essayant de garder un ton le plus sérieux possible.
Il lui sourit à son tour, et Atropos ne put s’empêcher de le trouver tout à fait à son goût. Pas de doute, elle ne regrettait pas sa décision de conclure un pacte avec ce jeune homme…
« Sérieusement, Laekh… Au fait, je peux vous appeler par votre prénom ?
- Tout ce que vous désirez, chère Atropos. »
Encore un sourire enjôleur, mais peut-être un peu plus froid que le premier.
« Que j’aie tout à coup atterri ici alors que je me trouvais sur un bateau en pleine mer l’instant auparavant… c’est votre œuvre, n’est-ce pas ? demanda t-il, pourtant certain de la réponse.
- En effet.
- Que me voulez-vous… mis à part ce que j’ose espérer, et que je serais tout à fait heureux de vous offrir pour satisfaire vos exigences ? »
Le sous-entendu charnel planant dans cette question fit rougir Atropos malgré elle. Ce n’était pas désagréable… mais qu’un simple humain ose lui parler ainsi… ça, c’était insupportable !
"Jeune impudent, si tu continues ce petit jeu avec moi, tu le regretteras !" pensa t-elle avec rage, mais en adressant à Laekh un charmant sourire amical en apparence.
« Je vous ai fait venir ici pour vous proposer un marché…
- Ooooh, par l’Univers Tout Entier ! s’exclama Laekh d’une voix bien trop théâtrale pour être sincère. Seriez-vous un envoyé des Enfers, alors ? Et dire que je pensais que vous étiez un Ange de Perfection !
- Je suis bien pire que tout ça, répliqua tranquillement la jeune femme. Je suis le Destin Final. Je suis celle qui détermine la fin de toute vie humaine.
- Vous êtes la Mort ?
- Pas exactement. Je suis l’aînée des trois Moira, et je suis celle qui coupe le fil de chaque vie, déterminant ainsi la mort de chaque humain lorsque son temps est venu. Mais ce n’est pas moi qui décide de la raison pour laquelle un humain mourra et à quel âge. Pour ça, c’est la Mort elle-même qui décide.
- Oh, seriez-vous les trois sœurs que certains peuples Terriens ont désignées sous le nom de Moires, ou de Parques ?
- En effet.
- N’êtes-vous pas sensées être un trio de vieilles borgnes ridées, ratatinées et recluses dans un coin de grotte envahi par la poussière… Oh pardon, je vois en effet que votre hall d’entrée y ressemble fort… » fit Laekh en penchant la tête de côté et en lorgnant ostensiblement l’épais tapis formé par le sable au sol.
"Arrête tes conneries, Humain !" grogna Atropos intérieurement.
« J’ai tout mon temps, contrairement à vous, fit-elle en regardant l’humain de haut. Alors nous pouvons continuer cette conversation fort distrayante mais dénuée de toute utilité, ou bien nous pouvons en arriver directement au but. Comme vous voulez, Laekh. »
Puis avec un sourire vénéneux, elle rajouta à voix basse mais encore suffisamment forte pour qu’il l’entende : « A vous de décider. Après tout, aujourd’hui est le jour de votre mort. Ca n’arrive qu’une fois dans la vie, il faut en profiter. »
Le silence qui suivit fit le contentement de la divinité, qui avait finalement pu couper le sifflet à cet impudent humain !
« … Les Anciens..., murmura Laekh d’une voix à peine audible, en baissant le visage vers le sol. Ils avaient bien raison, je n’en avais plus que pour six mois à vivre… et aujourd’hui le délai est arrivé à son terme…
- En effet. Vous êtes condamné à mourir avant vos 22 ans. »
En entendant la Moire lui répondre, Laekh releva la tête avec surprise, comme s’il avait oublié qu’elle était là et qu’il venait tout juste de s’en souvenir.
« Aujourd’hui, je dois mourir… et vous êtes celle qui doit couper le fil de ma vie maintenant ?
- Oui… Je dois couper votre fil de vie, mais vous pouvez décider du moment où je le ferai… Tout à l’heure, vous étiez sur Terre, en Méditerranée. Sachez que nous sommes toujours sur Terre, mais dans un endroit inconnu et inaccessible des Mortels. Je vous ai fait venir ici, Laekh, pour vous donner le choix. Peu d’humains ont droit à ce choix, alors réfléchissez bien avant de répondre. »
Une paire de ciseaux de couture dorés apparut dans la main d’Atropos. En élevant sa main pour montrer à Laekh l’instrument d’or, elle continua :
« Soit je coupe votre fil avec ces ciseaux tout de suite, soit je vous laisse encore un peu de temps… en contrepartie d’une toute petite faveur de votre part. »
Le moment n’était plus aux sous-entendu salaces, même s’il était très tentant de les faire remarquer. Aussi Laekh fronça t-il simplement les sourcils d’un air suspicieux et demanda sans détour :
« Quelle est cette faveur ? Et de combien de temps en plus disposerais-je ? »
Cette fois, ce fut au tour d’Atropos de faire du sarcasme :
« Vous utilisez le conditionnel dans votre question… Très prudent de votre part d’avoir fait ça, complimenta t-elle.
- Contentez-vous de me répondre clairement.
- Clairement ? D’accord. Alors, réponse 1 : me céder votre âme à votre mort. Et réponse 2 : un cycle sacré, c’est-à-dire douze ans.
- … Douze ans, répéta Laekh avec hésitation.
- C’est étrange… j’aurais pensé que vous auriez plus fait attention à ma réponse 1 qu’à la 2 ! »
Laekh la regarda droit dans les yeux.
« Et pour quelle raison, je vous prie ? demanda t-il avec un sourire en coin.
- Vous… vous ne vous inquiétez pas de ce que je pourrais faire de votre âme… ? fit Atropos avec une surprise qu’elle dissimulait mal.
- En vérité, je m’en contrefiche éperdument. »
Les yeux d’Atropos s’agrandirent légèrement avec stupéfaction.
« De toute façon, je… je plaisantais, dit-elle finalement. Je ne veux pas de votre âme. En plus, je serais sévèrement châtiée si je vous demandais votre âme pour un pacte quel qu’il soit…
- D’accord. Alors que voulez-vous en échange de ces douze ans ? »
Le ton d’homme d’affaires qu’avait pris Laekh impressionna agréablement son interlocutrice.
« Amusez-moi.
- ….. Pardon ?
- Je veux que durant ces douze ans, vous m’amusiez, Laekh. »
Un autre silence suivit. Puis Laekh souffla avec dédain et tourna les talons en se dirigeant vers la lourde porte de sortie derrière lui.
« Tss ! Laissez tomber, je ne suis pas là pour faire le mariole pour vous pendant douze ans ou pendant douze secondes !
- Attendez ! appela Atropos en tendant le bras vers lui mais sans le toucher.
- Coupez mon fil dès maintenant si vous voulez, je m’en fiche ! dit-il sans se retourner.
- Vous n’avez pas compris, Laekh ! insista t-elle. Je ne vous demande pas… pas exactement de faire… faire quoi que ce soit pour m’amuser… en fait… »
Il se retourna et lui lança un regard chargé de soupçons.
« Expliquez-vous un peu mieux, ça m’arrangerait, Mademoiselle.
- Je… en fait… je vous demande juste… juste de faire ce que vous avez à faire durant ces douze ans… de continuer votre quête… »
Il pencha la tête sur le côté :
« Je ne vous comprends pas.
- Continuez à faire ce que vous faites depuis des semaines.
- Vous voulez simplement… que je continue à rechercher l’un des Cristaux des Rêves pour le détruire, tout en fuyant les envoyés du Conseil d’Utopia ?
- Exactement. »
Cette fois, il pencha la tête de l’autre côté.
« Vous n’êtes pas sensée m’empêcher de toucher aux Cristaux, pour préserver les Rêves des Terriens, ou un truc de ce genre ?!
- Je ne suis pas le Conseil, répondit-elle avec un sourire en coin. Les Moires n’ont rien à voir avec le Conseil d’Utopia, les Rêves des Terriens n’ont rien à voir avec leur Destin. Nous ne nous préoccupons pas de ce qui ne nous regarde pas. En revanche… »
Atropos se mit à marcher de long en large devant Laekh, l’air amusé :
« En revanche, nous aimons nous amuser. Les Humains nous divertissent énormément – sinon, nous ne continuerions pas à faire ce travail… Hé, savez-vous à QUEL POINT le tissage est une activité ennuyeuse ?! Ennuyeuse à mourir. Et c’est le cas de le dire, héhé ! Sans l’amusement procuré par les réactions des Humains face à leur destinée, je crois bien que j’aurais changé de métier ! Et je parle sans blaguer, là ! Héhé…
- …
- Bref, Laekh, depuis quelque temps, vous êtes officiellement notre principale source d’amusement. Je trouvais dommage de ne plus vous revoir, de devoir achever votre vie si vite, de vous faire mourir dès maintenant… Et aujourd’hui vous passiez justement par hasard dans le coin, aussi ai-je décidé, avec l’accord de mes sœurs bien entendu, de vous transporter jusqu’ici pour vous laisser le choix… »
Elle pivota sur elle-même pour lui faire face, les pans de sa longue toge dansant élégamment pour l’accompagner dans ce mouvement.
« Alors Laekh ? Quand préférez-vous mourir ? Aujourd’hui-même, puisque votre moment est arrivé, ou bien dans douze ans ?
- … Il… il y a sûrement un truc… un paragraphe en petits caractères dans ce contrat… n’est-ce pas ? fit Laekh, toujours aussi suspicieux envers cette créature.
- Oh, bien sûr ! s’exclama t-elle joyeusement en joignant les mains. Vous allez en baver durant ces douze ans, je vous le promets personnellement ! »
Il leva les deux sourcils d’un air perplexe, elle continua en battant des mains comme une enfant enthousiaste :
« Eh oui, où serait notre amusement sinon !? Il faut que vous souffriez pendant ces douze ans ! Ce serait un passe-temps tellement PA-ssionnant pour mes sœurs et moi ! … S’il vous plait ? »
Devant l’air suppliant de petite fille gâtée que venait de prendre la divinité connue sous le nom d’Atropos, Laekh ne savait plus que faire, mis à part tenter de ne pas tomber à la renverse devant l’absurdité de la situation.
« Alors, Laekh ?? insista Atropos. C’est d’accord, vous voulez bien ??
- Euh… je crois… oui… enfin, après tout… je n’ai pas grand chose à perdre et tout à y gagner… n’est-ce pas ? … N’est-ce pas ? répéta t-il pour se convaincre lui-même.
- Tout à fait, tout à fait !! »
Laekh trouvait l’enthousiasme d’Atropos tout à fait, mais alors tout à fait, SUSPICIEUX !
"Mais bon, soupira t-il intérieurement, j’ai déjà fait mon choix alors autant m’y tenir…"
Atropos ronronna avec une intense satisfaction :
« Parfait, par-fait, parrrr-fait ! …Lachésis ? appela t-elle ensuite. Lachésis, j’aurais besoin du Sablier, s’il te plait ! »
Sa blonde cadette apparut à l’appel. Elle tendit une main vide vers Laekh et lui fit un clin d’œil coquin, il lui rendit un regard perplexe.
« Chronos. C’est l’un des noms sacrés qu’on donne au temps. » précisa Lachésis.
A ces mots, le sable du hall d’entrée commença à luire, puis à se rassembler. Un vent violent se mit à souffler, mettant en mouvement cette montagne de sable, obligeant Laekh à lever un bras vers son visage pour se protéger du vent. Lorsque celui-ci s’apaisa, Laekh abaissa son bras. Il vit alors un objet apparaître lentement dans la main tendue de Lachésis, un objet qui se précisait à mesure que le sable, auparavant au sol, tourbillonnait dans l’air avant de se condenser dans la main de la divinité. Une fois tout le sable du hall disparu, ou plutôt condensé en cet objet que Lachésis tenait dans sa paume, Laekh vit apparaître… un sablier.
« Ce sablier qui influe sur le temps est donc tout simplement nommé "Sablier de Chronos", continua Lachésis. Je te le confie mais si tu le casses… tu devras en payer le prix. Qui est d’une nuit avec moi !
- Lachésis ! s’écria Atropos, sa sœur aînée, d’un ton choqué.
- Bah, je plaisantais ! fit la blonde en tirant joyeusement la langue. Mais fais gaffe à pas le casser quand même, hein Laekh ! Sinon, on devra te punir. Et là, ça fera TRES mal ! »
Puis avec un vague sourire sadique, Lachésis disparut après avoir confié le sablier à Atropos.
« Nous sommes bien d’accord sur les termes du contrat alors ? demanda cette dernière au jeune homme.
- Oui, répondit-il avec assurance.
- Très bien. Comme l’a dit ma sœur, ceci est le Sablier de Chronos, dit-elle en élevant le sablier pour le lui montrer. Il ne contrôle pas exactement le Temps, simplement le passage du temps tel qu’il est subi par votre corps. En quelque sorte, il représente votre fil de vie… Vous remarquerez que vous aurez beau le secouer, le sable à l’intérieur du sablier ne s’écoulera pas du tout. Il a été figé dans le sablier pour douze ans, et par conséquent VOUS avez été figé dans le temps : pendant douze ans, vous ne vieillirez pas. Votre maladie a été figée de même et ne se développera plus pendant ce temps... Mais ne vous croyez pas immortel ! L’instant fixé pour votre mort vient d’être repoussé de douze ans et douze heures mais si vous faites un pas de travers durant cette période, vous mourrez comme tout un chacun, mon jeune ami. Douze ans est un cycle sacré, immuable… Vous remarquerez que le chiffre 12 a toujours constitué un symbole très important, intimement lié au passage du temps pour la majorité des peuples Terriens : les douze mois de l’année solaire, les douze ans du cycle astrologique chinois, etc, etc. Ce sera immuable, après douze ans, le sable se remettra à couler. Quelle que soit la position du sablier, quoi qu’on lui fasse, ce sable s’écoulera régulièrement une fois la limite de douze ans atteinte. Vous saurez alors que vous êtes arrivé au moment critique, qu’il ne vous restera plus que douze heures pour parvenir à votre but si vous ne l’avez pas encore atteint à ce moment-là. Et lorsque le dernier grain de sable tombera… vous aussi tomberez. Mort… Car quoi qu’il advienne, vous devez mourir peu avant vos 22 ans, Laekh. Vous avez bien compris ?
- Certainement.
- Prenez-en soin, alors. Ne le cassez pas, ce serait bien pire que la mort… »
Avec cette dernière recommandation qui sonnait comme une menace, elle lui tendit le sablier. Il l’accepta de bonne grâce, puis en la saluant, il se pencha et embrassa sa main, ce qui fit violemment rougir Atropos. Avec brusquerie, elle retira sa main de son étreinte et sans mot dire, elle le renvoya d’un mouvement du menton.
Laekh fut téléporté sans transition et se retrouva là où il était avant de faire la connaissance des trois sœurs Moira. En se penchant au-dessus de la rambarde du bateau de croisière qui filait élégamment sur l’onde, Laekh fixa la mer couleur d’émeraude et il sourit.
« On va bien s’amuser… » murmura t-il pour lui-même, le Sablier du Temps placé entre ses mains.
« Allez, ‘tropos ! Tu peux bien l’avouer, maintenant ! la tança Lachésis d’un air taquin.
- Avouer quoi ?
- Que cet humain te plait !
- ….. Oui.
- Héhé, j’en était sûre ! ricana la blonde en donnant à sa sœur Atropos un coup de coude complice dans les côtes. Il est tout à fait ton type d’homme, hein !
- Oui, il me plait énormément… Et c’est pourquoi je vais lui en faire voir de toutes les couleurs pendant ces douze ans… »
Les commissures des lèvres d’Atropos se relevèrent en un sourire inquiétant. En silence, Clotho roula des yeux vers le ciel en débitant son éternelle bobine de fil et Lachésis se mit à rire bruyamment en continuant à tisser la toile de vie de Laekh.
*****
Notes :
Scène 1 : Titre en japonais. Pourquoi ? Parce que. (Réponse imparable, n’est-il point ?)
Ai = amour / affection
To = et
Namida = larme(s)
Scène 3 :
La dernière des trois Moires (mythologie grecque - divinités qui représentent le Destin), Atropos est celle qui coupe le fil de la vie humaine - et achève donc la vie de l’humain en question.
N’est-ce pas qu’elle est TROP COOL, mon Atropos ?! (En plus, elle n’arrête pas de parler en rimes, ça m’éclate !!) ^_^
Ca change des vieilles borgnes de la mythologie, qui doivent se partager un seul œil de cristal pour y voir correctement, hein ! *lol*
Bah, je pensais ne faire qu’une conclusion très courte à Point de Vue mais finalement, je n’ai pas pu résister à l’envie de développer un peu plus le caractère des Moires en leur donnant plus de dialogues… Je suis trop gentille ! :-p
Fin de Point de Vue, merci à tous les lecteurs qui ont suivi cette histoire jusqu’au bout. Environ un an (moins de 14 mois) pour la finir, c’est un délai tout à fait court en comparaison de mes autres fics… vous avez de la chance, là ! *lol lol lol*
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